La Tunisie étend la voilure sur l’Afrique ?

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le CEPEX a organisé avec l’agence de communication AZCOM trois évènements sur la Côte d’Ivoire : le Salon CONSULTAFRIC, CAMPUSTUNISIE et BATIVOIRE.

D’avril à septembre 2015, le rythme de la présence tunisienne dans les médias, les milieux d’affaires et quelques cibles en particulier s’est accéléré et le nombre d’entreprises tunisiennes qui déclarent ici et là leur ferme intention d’ouvrir des bureaux dans la région et opérer sur l’ensemble de la sous-région est en hausse. EVERTEK est la dernière entreprise tunisienne en date à annoncer l’ouverture d’un point de vente dans la capitale ivoirienne.

Mais au-delà de l’initiative privée qui reste encore éparse, et alors que la compagnie nationale Tunisair annonce le lancement de huit lignes sur l’Afrique (elles seront 20 en 2018), peut-on parler d’une stratégie tunisienne en Afrique? Quels sont la vision et le programme du gouvernement pour l’export du «MADE IN TUNISIA» en Afrique? Quel est le plan d’action du CEPEX?

Tout le monde convient que l’Afrique constitue pour la Tunisie un relais de croissance incontournable permettant de développer et diversifier ses exportations surtout dans le secteur des services.D’ailleurs, qui peut dire le contraire avec les indicateurs suivants :

–      un taux de croissance des importations de 16% par an en moyenne;
–      une croissance autour de 6% pour le continent dans dix ans;
–      le continent épargne le plus après l’Asie, et ses réserves de change sont estimées à 500 milliards de $,et sa part dans les IDE mondiaux est passée de 1,2% en 2007 à 3,1% en 2012.
–      plus de 2.000 entreprises sont aujourd’hui cotées, la capitalisation boursière a été multipliée par 9 en 20 ans;
–      72 milliards de $ d’investissement annuels dans les infrastructures sont attendus;
–      les classes moyennes africaines représentent entre 300 et 500 millions d’individus. Les dépenses des ménages africains devraient passer de 840 millions de dollars en 2008 à 1,400 milliard de dollars en 2020. Les francophones sont près de 100 millions en Afrique sur les 220 millions recensés dans le monde;
–      plus de la moitié des Africains ont moins de 20 ans et plus de 40% vivent dans des villes (contre 30% en Inde et 45% en Chine).

 

Quid des exportations tunisiennes?

L’export tunisien en Afrique est de 650 millions de dinars dont 2,3% de part de l’Afrique subsaharienne dans les exportations totales de la Tunisie. Aujourd’hui, ce sont 650 entreprises qui opèrent sur l’Afrique. Seule une entreprise tunisienne sur dix exporte vers l’Afrique.

Structure des exportations tunisiennes

 

Part 2014

TCAM (2010-2014) en %

Afrique sub-saharienne

2.31 %

4,9

Amérique centrale

0.02 %

26,2

Amérique du Nord

1.57 %

-0,7

Amérique latine

0.41 %

-6,4

Autres zones

4.48 %

11,4

Autres pays d’Europe

2.93 %

12,5

Extrême Orient

3.19 %

0,4

Pays arabes du Moyen-Orient

1.83 %

5,6

Pays d’Océanie

0.06 %

5,8

UE (27)

74.27 %

4,5

UMA

8.93 %

5,8

 

Evolution de la structure des exportations selon le groupement sectoriel d’activités

 

1993

1999

2005

2010

2014

AGRICULTURE & INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES

4,51%

18,74%

35,35%

24,97%

25,03%

CUIR & CHAUSSURES

0,23%

0,24%

0,45%

0,71%

0,17%

ENERGIE & LUBRIFIANTS

0,04%

0,00%

0,12%

1,22%

0,43%

IME

9,63%

24,07%

25,18%

28,69%

19,68%

INDUSTRIES DIVERSES

81,49%

51,10%

34,67%

35,21%

51,96%

TEXTILE & HABILLEMENT

4,11%

5,85%

4,23%

9,20%

2,74%

Compilation du CEPEX/ Source : D.O.M.I

Principaux produits exportés en 2014 par la Tunisie vers l’Afrique sub-saharienne

NSH6

LIBELLE

Montant exporté (en dinars)

