Paiement des salaires des Tunisiens, la peur au ventre !

tunisie-sauvetage-01.jpgCes derniers jours, officiels et médias ont affirmé que l’Etat tunisien aurait des problèmes à payer les salaires des fonctionnaires pour les mois à venir. Cette situation de difficultés a été expliquée par certains, essentiellement, par l’importance des remboursements liés aux services des dettes internes et externes du pays. Néanmoins, les analystes et surtout les responsables gouvernementaux imputent cette position chaotique au déficit enregistré au niveau des différents soldes des finances publiques qui a atteint un niveau grave et incontrôlable. Malheureusement, il s’agit d’un signal négatif émis aux agents économiques et aux citoyens qui endurent, actuellement, des sentiments de peur et d’incertitude insupportables.

Pour mémoire, il faut rappeler que plusieurs experts ont signalé, depuis au moins un an et demi, que les autorités financières nationales éprouvent de plus de plus de problèmes pour boucler les salaires des fonctionnaires et des agents de l’Etat, et ce en raison des contraintes qu’elles subissent, de manière récurrente, pour trouver les ressources additionnelles permettant de constituer la masse salariale.

Certains mois ont été particulièrement difficiles. D’ailleurs, l’analyse des différents bulletins d’exécution budgétaire a montré, à maintes reprises, que les dépenses de fonctionnement et particulièrement la masse salariale ont été mobilisés à la faveur de plusieurs encaissements sur les dizaines de crédits extérieurs obtenus et les tirages sur l’emprunt de péréquation contracté auprès du Fonds monétaire international.

Différentes problématiques se posent, à ce titre, notamment en ce qui concerne l’aspect juridique se rapportant à l’exigence de la rémunération du service fait, l’impact sur l’investissement et la consommation privés et surtout la probabilité de la survenance de troubles sociaux de grande ampleur qui pourraient secouer la stabilité et la paix sociales.

Avant d’aborder deux questions fondamentales relatives à l’explication de la position désastreuse qui caractérise les fondamentaux des finances publiques actuellement et les solutions possibles qui pourraient être envisagées, du moins pour sauver les meubles en changeant l’ordre des priorités, il est important de rappeler les dysfonctionnements qui ont marqué la gestion budgétaire, surtout au cours des deux dernières années.

Comment le pays s’est retrouvé dans pareille situation ?

L’analyse du déséquilibre budgétaire, estimé à fin décembre de l’exercice 2013 à 2.995 millions de dinars et qui a été nettement accompagné par un écart global de liquidité nettement élevé et évalué à son tour à 4.714 millions de dinars, selon les derniers paramètres déclarés et un déficit au niveau du compte du capital du pays de –1.095 millions de dinars, renvoie, nécessairement, à essayer de comprendre les principaux rouages, au sens général, de la gestion des équilibres des finances publiques en Tunisie.

Il s’agit, à ce titre, d’un champ d’étude simple et basé sur des règles et des opérations relatives aux deniers publics à la croisée du droit fiscal, du droit constitutionnel, ainsi que de la comptabilité publique.

Les principes généraux des finances publiques s’articulent, essentiellement, autour du principe d’unité budgétaire, du principe de spécialité et d’un standard fondamental se rapportant à l’équilibre budgétaire.

Le solde des ressources publiques hors emprunts et des dépenses publiques qui doivent être synchronisées en termes de maturité est l’excédent public ou le déficit public de l’année. Plusieurs ratios permettent de juger le niveau de l’équilibre et de la performance des finances publiques d’un pays à l’instar du déficit public rapporté au Produit Intérieur Brut (PIB), des dépenses publiques divisées par le PIB et de la part des prélèvements obligatoires au PIB.

En Tunisie, il a été remarqué un accroissement du budget général entre 2012 et 2014 de 20,9% suite à l’explosion des dépenses de fonctionnement, notamment durant les deux dernières années dont la valeur avoisine les 17.750 millions de dinars, au titre de l’exercice 2014, dont une enveloppe de 10.555 millions de dinars allouée pour la masse salariale. Les charges incompressibles prévues pour le remboursement des emprunts, en principal et intérêts, et la compensation seront respectivement de l’ordre de 4.675 et 4.292 millions de dinars.

Evidemment, ce qui intrigue au niveau de la lecture des chiffres est que bien que les deux derniers gouvernements sortants aient profité, rien qu’entre 2012 et 2013, de 16 milliards de dinars de crédits extérieurs, un montant vraiment inégalé et au vu d’un degré de réalisation des projets de développement qui n’a pas dépassé 40% pour un budget moyen de 4.500 millions de dinars, on dégage actuellement un déficit qui dépasse 7%, et on constate avec amertume que tous les emprunts contractés ont été utilisés pour la consommation hypothéquant, aujourd’hui et probablement pour les années à venir, totalement la situation des finances publiques tunisiennes et ses équilibres vitaux.

