Tunisie – Banque mondiale : Le rapport inachevé !

banque_mondiale_tunisie.jpgL’entreprise au secours de l’emploi, c’est l’urgence du moment pour toute la région MENA. L’entreprise est appelée à choisir entre deux situations. Ou elle se met dans son rôle et crée de l’emploi. Ou elle opte pour la facilité et se réfugie dans les privilèges. L’alternative évoquée par la BM ne répond qu’à une partie de la réalité sur terrain. Ce rapport laisse un goût d’inachevé.

Entre “emploi et privilèges“, c’est le thème du dernier rapport de la Banque mondiale, présenté au public lundi 26 janvier au siège de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise). Le rapport dénonce les privilèges et autres passe-droits que peuvent s’octroyer les entreprises connectées politiquement. C’est encore une fois le thème de la collusion entre le pouvoir et l’argent qui refait surface.

Par privilèges, le rapport désigne l’ensemble des obstacles non réglementaires que les entreprises connectées politiquement peuvent dresser en face de leurs compétiteurs locaux ou internationaux et qui a tendance à bloquer la concurrence. La Banque stigmatise ce grippage de la concurrence parce qu’il plombe le dynamisme de l’économie et ralentit la création d’emplois. La causalité soulevée par la BM est néfaste. Mais est-elle seule en question?

Les termes du rapport : comment libérer le potentiel de création d’emplois?

Le rapport focalise sur l’expérience de deux pays, à savoir la Tunisie et l’Egypte, durement frappés par le chômage. Par-delà ces deux pays, c’est la région MENA tout entière, souligne le rapport, qui est particulièrement sinistrée par le chômage à l’échelle mondiale. Pour cela, le rapport étudie les flux de création d’emplois de l’ensemble des entreprises de l’on shore dans les deux pays pendant une période allant de 1996 à 2010.

Le mix des politiques d’embauche dans les deux pays combinant les vieilles recettes du recrutement dans la fonction publique, dans les entreprises du secteur public ou les entreprises du privé moyennant des primes de soutien, n’a donné que des résultats décevants. La situation s’enlise. Sur la population en âge de travailler, seulement 19% des travailleurs disposent de contrats à durée indéterminée (CDI). Ce taux est de 40% pour les pays d’Europe de l’Est ou ceux de l’Asie centrale. Cette injustice frappe davantage les femmes dont seulement 28% ont un emploi. Le plus révoltant est que les diplômés du supérieur sont les moins bien lotis. Un diplômé sur trois est au chômage.

Les entreprises embauchent à leur création

L’étude révèle que la Tunisie a créé 582.000 emplois entre 1996 et 2010. Plus de 90% de ces postes ont été créés par des entreprises qui étaient en phase de démarrage. Ces entreprises embauchent dans les quatre premières années après leur création. L’ennui est que ces entreprises comptent entre 1 et 4 employés. Le tissu productif tunisien reste donc trop atomisé. De ce fait, l’étude montre que ces entreprises ont un taux d’expansion quasiment nul.

La réalité est que la productivité de ces unités est si faible qu’elles ont une emprise modeste sur le marché et restent à un stade végétatif.

Autre fait contrariant, en Tunisie, la fertilité entrepreneuriale est très basse. Il se crée 1,2 SARL pour 1.000 personnes par an. Ce taux est de 3 au Chili et de 4 pour la Bulgarie, deux pays comparables au nôtre.

Les entreprises connectées politiquement font barrage à l’emploi

Outre ce fait génétique, se pose une entrave à l’emploi d’un autre genre. Le rapport décrie les entreprises proches du pouvoir, particulièrement celles qui exercent dans les services, lesquelles, du fait de leurs accointances politico-administratives, dressent des barrières à l’entrée gênant l’arrivée sur leur marché de concurrents locaux et étrangers. Cela ne se fait pas par des textes de lois ou des réglementations mais par le biais des autorisations discrétionnaires exigées des nouveaux promoteurs. Cela fait que des secteurs entiers sont trustés en moyenne à hauteur de 64% par des entreprises politiquement connectées. 

N’étant pas challengées par des concurrents, ces entreprises se complaisent à exploiter leur rente de situation sans avoir à se développer. Au final, elles ne créent pas d’emplois. Et en réalité, le gâchis est double pour le pays car, outre le chômage grandissant, cela occasionne un gaspillage de ressources du fait de coûts de production élevés.

Liberté est laissée aux pouvoirs publics pour rectifier la situation

Les entraves à la concurrence soulevées par le rapport sont réelles dans notre pays. Mais elles ne sont pas seules en cause. La collusion du pouvoir et de l’argent fait du mal partout où cela se produit. Le malheur est que le phénomène est universel.

Longtemps en France on a parlé du capitalisme des 200 familles. Le phénomène sévit également en Amérique. Dick Cheney, vice-président de Georges W. Bush, avait un pied à la Maison blanche et l’autre dans le conseil d’administration de la compagnie pétrolière Chevron. On prête bien quelques accointances à Donald Rumsfeld, ministre de la Défense de G.W. Bush, avec le complexe militaro-industriel. Cela n’empêche pas que le fléau doit être contrôlé et éradiqué.

Le clan Ben Ali/Trabelsi est actuellement neutralisé mais les rapports de Transparency international continuent à mettre le pays à l’index. Toutefois, nous considérons que le rapport est passé à côté d’une réalité plus sensible, à savoir que le modèle économique tunisien s’est essoufflé et c’est peut-être là la condition de son inertie actuelle. Il faut aller chercher la croissance là où elle se trouve, c’est-à-dire dans l’économie du savoir, dans l’autonomie des régions, dans la modernisation des parcs-machines des entreprises industrielles. Et tout cela n’est pas dit dans le rapport.