Tunisie : Financement alternatif… Le renouveau

Le pays est à la recherche d’un nouveau modèle économique. L’innovation serait son moteur et la start-up, son véhicule. Cependant, une start-up a besoin de mécanismes de financement dédiés, et d’experts en accompagnement pour la prendre en mains. Elle a besoin, en somme, d’un écosystème propre.

La philosophie de ce métier est que la perspective du multiplicateur de rendement, pour les happy few qui réussissent, doit neutraliser l’inhibition des pertes causées par l’échec du gros du bataillon. Tel est le crédo du financement alternatif.

econoie-radisocopie-680.jpg“Carthage Business Angels“ se veut une association citoyenne. Elle est montée au créneau jeudi 19 avril, lors d’une journée de réflexion autour du système de financement alternatif, dans notre pays.

On l’aura compris, il s’agit du système de financement de l’innovation et de la promotion de la start-up. Maher Kallel, Mondher Khanfir, Mehdi Khemiri et les autres membres de l’Association n’ont pas envie de faire leur business, en mode cocooning. Avec Jalloul Ayed, leur président d’honneur, ils ont envie d’aller au pas de charge. Ils croient -et nous partageons leur conviction- qu’il faut reconfigurer l’écosystème du financement de la start-up dans le pays. Il ne s’agit pas que de bousculer les habitudes mais également les esprits. L’onde de choc va jusqu’à déterminer le rôle de l’Etat et celui du secteur privé dans la configuration à trouver.

Mettre sur pied un écosystème dédié à la start-up

Il est vrai qu’il existe un arsenal de mécanismes de financement, de mesures de soutien, d’outils d’appui, de structures de financement, de textes réglementaires. Mais ils sont jetés pèle mêle.

Un framework, pour être efficace, doit être cohérent et structuré. A l’heure actuelle, nous avons un patchwork, certes avec des instruments bien pensés, mais qui n’ont pas une cohérence d’ensemble. Il manque une philosophie du métier, ce qu’on appelle une alchimie.

Nous sommes donc à la recherche d’un écosystème approprié. Oui il nous faut créer une Silicon Valley national. Oui, vous avez bien lu, une Silicon Valley tunisienne. Il faut bien se dire que la start-up est une souche particulière. Les spécialistes de la question l’expriment bien en remontant à la théorie du seed comprenez la graine en anglais. Le financement de la start-up ce n’est jamais un cadre figé, un code, un guichet unique, des textes. Il lui faut un environnement dédié. C’est-à-dire un univers où l’idée peut naître, prendre forme et trouver acquéreur financeur. C’est à cela que se résume une Silicon Valley.

Préparer le terrain aux “success stories“

Quand Jalloul Ayed parle de la théorie du seed, c’est dans l’espoir que le pays en arrive à casser de la graine grâce à l’innovation. La graine passe par diverses étapes de croissance, et à chacune de ses étapes, toute négligence lui sera fatale. Si par contre elle est suivie à chaque séquence de son cycle de maturation, on est quasiment sûr qu’elle donnera les meilleurs rendements.

C’est donc pour attirer l’attention sur le fait qu’à chaque étape de sa croissance, elle a besoin d’un apport et d’un soin déterminés. Si on systématise la prise en mains et qu’on professionnalise le suivi, la récolte sera à son top niveau. Il faut donc du volontarisme et de l’expertise dans l’accompagnement des start-up.

En transposant la théorie de la graine vers le milieu d’affaires, Jalloul Ayed, qui s’est lancé lui-même dans une expérience d’incubateur pour venir en aide, sur sa propre épargne, à de jeunes talents, tant il croit au process, entend qu’il faut sécuriser le parcours du combattant/promoteur. Il ne s’agit pas de légiférer ou de réglementer de nouveau mais bien d’aider l’environnement des affaires à muter en conséquence.

Le pari de reproduire des “self made men“ en grande série

Des bonnes graines, il peut en pousser partout. L’Amérique, c’est l’eldorado pour ce genre d’expériences. Mais pas seulement l’Amérique, rétorque Jalloul Ayed. L’exemple cité par le conférencier est celui de Ross Perot. Ce dernier a claqué la porte d’IBM, renonçant à un job en or pour fonder une SSII, ce qui était pour l’époque un pari fou. Sa graine à lui c’était Electronic Data System (EDS) qu’il a créée avec 1.000 dollars. Trente ans plus tard, il revendait sa boîte à plusieurs milliards de dollars.

Mais ce banco de la perspicacité et de l’audace a pu être réussi dans un environnement africain qui est aux antipodes du milieu américain. Mohamed Ibrahim, ingénieur soudanais, s’est frayé sa voie dans les télécom en Afrique. Il a vu venir l’âge d’or de ce secteur d’activités et a pris les devants. Pour avoir pris la vague au bon moment, il a triomphé des accidents du terrain. En bout de course, sa graine, Celtel, est présente dans 14 pays et compte un réseau de 24 millions de clients. Lui aussi a touché le jackpot.

La conclusion de Jalloul Ayed est qu’il convient donc de structurer la filière du financement de la start-up pour que ce phénomène puisse se reproduire en grande série. Le travail doit être fait de concert avec les pouvoirs publics. Le privé se chargera du financement, donc de la partie risquée. Et selon les dirigeants de CBA, les bonnes volontés ne manquent pas. Jalloul Ayed rappelle qu’il existe 300.000 business angels aux Etats-Unis et que, de toutes les façons, la filière du financement est entièrement privée et qu’elle compte vingt sources de financement différentes.

Quel rôle pour l’Etat, dans ces conditions? L’appui en bout de chemin. Il existe bien, disait-il, un ministère de Small Business aux Etats-Unis qui veille à ce que les start-up parviennent à se faire les dents en leur réservant le tiers des commandes publiques. Voilà la boucle est bouclée.

Quelle nouveauté, en fin de compte?

Le capital-risque a souffert du legs du réflexe du financement par le crédit. A présent cela semble dépassé parce que les capital-risqueurs n’exigent plus de garanties. Mais, rappellent les business angels, ce n’est pas pour autant qu’ils ont les meilleures dispositions d’esprit envers les promoteurs.

Le système bloque toujours. La raison est que les capital-risqueurs, après avoir renoncé aux reflexes du credit man, se découvrent une phobie face au risque de perte de leur mise. Ce qui est une nouvelle raison d’inhibition et cause une nouvelle entrave au financement.

Le système ne peut se développer à ces conditions-là. Comment se sortir d’affaires? Un opuscule technique préparé par Mondher Khanfir reproduit le process de développement de la start-up, inspiré par la théorie du seed et qui reproduit la nature du vis-à-vis appelé à intervenir.

C’est vrai que c’est une filière mais de plusieurs natures de compétences. Celui qui finance le “early stage“ a une sensibilité professionnelle différente de celui qui le relie pour financer le prototypage, lui-même très éloigné de celui qui doit financer ultérieurement, le développement indique la voie. C’est comme le triathlon. Evidemment tout n’est pas rose car beaucoup peuvent trébucher engloutissant dans leur chute la mise de l’investisseur. Mais le multiplicateur en cas de succès doit couvrir toutes les pertes et laisser un pécule conséquent. Le pays n’a pas le choix, le plus tôt il met de l’ordre dans cette chaine, mieux ce sera.