Veiller pour diriger, est-ce possible en Tunisie?

indice-industrie-680.jpgOn évoque, à ce niveau, un concept qui a fait son apparition, en Occident, juste après la Deuxième Guerre mondiale où la conscience de renouveler les méthodes de renseignement pour les Etats et les décideurs gouvernementaux était considérée comme impérative.

En conséquence, les recherches et le développement des activités liées à la collecte et au traitement de l’information ont commencé à servir de base aux structures administratives pour permettre de mener à bien la planification des programmes de développement et d’améliorer, en permanence, les capacités d’anticipation des chocs et des crises.

Sans s’attarder sur l’aspect conceptuel, la veille est perçue, d’une manière globale, comme une approche organisée d’assemblage, d’étude et de transmission de l’information avec des déclinaisons dans tous les domaines d’étude prospectiviste.

L’objectif principal est la surveillance et le décryptage des paramètres d’évolution de l’environnement, au sens large, pour détecter des signaux d’alerte précoce dévoilant des propensions émergentes. Sur ce plan, le recours aux différentes méthodes de collecte et de tri de l’information est possible, que ce soit à travers le facteur humain ou en utilisant les technologies appropriées. Cette façon de faire permet de mieux se placer et de faire face aux aléas.

A ce titre, la veille englobe des actes d’influence dans le sens où elle pourrait changer avantageusement l’environnement, et vraisemblablement à modifier les règles du jeu en profitant de standards favorables. Le défaut du contrôle des programmes d’influence conduit à répondre avec retard ou de façon inadéquate à des problématiques imprévues et non anticipées.

L’expérience locale

Depuis les années 1960, la Tunisie a opté pour le système de la planification, noyau dur du dispositif de veille stratégique de l’action gouvernementale. Ainsi, le pays vivait à la cadence de plans qui étaient de portée triennale, puis sont devenus quinquennaux. Ceux-ci comportaient les principes et les objectifs essentiels du développement. Une estimation continue sur l’état escompté des réalisations est accomplie au terme de chaque exercice budgétaire.

Suite à la crise économique et financière de 2008, l’administration tunisienne s’orientait vers l’élaboration des plans mobiles pour une meilleure actualisation des objectifs et une anticipation des chocs qui commençaient à peser lourdement sur la sphère socio-économique, des évaluations à mi-chemin ont été faites mais les structures dirigeantes débutaient une certaine dislocation dont les raisons sont multiples.

Rappelons tout de même que l’administration tunisienne pourrait servir de modèle en matière de gestion par objectifs et de déploiement des efforts de veille au sens moderne du terme.

En fait, l’élaboration d’un plan de développement était, constamment, la résultante d’un important travail d’étude, de navette d’informations, et de synchronisation au sein des structures centrales et régionales. La mise en place des objectifs collait, en règle générale, avec la réalité et la date de leur établissement.

L’information, outil politique.

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Source : Le réseau gouvernemental de veille, 21siecle.com, Mars 2014

Sur un autre plan et en se basant sur le fait que nous sommes passés d’une société où l’élément fondamental est l’échange de produits à une société où l’élément fondamental est l’échange d’information et où les transactions ont chaque fois plus une composante d’information par rapport à leur composante de produit, l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), entendant améliorer les services rendus à ses adhérents et à la communauté des décideurs de façon générale, a mis en place le Centre tunisien de veille et d’intelligence économique (CTVIE).

Le but n’est pas seulement de renseigner sur les mutations environnementales et leurs enjeux. Bien loin, il s’agit d’inscrire les acteurs socio-économiques dans une approche prospective à même de leur permettre d’anticiper l’avenir et surtout de le façonner au gré de leurs besoins stratégiques.

Globalement, les objectifs s’articulent autour du développement des analyses prospectives et la mise en place d’un système d’alertes. En termes d’outputs, il s’agit de l’offre d’un paquet de produits d’informations triés, classés et interprétés de manière à aider la prise de décision qui comprend des informations publiques et disponibles, toutefois difficiles à déceler et prévaloir à cause de la massification de l’information. Elles sont triées et constamment actualisées sur l’ensemble des domaines.

On offre aussi des informations moins accessibles et qui nécessitent une fouille particulière basée sur un dispositif de collecte spécifique. Elles relèvent donc du renseignement sans pour autant constituer une entrave à l’éthique professionnelle; ce produit comporte également des indications sur les meilleures pratiques pour la protection de l’information afin de la préserver des intrusions malveillantes qui peuvent porter préjudice à sa dimension planificatrice.

