L’Afrique automobile démarre mais la route sera longue

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à Melloussa, près de Tanger, au Maroc le 23 avril 2014 (Photo : Fadel Senna)

[25/06/2015 12:06:04] Paris (AFP) En croissance mais sous-équipée, l’Afrique attire l’intérêt des groupes automobiles. Il leur faudra toutefois de la patience et de la persévérance pour y réussir, préviennent professionnels et experts.

PSA Peugeot Citroën est le dernier constructeur en date à franchir le pas d’une implantation industrielle, avec l’annonce la semaine dernière d’une usine de 90.000 unités par an à l’échéance 2019 au Maroc, afin d’alimenter le marché intérieur mais aussi la zone Afrique – Moyen-Orient.

Moins de 1,7 million de véhicules neufs ont été vendus en Afrique l’année dernière, soit seulement 2% du marché mondial. Le continent compte un parc moyen de 43 voitures pour 1.000 habitants, contre 565 en Europe.

Ce “taux de motorisation” a néanmoins augmenté de 27% entre 2005 et 2013, soit six points de plus que la moyenne mondiale, selon l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA). Les taux de croissance économique attendus entre 4,5% et 5% en 2015 et 2016 sur l’ensemble de l’Afrique nourrissent aussi l’espoir de voir émerger une classe moyenne friande de biens de consommation.

“Tout cela mis bout à bout fait qu’effectivement l’Afrique sera un relais de croissance pour l’ensemble des constructeurs”, mais à un horizon de “10, 15, 20 ans”, estime Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cetelem de l’automobile.

Il prévient aussi que “l’Afrique n’est pas un bloc uniforme”, contrairement à la Chine qui a tiré la progression du marché automobile mondial ces 15 dernières années. L’Afrique du Sud connaît un taux de motorisation de 180 pour 1.000, l’Ethiopie de deux pour 1.000 tandis que le Maghreb est au dessus de 100.

“Certains constructeurs ont raté le marché chinois. Ils s’en mordent les doigts, et ils ne veulent pas rater le marché africain de demain”, remarque Meissa Tall, expert automobile du cabinet Kurt Salmon. L’Américain General Motors, le Japonais Toyota et les Sud-Coréens Hyundai et Kia font partie des pionniers déjà installés sur le continent.

Au Maroc, où les autorités disent avoir aussi été approchées par Ford et Volkswagen, Renault a précédé PSA: inaugurée en 2012 et destinée surtout à l’export, son usine de Tanger a contribué à hisser le royaume chérifien à la deuxième place des pays africains producteurs d’automobiles, derrière l’Afrique du Sud. Le groupe au Losange a en outre inauguré une petite unité industrielle fin 2014 à Oran, pour le marché intérieur algérien.

– Pas de scénario à la chinoise –

PSA “discute” aussi d’une usine en Algérie avec les autorités, selon son patron Carlos Tavares, encore avare de détails. Pour le directeur de la zone Afrique – Moyen-Orient du groupe, Jean-Christophe Quémard, il faut produire au plus près des marchés afin de neutraliser les effets de change et les barrières douanières. D’où aussi la relance en cours d’une activité d’assemblage de Peugeot au Nigéria.

Les décisions d’implanter des usines “sont dictées soit par la taille du marché, soit par les conditions tarifaires et douanières, soit par la performance intrinsèque du tissu automobile dans la zone et sa capacité à rayonner sur plusieurs pays”, énumère M. Quémard, disant raisonner “à une échéance de dix ans”.

Produire sur place, moins cher qu’en Europe grâce au coût réduit de la main d’oeuvre et à des exigences réglementaires (sécurité, pollution) moins strictes, permet aussi de proposer aux clients africains des voitures répondant à leurs attentes spécifiques, à un prix serré. “Les petits véhicules n’ont pas très bonne presse, parce que les familles sont assez grandes, et il faut un coffre important”, explique M. Tall.

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à Melloussa, près de Tanger, le 23 avril 2014 (Photo : Fadel Senna)

Dans l’immédiat, le marché automobile africain reste à structurer. “L’occasion représente six à dix fois le marché du neuf. Et les circuits informels font l’essentiel” des transactions, selon M. Quémard.

Et même si le potentiel de croissance est là, personne ne s’avance sur une explosion “à la chinoise”, une multiplication par 40 des volumes neufs en 20 ans.

“Je verrais plutôt une progression de la demande proche de l’Inde”, moins de 5% en moyenne par an ces dernières années, affirme Yann Lacroix, expert automobile chez l’assureur Euler Hermès. En particulier, “il y a d’énormes investissements à faire en infrastructures”, remarque-t-il.

Son collègue du cabinet EY, Jean-François Belorgey, pointe aussi “l’instabilité politique assez forte” du continent africain comme possible obstacle au développement de l’industrie automobile. Pour les constructeurs, “il ne faut pas se tromper sur les endroits où l’on s’implante, et y aller de façon prudente”, prévient-il.

M. Tall relativise ce “risque pays”. “On est loin des périodes où l’on n’avait aucune visibilité sur les pays d’Afrique. La plupart des pays commencent à entrer dans des ères démocratiques” et pour les constructeurs “les gains sont proportionnels aux risques”, fait-il valoir.