Lady, No !

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Elle n’avait pas le cœur sur la main. Cependant, elle avait la tête, bien sur les épaules. Sa fameuse réplique, “No“, figure dans le Guinness politique! Va-t-en guerre, Maggie Thatcher ne cédait jamais rien et tirait sur la corde jusqu’à casser ses adversaires.

Dame de Fer avait une âme de chef. «Rule the waves, Britannia *», était sa seule devise. Pasionaria du libéralisme ultra et du minimum d’Etat, son héritage économique n’a pas fait beaucoup de gagnants en dehors du monde anglo-saxon. Elle vient de tirer sa révérence. Une vie s’éteint, une légende s’éveille.

Dix ans durant, elle a remis de l’ordre dans la maison Angleterre. Elle n’a pas fait dans la dentelle puisqu’elle a mis les travailleurs au pas, envoyé les mineurs par le fond, mis les syndicats au tapis, fait tanguer les marins d’Argentine, distancé ses partenaires européens et saigné les contribuables.

En revanche, elle a couvert de cadeaux les investisseurs, assaini tout de même les finances publiques, redressé les fondamentaux de l’Angleterre et permis à la City de Londres d’avoir la main haute sur la finance mondiale.

En couronnement de sa trajectoire tumultueuse, son dernier souffle fut sujet à discorde. Ses funérailles ont, en effet, une fois encore, agité l’Angleterre.

Comment évaluer son héritage?

Une personnalité d’exception

Margaret Thatcher, restituée sous les traits de Merryl Streep, shoking! Au mieux c’est du cinéma. Au pis c’est une profanation, un flop. Les traits doux de la Diva américaine faussaient le portrait qui devient trop mou, presque mièvre. Volcanique, Maggie brisait le tabou du self control.

Caractère trempé, lutteuse jusqu’à la provoc’, la Wonderwoman des conservateurs britanniques a gouverné les affaires publiques mais également régné sur le mental des Anglais. D’une certaine façon, elle a endossé les habits de Victoria. Elle a donné à la Grande-Bretagne le primat sur la finance internationale. Elle a surfé sur l’actif traditionnel des secteurs primaire et secondaire.

Avec elle, a commencé l’ère postindustrielle et la financiarisation avancée de l’économie. Les services financiers fournissent 15% du PIB anglais, record mondial absolu.

Conquérante, elle a triomphé de toutes les résistances des milieux académiques pour entraîner le monde dans l’aventure ultra libérale et ébranlé les fondements de l’Etat providence. Personne n’a trouvé à redire et même les accusations d’hérésie, émises par Viviane Forester, n’y firent rien.

Maggie, suivie par Ronald Reagan, a décrété l’hégémonie de la pensée ultra libérale, et toute la planète a basculé.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) en a été l’aboutissement. On connaît ses ravages sur les économies en développement.

Du fondement scientifique au dogme libéral

En général, l’opinion considère que le libéralisme est un simple courant de pensée économique. En réalité, il s’appuie sur une science solide et cohérente. Le courant libéral a pour lui d’avoir démontré les conséquences économiques des choix du marché grâce à l’outil mathématique. Et c’est ce qui fait sa force. La modélisation mathématique de la théorie libérale est robuste. On ne peut donc la refuser, par principe. Le modèle originel avait comporté quelques imperfections. Le modèle de référence, celui de la concurrence pure et parfaite, reposait sur l’hypothèse d’une information partagée par tous alors qu’on sait que l’asymétrie de l’information est la règle, sur un marché, et que c’est le secret de la dynamique concurrentielle.

Malgré tout, le modèle ne s’est pas effondré. Son credo, qui veut que l’intervention de l’Etat ne fait que fausser les règles du jeu du marché, demeure bien vivace, et d’ailleurs, Maggie Thatcher et Ronald Reagan se sont évertués à l’imposer dans la réalité. Au motif de libérer les énergies vives, l’Etat fut réduit à sa plus simple expression à travers les fonctions régaliennes. Les prestations sociales publiques ont été privatisées. Le modèle scientifique a ouvert la voie à la désintégration de l’Etat social rétablissant le «laisser faire, laisser aller».

Le tandem dévastateur Thatcher-Reagan

La convergence, en matière économique et politique de Margareth Thatcher et de Ronald Reagan, a scellé l’empire de la pensée libérale. On a assisté au “détricotage“ des solidarités sociales et à la privatisation tous azimuts. La socialisation des pertes et la privatisation des profits furent la caractéristique dominante de ces choix au nom de l’efficacité économique.

Les Etats ont, à des degrés divers, lâché du lest et les subventions publiques ont été réduites de manière drastique. Les subventions des produits de base via la compensation ont été abandonnées petit à petit, et la vérité des prix s’est imposée comme mode de gestion macroéconomique vertueux.

Au nom du libéralisme, l’Etat fut décrété impuissant à gérer et investir, et la privatisation a battu des records.

La déréglementation sociale a été la nouvelle religion des Etats sous l’empire du libéralisme ultra. Il est vrai qu’en arrivant au pouvoir, Maggie Thatcher et Ronald Reagan ont donné une impulsion à l’économie de l’offre, et le système a fonctionné, chez eux. Tous deux ont réduit les impôts et comprimé les dépenses publiques, et la croissance fut au rendez-vous. Le capital financier est devenu roi. Les grands groupes versaient avec la même philosophie. Les charrettes ont été au goût du Thatchérisme. Plus on restructurait et on licenciait plus les cours des actions montaient. Plus importants devenaient les dividendes. L’argent roi s’accommodait, y compris en cette période de prospérité de la loi d’Airain des salaires.

Nous disions que le libéralisme ne peut être refusé en l’état, compte tenu de son armature scientifique. Mais on peut en refuser le paradigme. Il est vrai que le marché crée de la valeur. Mais le libéralisme sans contrôle et sans régulation peut détruire la valeur. Lors de la crise des subprimes, les Bourses ont perdu 50% de leur capitalisation. C’est l’envers du libéralisme.

* «Rule the waves, Britannia» signifie «Règne par-delà les mers, Angleterre»