Pénurie au Venezuela : faire la queue devant les magasins devient un métier

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é de Caracas, le 13 janvier 2015 (Photo : Federico Parra)

[15/01/2015 07:48:15] Caracas (AFP) C’est une conséquence inattendue de la grave pénurie qui touche les biens de première nécessité au Venezuela: un nouveau métier est né, celui de professionnel de la file d’attente, chargé par d’autres de faire la queue devant les magasins.

Pour Krisbell Villarroel, mère célibataire de 22 ans avec deux filles de cinq ans et un an, le quotidien se résume désormais à un réveil matinal, des heures à faire la queue, puis la revente des produits achetés auprès de ses clients, qui paient un supplément pour récompenser ses efforts.

“Tous les jours il faut se lever à 2 heures du matin”, raconte-t-elle à l’AFP, dans la cuisine de sa modeste maison de la banlieue de Caracas.

Dès l’aube, les premières files d’attente se forment devant les supermarchés et les pharmacies.

La routine de Krisbell, c’est “sortir de la première file à 10h et peut-être aller dans une autre pour voir ce qu’ils vendent. Et passer la journée ainsi, à voir ce qu’on peut obtenir”.

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é de Caracas, le 13 janvier 2015 (Photo : Federico Parra)

“Peut-être dans un magasin nous réussissons à avoir du lait, du sucre ou du café, mais dans une autre il y a de la farine, du riz, des couches ou du shampoing”, dit-elle.

Ses clients? “Des personnes, dans des maisons familiales, qui n’ont pas le temps ni la nécessité d’être dans une queue. Ce sont des hommes d’affaires, ils ont leur propre vie et les moyens de payer quelqu’un” pour faire la queue à leur place.

De nombreux propriétaires de restaurants à Caracas ont affirmé à l’AFP avoir, parmi leur personnel, un employé recruté uniquement pour arpenter les files d’attente des supermarchés et des boutiques, afin de trouver les produits nécessaires à leurs menus.

– ‘Tout a un prix’ –

Car au Venezuela, près d’un produit basique sur trois manque, car dans ce pays qui applique un strict contrôle des changes depuis 2003, les entreprises n’ont souvent pas les dollars nécessaires pour importer les biens ou pièces indispensables à la production.

Pendant ce temps, les prix des produits disponibles s’envolent, avec une inflation de 64% sur un an en 2014.

Ces derniers jours, face à des files d’attente toujours plus longues et l’éclatement de quelques échauffourées, le gouvernement a ordonné aux forces de sécurité de surveiller les supermarchés d?État et privés.

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é à Caracas, le 13 janvier 2015 (Photo : Federico Parra)

Dans certaines régions, il est désormais interdit de faire la queue la nuit face aux supermarchés.

Pour son temps passé dans les files, Krisbell touche entre 600 et 1.200 bolivars par commande et par jour (3,6 à 7,1 dollars au taux de change du marché noir). Sur un mois, elle gagne au moins 13.200 bolivars (79 dollars) en revente des produits à ses clients… plus que le salaire de certains professeurs d’université.

Mais elle regrette de devoir souvent emmener ses filles avec elle : “on ne me laisse pas passer en premier. Je dois rester à attendre, et c’est plus dur encore parce que les enfants sont très agités, ils se fatiguent”.

Parfois, elle négocie avec les vendeurs informels, les mieux organisés car ils s’arrangent toujours pour être en premier dans la file. Ils la laissent passer devant, mais pour cela elle doit payer car “tout a un prix”.

Même si son métier est atypique, Krisbell est sûre de “ne pas violer la loi”. “Si le problèmes des files d’attente se résout, je devrai chercher un autre travail pour m’en sortir avec mes filles. Je suis seule avec elles, c’est pour ça que je le fais. Et il y en a beaucoup comme moi”, assure-t-elle.