Afrique : Le pari sur le “Génie“


afrique-20072013-l.jpgLe
Continent veut se rendre maître de son niveau de croissance économique, sans
avoir à être balloté par les revers de ses principaux partenaires dont
l’Amérique, l’Asie et l’Europe. Vivant au ralenti, tous trois, impactés par la
crise, peuvent “casser“ la croissance en Afrique. Pour se protéger
définitivement des retombées exogènes défavorables, l’Afrique s’invente un deal:
parachever son infrastructure de base et, par fait d’additionnalité, garantir
son pacte de croissance à l’horizon 2050.

Elle explore, lors d’un sommet réuni à Tunis, les moyens de réunir le trésor
de guerre nécessaire à cet objectif d’émancipation économique. Elle compte, en
cela, sur ses propres efforts.

Les temps sont bien difficiles. Même l’euphorie chinoise est retombée, après que
l’Amérique résiste à peine et que l’Europe ne parvient pas à se relever. La
croissance chinoise est revue à un palier maigre de 7%, inimaginable il y
quelques années.

Au vu de ce tableau maussade, Dr Donald Kaberuka, président du groupe de la BAD,
relève le défi et affirme que cela ne doit pas nous retomber sur la tête et
hypothéquer notre croissance future.

Après une décennie de croissance soutenue, l’Afrique ne doit pas retomber dans
l’expectative. Retroussons les manches et prenons notre destin en mains.
Inscrivons-nous en rupture par rapport à notre train-train coutumier,
secouons-nous. Et, derrière lui, on voit s’inscrire en gros caractères,
“Business is not as usual“, c’est un cri de guerre. Cela se passait ce vendredi
19 juillet à Tunis, à l’ouverture du “Sommet de Tunis“, co-organisé par la
Banque africaine de développement (BAD), la Commission économique pour l’Afrique
de l’ONU et l’Union africaine (UA).

Participaient à cette manifestation les principaux dirigeants des groupements
économiques continentaux et les responsables des principales institutions du
financement du développement.

L’instant épique, l’appel à rupture avec le passé

L’appel du Dr Donald Kaberuka n’est pas parole en l’air. Près de 60% du
portefeuille de la Banque, soit un encours de 25 milliards de dollars US, sont
affectés aux projets d’infrastructure. C’est impressionnant, car cela a permis
la réalisation de 13.000 km de route, de 1.110 Mégawatts -soit quatre fois la
production tunisienne-, de 13.000 km de réseau de distribution électrique… Ce
sont donc des investissements structurants et indispensables à l’effort de
développement.

En 2012, la BAD a encore engagé 7 milliards de dollars sur le même registre. Il
s’agit, par le fait d’additionnalité, de faire en sorte que l’infrastructure
continentale parvienne à cette masse critique qui pourrait booster une dynamique
de décollage collective.

Cet appel a été aussitôt repris par Dr Nkosazana Dlamini Zuma, présidente de l’UA,
qui joint de la sorte la caution politique de l’Organisation panafricaine à
cette initiative historique. C’était saisissant. Dr Zuma avait un accent quasi
léniniste, quand, pour lancer sa nouvelle politique économique, il (Lénine)
affirmait “Dès lors que la volonté y est, on peut trouver le chemin“. Oui,
insiste-t-elle, il faut une part d’autodétermination pour lancer cette
initiative ambitieuse. Le continent est bien doté. En plus de ses ressources
naturelles, il faut ajouter ses importantes surfaces cultivables qui prennent,
par temps de démographie mondiale galopante, une importance stratégique.

Elle laisse sous-entendre que la décolonisation du Continent n’aura de sens
qu’avec son émancipation économique.

Dr Carlos Lopes, président de la Commission économique pour l’Afrique, relayera
l’appel pour rappeler que les goulots d’étranglement de l’infrastructure, une
fois dominés, ouvriront la voie à un palier supérieur de chaîne de valeur.
Naturellement il appelle à une “révolution“ méthodologique pour adopter de
nouveaux modus operandi devant conduire à des horizons nouveaux en matière
d’économie du savoir.

Quel véhicule de financement pour soulever une Ola de croissance

100 milliards de dollars, c’est une somme! Et c’est l’enveloppe d’investissement
calculée par la BAD en vue de parachever l’infrastructure du Continent. Les
experts de la BAD proposent la création d’un Fonds de capital-risque dénommé
“Afrique 2050“ pour prendre en charge le financement du plan infrastructure. Il
serait doté d’un capital de 10 milliards de dollars US. Le groupe de la BAD
pourrait souscrire à hauteur de 3 milliards et les 7 autres devront, fatalement,
être libérés par les Etats africains.

Jouant de l’effet de levier, le fonds pourrait trouver le complément de 90
milliards sur les marchés. Mais deux conditions à cela.

Il faut que les Etats souscrivent pour qu’ils aient l’autonomie de décision. Ils
pourront souverainement décider des priorités des projets, sans discrimination
et en cohérence avec les besoins du continent selon un ordre de planification
concerté entre eux.

Il faudrait également que les projets soient rentables et économiquement
judicieux pour mériter de la confiance des marchés et des investisseurs.

Mal partie, l’Afrique rectifie le tir

Ce sommet revêt une importance capitale. Si les Etats se serrent la ceinture et
acceptent de contribuer au Fonds 2050, le continent prendrait sa destinée en
mains. L’Afrique montre que mal partie –au début des indépendances (1960)-, elle
a tout de même l’intelligence de se raviser en cours de route et de se donner
une ambition.

Ce sommet est d’un accent historique. A la manière de Garibaldi, qui voulait que
l’Italie se fasse d’elle-même, les trois personnalités africaines insistent pour
que l’Afrique saute le pas et réalise son leadership.

Cette initiative possède un bien-fondé concret, et relève d’une démarche
recevable. Les Africains sauront-ils transformer l’essai? La balle est dans leur
camp. D’ailleurs, les résolutions sont si engageantes que la déclaration finale
a été différée. La détermination doit être partagée par tous, de même que le
rappelait la morale affichée à l’occasion de ce sommet.

Pour aller vite, il faut courir seul. Pour aller loin, le mieux est de se mettre
ensemble. Nous sommes dans le champ de la sagesse africaine. Le sommet de Tunis
saura-t-il transformer cette morale en perspective dynamique?