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Amine Khechine, Marsad.tn, Communauté OpenGovTN, Dernière mise à jour : 28 décembre 2013.

Compte tenu des éléments précédemment exposés et par rapport à une recette fiscale prévue pour l’exercice en cours de 17.897 millions de dinars dont la génération est très limitée par les capacités des acteurs économiques à dégager des excédents de résultat, un grand dilemme inquiète les experts et les analystes en ce qui concerne la gestion des déficits, de tout genre, pour que l’Etat tunisien soit en mesure d’honorer ses engagements intérieurs et extérieurs.

Perspectives

A la lumière de ce qui a été exposé, atteindre une situation de défaut ou du moins des difficultés graves surtout pour subvenir aux besoins de fonctionnement gouvernementaux ne sont pas des éventualités à exclure totalement. Les risques sont évidemment multiples et ne sauraient pas comparables à ceux survenus en Grèce ou au Portugal.

Mise à part la prévision d’une position sociale qui pourrait s’illustrer par des troubles graves voire par des émeutes, à l’instar de celles vécues par plusieurs pays, notamment en Afrique ou en Amérique Latine, l’évolution des conditions économiques serait marquée, par trois caractéristiques essentielles: d’abord, des pénuries de la liquidité centrale qui marqueraient le marché monétaire et interbancaire au vu du niveau attendu de la contribution du secteur public dans la dynamisation de l’activité économique; ensuite, il serait fort probable que le secteur privé subirait, par effet inversé de tendance, les conséquences du grippage du système public; et enfin, les risques combinés du glissement et de dépréciation du dinar tunisien seraient extrêmement élevés en raison du creusement du déficit courant.

Le recours à la souscription au niveau de l’emprunt obligataire national et le recours aux tirages restants du prêt de péréquation octroyé à la Tunisie par le Fonds monétaire international pourraient alléger, certes, la sévérité des risques susmentionnés, mais les moments partiels de leur couverture s’allongeraient en fonction de l’évolution du climat d’incertitude et de la possibilité d’un dysfonctionnement probable au niveau des secteurs clés de l’économie.

Néanmoins, officiels, société civile et partis progressistes doivent tirer les leçons de tout ce qui s’est passé durant ces deux dernières années pour mettre le pays sur la voie de la bonne gouvernance budgétaire et financière et se conformer aux principes de la gestion des risques économiques en temps de chocs endogènes et exogènes.

Afin de promouvoir la croissance économique et le développement durable, un État efficace devrait être en mesure de mobiliser des recettes, d’emprunter avec prudence, de planifier et de gérer les dépenses des deniers publics de manière efficace et efficiente, et de justifier l’utilisation des fonds et les résultats obtenus.

La gestion saine des finances publiques contribue à ces résultats grâce à ses éléments de transparence, de participation, de réactivité, de supervision, d’obligation de rendre compte et de prévisibilité. Il s’agit d’éléments de bonne gouvernance financière, un préalable pour le développement économique et social d’un État et un domaine auquel le travail intéresse plusieurs instituts de recherches tout particulièrement.

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Source : Institut de la gestion publique et du développement économique, Mylène Orange-Louboutin, juin 2013.

A cet égard, les autorités nationales doivent appuyer les plans de travail conjointement avec les organisation internationales et les institutions de contrôle des finances publiques et s’activer pour participer aux multiples forums sur l’administration fiscale pour entamer la réalisation d’études fondamentales de recherche en matière d’application des bonnes pratiques en matière de gestion budgétaire et financière.

Des rapports doivent être élaborés, incessamment, pour couvrir et délimiter les multiples et plusieurs domaines importants concernant la bonne gestion financière et financière, tels que la gouvernance fiscale, la préparation et d’exécution du budget, la gestion de l’endettement, l’audit de l’hors bilan de l’Etat et la supervision législative des finances publiques.

Ces rapport d’activité doivent rendre compte des niveaux d’application de la bonne gouvernance des finances publiques dans notre pays tout en dégageant les limites et définir les responsabilités.

Il est inquiétant d’observer notre pays aujourd’hui comme cas d’école en matière d’affectation des ressources d’emprunts de longue maturité pour satisfaire les besoins des dépenses courantes et faramineuses d’un Etat qui vit au dessus de ses moyens. Le comble est que des revenus exceptionnels provenant des opérations de privatisation et de la confiscation ont été intégrés au niveau des volets relatifs aux frais salariaux et de fonctionnement au lieu de les affecter dans des comptes spéciaux profitant aux générations futures.

Trop de leçons doivent être tirées d’une gestion budgétaire et financière désastreuse qui a caractérisé le pays durant deux ans, et il est temps de demander, à cet égard, de rendre des comptes.