392690

AUTRES OUVRAGES EN MATIERES PLASTIQUES ET MATIERES DES 3901 A 3914

42 584 116

252020

PLATRES, MEME COLORES OU CONTENANT DES ACCELERATEURS OU RETARDATEURS

35 168 187

190219

PATES ALIMENTAIRES SANS OEUFS, NON CUITES NI FARCIES NI AUTREMENT PREP

28 883 984

961900

SERVIETTES ET TAMPONS HYGIENIQUES, COUCHES ET LANGES POUR BEBES ET ARTICLES SIMILAIRES, EN

27 310 395

151710

MARGARINE, A L’EXCLUSION DE LA MARGARINE LIEUIDE

27 151 419

283531

TRIPHOSPHATE DE SODIUM (TRIPOLYPHOSPHATE DE SODIUM)

24 141 095

220290

AUTRES BOISSONS NON ALCOOLIQUES, EXCEPTES LES JUS DU N.2009

22 668 879

480300

PAPIERS A USAGES DOMESTIQUES, D’HYGIENE/TOILETTE, EN ROULEAUX/FEUILLES

22 389 415

150790

AUTRES HUILE DE SOJA ET FRACTIONS, NON CHIMIQUEMENT MODIFIEES

18 205 929

252329

AUTRES CIMENTS PORTLANDS (BLANCS EXCLUS)

17 897 626

390750

RESINES ALCYNES, SOUS FORMES PRIMAIRES

14 800 509

902810

COMPTEURS DE GAZ

13 474 438

282612

FLUORURES D’ALUMINIUM

13 056 977

630900

ARTICLES DE FRIPERIE

11 540 516

490700

TIMBRES-POSTE, TIMBRES FISCAUX, SIMILAIRES; PAPIER TIMBRES; CHEQUES…

10 990 884

110311

GRUAUX ET SEMOULES DE FROMENT (BLE)

10 342 123

283620

CARBONATE DE DISODIUM

9 681 829

190531

“BISCUITS ADDITIONNES D’EDULCORANTS

9 443 488

283650

CARBONATE DE CALCIUM

7 991 045

890520

PLATES-FORMES DE FORAGE OU D’EXPLOITATION, FLOTTANTES OU SUBMERSIBLES

7 632 915

330510

SHAMPOOINGS

7 558 279

854449

CONDUCTEURS ELECTRIQUES (80 V ET MOINS) SANS PIECE DE CONNEXION

7 227 088

252321

CIMENTS PORTLAND BLANCS, MEME COLORES ARTIFICIELLEMENT

6 670 744

902830

COMPTEURS D’ELECTRICITE

6 489 607

Compilation du CEPEX/ Source : D.O.M.I

Principaux clients de la Tunisie de l’Afrique Sub-saharienne en 2014

 

Croissance annuelle moyenne 2010-2014, en %

Part 2014

Part 2004

ETHIOPIE

-4,5

18,0%

0,15%

COTE D’IVOIRE

24,8

11,9%

7,50%

SENEGAL

7,2

11,2%

20,80%

NIGERIA

22,7

7,3%

1,82%

GABON

12,7

6,1%

4,63%

BENIN

39,4

4,5%

3,47%

CAMEROUN

9,4

4,3%

5,07%

CONGO

1,7

4,3%

5,99%

BURKINA FASSO

14,9

4,3%

6,94%

GHANA

5,4

4,0%

4,67%

Source : I.N.S

Principaux fournisseurs de la Tunisie de l’Afrique Sub-saharienne en 2014

       

Croissance annuelle moyenne 2010-2014, en %

Part 2014

Part 2004

NIGERIA

363,9

36,4%

0,04%

AFRIQUE DU SUD

16,4

20,0%

11,9%

GHANA

53,9

12,3%

5,1%

COTE D’IVOIRE

-23,8

7,0%

29,9%

MALAWI

101,8

5,1%

0,4%

NAMIBIE

429,6

4,7%

0,0%

TANZANI

200,8

3,6%

0,2%

CAMEROUN

-29,0

2,0%

11,4%

OUGANDA

248,4

1,7%

2,4%

GABON

-2,3

1,1%

4,4%

Source : I.N.S

Que fait le CEPEX pour développer les exportations tunisiennes vers l’Afrique subsaharienne ?

