Les Etats-Unis rattrapés par la flambée des inégalités sociales

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à Détroit dans le Michigan le 29 décembre 2014 (Photo : Joshua Lott)

[21/01/2015 07:05:39] Washington (AFP) L’état de l’Union dressé mardi par Barack Obama en est l’illustration: la flambée des inégalités sociales aux Etats-Unis a fini par s’imposer en haut de l’agenda politique dans un pays pourtant en plein boom économique.

Dans son allocution annuelle à la nation, le président américain a ainsi dévoilé une série de mesures afin d’infléchir le mouvement sans précédent de concentration des richesses aux mains des plus fortunés.

“Accepterons-nous une économie où seuls quelques-uns d’entre nous s’en sortent de manière spectaculaire?”, s’est interrogé M. Obama.

A l’heure actuelle, une poignée de familles américaines (0,1%) détient 22% de la richesse du pays alors qu’elle en possédait seulement 7% à la fin des années 1970, selon les travaux de deux économistes français, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.

Les Etats-Unis abritent par ailleurs le plus gros contingent d'”ultra-riches” dans le monde, avec quelque 75.000 individus qui détiennent 10.265 milliards de dollars, soit près des deux tiers du produit intérieur brut américain, relevait la banque suisse UBS dans un récent rapport.

Dans le même temps, les classes moyennes ont vu leur richesse stagner quand leurs épargnes et leurs retraites n’ont tout simplement pas été rognées par la crise financière de 2008-2009. Le patrimoine moyen des 90% des familles les moins riches s’élevait à 80.000 dollars en 2012, soit le même niveau qu’en… 1986, selon Zucman et Saez.

“Ce qui se passe ce n’est pas tant que les pauvres se font matraquer mais c’est que les très riches se portent extrêmement bien”, analyse pour l’AFP Justin Wolfers, chercheur au Peterson Institute.

– L”american dream’ en question –

Le débat sur la répartition des richesses a toutefois longtemps été retardé, d’abord par le lent rétablissement de l’économie américaine après la Grande Récession de 2008-2009 mais aussi par une croyance solidement ancrée dans “l’american dream” et les possibilités d’ascension sociale.

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à la nation le 20 janvier 2015 à Washington (Photo : Mandel Ngan)

“Traditionnellement, les Américains aiment se voir comme une société sans classes sociales, ou tout le monde peut connaître une ascension jusqu’aux sommets”, explique à l’AFP Amy Traub, analyste chez Demos, un centre de réflexion sur les inégalités.

“Il y a une plus grande empathie des travailleurs de la classe moyenne vis-à-vis des très riches, tout simplement parce qu’ils espèrent que leurs enfants en feront partie”, abonde M. Wolfers.

Les paradoxes de l’actuel boom économique aux Etats-Unis ont toutefois fait vaciller ces croyances.

Malgré une croissance florissante (5% en rythme annualisé au troisième trimestre 2014) et un chômage au plus bas en six ans, de nombreux Américains restent sur le bas-côté.

Le salaire horaire moyen a ainsi reculé en décembre aux Etats-Unis et était, en novembre, à peine plus élevé qu’en 1964, en dollars constants.

Le salaire minimum est, lui, bloqué à son niveau actuel (7,25 dollars de l’heure) depuis 2009 en dépit de vastes mouvements de protestation de salariés de fast-food aux Etats-Unis.

“Les mouvements sociaux ont permis de rendre le grand public davantage conscient du fossé grandissant entre les très riches et les autres”, affirme Mme Traub.

Le succès retentissant de Thomas Piketty aux Etats-Unis et de son ouvrage “Capital au XXIe siècle” a également marqué les esprits à Washington. Convié à la Maison Blanche, reçu sur tous les plateaux TV, l’économiste français n’a cessé de pointer l’aggravation “spectaculaire” des inégalités dans le pays.

Le président Obama semble en être convaincu est s’empare donc aujourd’hui du débat. Mais certains de ses adversaires républicains ne sont pas en reste. Son ancien rival dans la course à la Maison Blanche, Mitt Romney, a ainsi lui aussi dénoncé vendredi l’aggravation des inégalités et le fait que “les riches soient devenus plus riches”.

Les mesures annoncées par M. Obama, mêlant taxation des hauts revenus et crédits d’impôt pour les autres, suffiront-elles à inverser la tendance? Globalement, les experts saluent l’initiative mais restent réservés sur son impact, notamment en termes de créations d’emplois.

“C’est une des graves lacunes de ces propositions qui se font à équilibre budgétaire constant. C’est un problème parce que cette approche limite les investissements publics sur les infrastructures”, qui sont créateurs d’emplois, relève pour l’AFP Ben Zipperer, du Center for Equitable Growth de Washington.