L’alerte est aussi un autre produit offert et qui est dérivé de la veille et de l’intelligence qui met à la disposition de l’utilisateur une sélection d’informations qui doit retenir son attention en priorité.

Les alertes sont d’une grande utilité. En arrivant à temps, elles permettent d’ajuster les décisions et de tirer profit des nouvelles situations auxquelles on s’expose avant que l’information ne soit diffuse, partagée et, par conséquent, sans valeur ajoutée. Ce produit comporte également des indications et des recommandations sur les meilleures répliques.

Tous les produits susmentionnés sont brassés dans une approche de prospective dans le sens d’un ensemble d’explorations de futurs scénarios possibles sur la base des tendances lourdes et des signaux de changements éventuels. Ces analyses sont destinées à permettre d’anticiper l’avenir, saisir des opportunités et éviter des menaces.

Nouvelles tendances

Depuis une dizaine d’années, plusieurs gouvernements européens ont entamé la création de réseaux de veille intégrée sur les politiques publiques à travers des dispositifs ministériels de veille technologique ou spécifique. A ce titre, diverses initiatives structurées de veille ont été mises en œuvre, notamment via des réseaux dédiés principalement à la veille sur les activités administratives, les stratégies de gestion de ressources humaines, les secteurs économiques clés et la gouvernance publique.

Les objectifs, à cet effet, étaient l’amélioration de la gouvernance en diffusant l’information sur les propensions majeures auprès des décideurs, la participation à transférer une conception collective des mutations afin d’accroître l’adaptation au niveau de l’action gouvernementale et la création d’une culture d’échange et de cohérence au sein de l’administration publique. Le Premier ministère est généralement chargé de la coordination des travaux des réseaux précités.

Parallèlement, la finalité est de renforcer les capacités des ministères et des corps du pouvoir à confronter leurs politiques avec celles d’autres gouvernements et de dégager une vision commune de l’évolution de l’environnement et des changements d’approches portés ailleurs en matière des politiques publiques afin de déterminer les nouvelles tendances, couvrir tout le contour des sujets de contrariété d’une société en économie, fiscalité, finance, technologie, culture, éducation, santé, revenu, etc.

Ainsi, la veille, telle qu’elle est conçue par les gouvernements, améliore l’efficience des politiques publiques, assure leur renforcement pour faire des structures de gouvernance des organismes anticipant les risques et les menaces, de toute nature, dans un contexte général de compréhension des enjeux de société.

Globalement, les évaluations des expériences modernes de la veille gouvernementale ont montré leur caractère probant comme vrai détecteur stratégique essentiel à l’élaboration des priorités et à la prise étudiée des décisions.

Cependant, les défis demeurent de taille pour maintenir le rythme, garder la vitalité des communautés tout en apportant l’appui considéré aux autorités.

Quid du contexte tunisien?

Revenons au contexte tunisien et particulièrement dans l’état actuel des choses. Instaurer les jalons d’un environnement de veille permettant le renforcement de la gouvernance par l’analyse méthodique des tendances majeures qui pourraient impacter les politiques publiques paraît comme nécessitant l’adoption de plusieurs préalables.

Il est judicieux, à ce titre, de concourir à affermir la cohérence de l’action gouvernementale par une vision répartie des défis et des réponses qu’elle exige. L’absence de liens consolidant la veille avec les autres mécanismes de gouvernance, notamment la planification stratégique, est un grand handicap qu’il faut lever.

Par ailleurs, La définition de sujets ou cibles de veille doit être estimée comme préalable de grande importance. On distingue, de ce fait, deux types de sujets de veille, à savoir les cibles-réseau -qui sont des thèmes de veille jugés prioritaires par les décideurs pour circonscrire les zones de recherche d’information établies en fonction des priorités gouvernementales-, et les cibles ministérielles ou sectorielles -qui sont, de leur part, des thèmes établis en fonction des priorités des organisations et en cohérence avec les priorités gouvernementales.

Dans notre pays et au vu des paramètres de l’environnement, la surveillance est essentielle et doit être continue des domaines brûlants en termes d’exigence de réforme afin de positionner le gouvernement par rapport aux tendances qui risquent d’affecter la nation, et ce en dehors de la logique administrative figée.

Il s’agit, essentiellement, de la cohésion sociale, la gouvernance, la gestion des risques, la dynamique régionale et les défis de la mondialisation.