Le CEPEX dispose de plusieurs outils pour soutenir les entreprises tunisiennes dont l’appui financier FOPRODEX/FAMEX3 pour les actions de prospection et d’implantation commerciale, l’organisation de missions économiques multisectorielles ou sectorielles, les visites ou participations à des salons et événements commerciaux, les informations commerciales (appel d’offres / opportunités marchés (rubrique dédiée à l’Afrique sur le portail du CEPEX: Go Africa), les invitations d’acheteurs et de décideurs africains, les campagnes médiatique (à l’occasion des évènements organisés par le CEPEX), la participation à des événements régionaux ou mondiaux de réseautage et la collaboration avec le secteur privé et les organisations patronales.

Ceci dit, il est à noter que conscient des limites de sa propre actuelle organisation, le CEPEX lance un grand chantier pour développer ses prestations, et ce dans le cadre du troisième programme de développement des exportations initié en collaboration avec la Banque mondiale. La première phase du projet concerne un audit institutionnel du CEPEX qui débouchera sur un plan d’action concret qui touchera tous les aspects structurels et fonctionnels du centre.

L’Afrique : choix ou obligation?

Pour le directeur général adjoint du CEPEX, Riadh Attia, (accompagnant la délégation participante à BATIVOIRE), cette restructuration du CEPEX sera bénéfique à l’ensemble du «Made IN TUNISIA» à l’export et notamment sur l’Afrique. Le CEPEX sera à même d’accompagner «le nombre des entreprises intéressées par l’implantation en Afrique qui est en évolution».

Y a-t-il une formule miracle pour renforcer la présence des entreprises tunisiennes dans cette partie du monde? Le DGA explique: «L’implantation commerciale et industrielle est la formule idoine pour se positionner sur le marché africain d’une manière pérenne et efficace. Les PME ont un besoin réel pour les encadrer dans leur démarche d’implantation en Afrique. Le bureau du CEPEX à Abidjan est en train d’assurer cette prestation. Mais le réseau du CEPEX doit être élargi vers d’autres marchés porteurs. Des démarches sont en cours pour ouvrir den nouveaux bureaux durant la prochaine période».

Il convient cependant de noter que, avant de s’empresser à ouvrir d’autres bureaux, de doter les structures actuelles de véritables moyens, de les mettre à niveau et d’identifier leurs réelles missions et objectifs. Il est urgent aussi d’ouvrir un bureau de représentation pour le tourisme tunisien dans la sous-région.

Si tout le monde s’accorde à dire que l’Afrique est une urgence, tout le monde sait ce qu’il reste à faire, et les pistes d’amélioration sont multiples comme un meilleur ciblage des couples produit/marché, un accompagnement diplomatique de proximité (réseau d’ambassades, consuls honoraires…), un appui institutionnel sur le marché (réseau de représentations commerciales du CEPEX), l’accompagnement professionnel et technique par la mise en relations commerciales, l’accès à la base de données, les facilitations et organisation de contacts B to B, les participations et visites des Salons), l’amélioration des services logistiques (transport aérien, fret maritime) et de services bancaires et d’assurances…

Du côté des experts et de certains opérateurs économiques, la cadence du déploiement tunisien en Afrique n’a jamais existé et de toute façon elle est trop lente pour donner de vrais résultats. Certains analystes estiment même qu’il est trop tard pour prendre une place au soleil face à une Chine hyper déployée et à un Maroc qui a capté une énorme partie du marché francophone africain.

N’empêche, à ce jour certains opérateurs tunisiens évoluent sensiblement sur l’Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire. Dans les couloirs, on murmure qu’ils ont bénéficié de forts appuis politiques ante 14 janvier. Aujourd’hui, il est indéniable que le politique a un rôle à jouer qu’il ne joue pas ou pas encore ou carrément mal! Depuis l’arrivée du gouvernement élu et la fin de la phase de transition, pas un signe politique fort n’a été donné envers cette région du monde. Est-ce un luxe que la Tunisie peut se permettre?

Les entreprises tunisiennes se démènent et déploient lors de Salons ou de quelques voyages privés. Bon an mal an, elles sont de plus en plus nombreuses à s’engager sur l’Afrique et à force, elles sont en train de prendre forme sur le marché. Désolidarisées, elles font du tactique, alors qu’ensemble et plus fortement soutenues par l’Etat, elles pourraient être plus efficaces et jouer dans la cour des grands.

Reste à signaler que si des opérateurs s’installent aujourd’hui, c’est aussi par l’accompagnement financier partiel du CEPEX qu’il convient d’évaluer et de revoir, car il est trop lourd et lent, pas assez dense et efficace. Le modèle marocain est en ce sens une formule qui marche.

