Tunis – Elections 2014 : Le jeu de 3 familles à la présidentielle

tunisie-wmc-marzouki-ghannouchi-essibsi-hammami.jpgLaissons de côté les querelles post-électorales sur les sondages, leur véracité et les résultats attendus! On aura un duel BCE-MMM au deuxième tour et ceci était bien attendu! La bipolarisation a été voulue ou souhaitée par tout le monde, et elle n’a rien d’exceptionnel dans toutes les démocraties surtout pour un scrutin présidentiel où la personnalité des candidats prime sur les programmes.

Cependant, les résultats préliminaires des présidentielles nous renseigne sur l’évolution de l’opinion publique en ligne directe de ce qui s’est passé pour les législatives. Au-delà des partis en lice, la recomposition du paysage politique tunisien entamée en octobre 2014 continue.

Dès les premiers jours de la révolution et à travers la liberté retrouvée, la scène politique, longuement amorphe sous la chape de plomb de la dictature, s’anime et on voit les grands courants d’idées et les grandes familles politiques qui ont jalonné l’histoire de la Tunisie moderne ressurgir.

Les islamistes tiennent tout de suite le haut du pavé, auréolés par leur passé militant contre la dictature et par le prix exorbitant qu’ils ont dû payer souvent pour leur idéologie. Mais ils n’étaient pas les seuls sur l’avenue Bourguiba et la multitude de groupes de gauche, marxiste, unioniste et baathiste s’est manifestée bruyamment pour rappeler ses diverses batailles non pas contre Ben Ali uniquement mais déjà contre Bourguiba lui-même!

Les islamistes du Mouvement Ennahdha et des autres groupes proches comme les salafistes, Hizb Ettahrir et similaires, ont eu le vent en poupe après les élections du 23 octobre et l’obtention par Ennahdha de la première place à l’ANC.

Cependant, la gauche, bien que divisée en une multitude de candidatures à ces élections, a su se maintenir sur la scène. Les soubresauts de la scène politique, la formation du Front Populaire et les assassinats de Belaïd et de Brahmi opèrent une métamorphose profonde chez «le peuple de gauche» qui lui a permis de dépasser ses légendaires divisons idéologiques.

Les résultats des législatives et du premier tour de la présidentielle 2014 ancreront définitivement le Front Populaire comme une des grandes forces politiques du pays, appelée même à être le principal arbitre du deuxième tour de la présidentielle à la faveur du score de Hamma Hammami.

L’autre grande famille idéologique du pays, la famille «destourienne» a d’abord été sonnée par la chute de Ben Ali et l’absence de perspectives pour elle devant le rejet par le peuple de toute référence au passé de Ben Ali et même de Bourguiba!

Le pays a souffert pendant plus de 50 ans du pouvoir absolu soutenu par les destouriens anciens (de Bourguiba) ou nouveaux (de Ben Ali). Cependant, beaucoup de Tunisiens se considèrent comme des destouriens malgré les vicissitudes de l’histoire du patriarche Bourguiba et de Ben Ali.

Rapidement, une multitude de petits partis s’est constituée se réclamant de l’héritage du père de l’indépendance et d’un droit d’inventaire de l’ex-RCD. Les divergences des lectures de cet héritage poursuivront la famille destourienne après moult recompositions pour arriver aux législatives de 2014.

Les législatives signent le grand comeback des destouriens à travers l’idée du très fin politique Béji Caïd Essebsi en créant Nidaa Tounes. Le Nidaa, sans être franchement destourien, a été le refuge des beaucoup de destouriens et même des anciens RCD. BCE a pu emprunter l’héritage de son mentor Habib Bourguiba et il a su, avec son charisme personnel, en faire une machine de guerre politique qui a d’abord sabordé l’expérience de la Troïka d’Ennahdha et a ensuite gagné haut la main les législatives et le premier tour de la présidentielle.

Dans ce contexte, on trouve les vrais paramètres du deuxième tour de l’élection présidentielle puisque le candidat Moncef Marzouki ne doit sa présence au deuxième tour qu’au transfert des voix massif des islamistes. Il peut esquiver ou nier cette réalité mais les données politiques, géographiques et sociales sont têtues. Moncef Marzouki est aujourd’hui le porte-drapeau des islamistes en face des destouriens et de la gauche en troisième position. Les électeurs ont fait le tri avec beaucoup de netteté (en dehors des énigmatiques scores de l’UPL de Slim Riahi) et ont éliminé toutes les nuances pour se concentrer sur les familles essentielles de toute l’histoire de la Tunisie.

Le deuxième tour de l’élection présidentielle sera le jeu de 3 familles.