Justice transitionnelle : Mohamed Salah Ben Aissa entre la société civile et le gouvernement

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La langue de bois ce n’est pas la spécialité de Mohamed Salah Ben Aissa. Après sa fameuse «pique» où il avait fait part du malaise qu’il avait éprouvé à se trouver autour de la même table du conseil des ministres avec des figures de l’ancien régime, le ministre de la Justice le démontre encore une fois par sa manière d’aborder le dossier de la justice transitionnelle.

Lors d’un récent colloque organisé début juin 2015 par la Coordination nationale indépendante pour la Justice transitionnelle (CNIJT), présidée par Amor Sefraoui, le ministre de la Justice a pris sur cette question une certaine distance par rapport à la position du gouvernement et de l’Etat d’une façon générale. Qui ne font pas mystère de leur volonté de trouver avec les hommes d’affaires et les personnalités s’étant rendus coupables de crimes financiers sous l’ancien régime une solution en dehors du cadre de la justice transitionnelle. C’est là notamment le cas du président Béji Caïd Essebsi qui a déjà clairement annoncé sa volonté de lancer une initiative de «réconciliation nationale».

Mohamed Salah Ben Aissa considère que «la réussite du processus de justice transitionnelle est l’une des conditions de la réalisation des objectifs de la révolution» et que «si on y échoue on aura échoué à réaliser un des objectifs fondamentaux».

Le ministre de la Justice a tenu à préciser que c’est là sa position sur la question, «malgré» ses «responsabilités gouvernementales». Une manière de laisser entendre qu’il ne partage pas celle de l’Etat sur ce dossier?

Le ministre de la Justice n’a pas caché également qu’il partage les craintes de la société civile au sujet de l’éventuel arrêt du processus de la justice transitionnelle et a crédité cette dernière d’une «volonté sincère de sauver ce processus».

Toutefois, M. Ben Aissa a invité les acteurs de la société civile à «réfléchir avec un certain réalisme». Et pour lui, réalisme ne veut pas dire «se soumettre» au diktat du «mécanisme dominant», mais que «la société civile et les forces qui croient encore en les objectifs de la révolution –qui, je le crois, sont en rétrécissement continue- continuent à interagir et demeurent vigilantes».

Tout en laissant la porte ouverte à la poursuite du processus de justice transitionnelle, éventuellement sous une forme revue et corrigée, le ministre de la Justice a rappelé qu’il existe une autre voie pour atteindre le même objectif: celui de la justice ordinaire.

En effet, les autorités ont créé des arrondissements spécialisés au sein des tribunaux ordinaires. Ce qui, selon le ministre de la Justice, dénote «d’une certaine confiance chez le législateur dans la justice nationale» et «lui fait assumer une grande responsabilité de rendre une justice juste dans des dossiers exceptionnels parce que certains d’entre eux datent de dizaines d’années».

Mais ce choix, admet le ministre, nécessite de dispenser aux magistrats «une formation spéciale».

Enfin, sur la question de la réconciliation nationale, le ministre a une position assez nuancée –par rapport, exemple, à celle du président Caïd Essebsi. Tout en rappelant que «le concept de réconciliation est au cœur de la justice transitionnelle», le ministre a constaté qu’«il a échappé à certains esprits que la réconciliation nationale est le dernier maillon d’une chaîne dont les autres sont la découverte de la vérité, la réparation du préjudice, la présentation d’excuses, etc.».