Gageons qu’au cours de sa nouvelle stratégie, le CEPEX mettra ce qu’il faut d’outils pour avoir les moyens d’une politique digne de la Tunisie!

Ahmed Megdiche, opérateur et chef de file du lobby sfaxien, revient d’Abidjan et du Salon BATIVOIRE plus précisément. Il estime que malgré quelques défaillances, le Salon a porté ses fruits: «Plusieurs opérateurs ont décidé de s’installer au plutôt soit en partenariat ou seules (6), ce qui aurait un impact positif sur nos exportations de produits et services ainsi que la création d’emplois offshore pour nos jeunes cadres. Nous citons ceux qui vont s’installer: CUISINA, MAS, GROUPEMENT DES. PROMOTEURS IMMOBILIERS (terrain identifié), VALPAINT. D’autre part, plusieurs entreprises sont encore au stade de recherches de partenaires pour implantation: Groupe KOOBI, SICERAM, TUNISIE PANNEAUX, Groupe SBF, TAT Négoce, ECOTI (groupe BADR). Avec tout cet engouement pour la Côte d’Ivoire, le BATIVOIRE 3 est un franc succès malgré toutes les insuffisances relevées».

Une affirmation que reprend à son propre compte le ministre ivoirien du Logement en déclarant que «BATIVOIRE a accompagné les 4 années de l’actuel président Ouattara. De fait, le Salon est une demande de la Côte d’Ivoire qui reconnaît le know-how tunisien. Dans les milieux initiés, la demande est encore plus grande et concerne le bâtiment et les métiers de la construction, le tourisme, l’agro-industrie, les TIC…».

De fait, la Côte d’Ivoire est un immense marché et il y en a vraiment pour tout le monde. C’est le constat d’Aziza Hatira, président-directeur général du CEPEX, lors de ses nombreuses réunions de travail avec les politiques et les opérateurs ivoiriens en août dernier (Salon CAMPUS TUNISIE). Elle avait alors déclaré que l’ensemble de l’Afrique Sub-saharienne est une immense opportunité mais que rien que la Côte d’Ivoire est un énorme gisement qu’il convient d’investir!

Ce sentiment est partagé par de nombreux opérateurs dont Ghazzi Sabbagh, directeur général de VALPAINT, qui estime qu’il serait judicieux de faire de ce pays un modèle à ensuite généraliser sur l’ensemble de la région: «Il y a une forme d’approche individuelle chez les opérateurs tunisiens qui ne marche pas dans ce genre de pays. Nous devons apprendre à avancer groupé» (lire son interview ici) ?.

Pour cela, il appelle à plus de concertation et de concentration car ce genre de pays n’est pas réceptif aux cavaliers solitaires.

Il est vrai que les quelques tentatives de se tirer dans les pattes que l’on a pu observer entre les entreprises établies contre celles qui veulent s’établir durant les manifestations tunisiennes à Abidjan sont contreproductives. Quand on sait que le volume des échanges aujourd’hui est à peine de 50 millions d’euros que l’on peut multiplier par 10 très rapidement comme l’a affirmé le ministre ivoirien Sanogho, on s’étonne du manque de maturité de certaines parties.

Mais que fait le gouvernement?

Entre temps, les opérateurs tunisiens sont bel et bien reçus en Côte d’Ivoire et s’y installent calmement. Une nouvelle génération est même en train de prendre le goût en Afrique, et c’est tant mieux! Ils doivent être davantage épaulés et soutenus, mais malheureusement le politique fait défaut en la matière.

Alors peut-on espérer voir bientôt s’organiser une forte mission du chef de l’exécutif tunisien en Côte d’Ivoire? Peut-on souhaiter voir des centaines d’hommes d’affaires tunisiens dans les secteurs prioritaires affluer et arriver en grande pompe avec un programme de rencontres, un méga évènement culturel populaire qui portera les couleurs de la Tunisie et une vraie communication? Peut-on parier sur l’ouverture d’un réseau bancaire tunisien en Afrique subsaharienne?

Nous pourrions continuer l’exercice avec des dizaines de questions. Il suffit de noter qu’une récente étude de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) fait état de plusieurs recommandations et suggestions.

Une fois encore, tout le monde sait grosso modo ce qu’il faut faire. Il est vital de savoir si nous voulons le faire et comment allons-nous le faire. Alors au lieu de perdre encore du temps, peut-on s’asseoir autour d’une table et enclencher le processus?

L’Afrique n’attend pas. La Tunisie ne peut plus attendre.