Tunisie – Wided Bouchamaoui : «L’intelligence économique ne doit pas faire peur»

congres-cjd-01.jpg97% des informations qui peuvent servir à la veille stratégique d’une entreprise sont disponibles grâce à une plus grande facilité à l’information, développement rapide et continu des technologies oblige. Les 3% restants relèvent, pour leur part, non pas de l’intelligence économique mais plutôt de l’espionnage économique. C’est ce qu’a indiqué Xavier Leonetti, chef d’escadron à la Direction générale de la gendarmerie française lors du congrès national du CJD Tunisie dont le thème a porté cette année sur l’«Intelligence économique, levier de développement et de performance des PME tunisiennes».

Quoiqu’il aurait fallu titrer «des PME» tout court car, quelle entreprise au monde n’a pas aujourd’hui besoin de collecter autant d’informations que possible, de les analyser et de s’en servir dans ses prises de décision et la mise en place de stratégies permettant le développement de ses activités au vu de ce qui se passe autour d’elle?

L’intelligence économique ne va pas sans la mise en place d’un cadre stratégique, à savoir une législation et un cadre légal adéquats ainsi que des politiques économiques adossées à de bonnes pratiques et une meilleure gouvernance et plus de transparence et de souplesse dans l’accès à l’information qui ne doit pas systématiquement relever des secrets des dieux.

«L’intelligence économique ne devrait pas faire peur. Bien au contraire, il s’agit d’un concept simple dont l’objectif est de renforcer la compétitivité de nos entreprises en se basant sur la connaissance et la formation comme clés de succès…», estime Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA, qui a, à cette occasion, appelé les entreprises à être plus intelligentes. «Dans un contexte économique mondial où la concurrence est de plus en plus rude, et l’évolution permanente et rapide, notre économie est appelée plus que jamais à être intelligente, et c’est le cas pour nos entreprises…».

Adapter l’intelligence économique aux systèmes organisationnels

Riadh Bettaieb, ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale, va dans le même sens en encourageant les entreprises tunisiennes à ériger l’intelligence économique, y compris la recherche permanente de l’information économique fiable, en instrument institutionnel stratégique dans leurs dispositifs organisationnels.

L’INS (Institut national de la statistique) serait l’un des plus grands acteurs gouvernementaux dans la diffusion d’informations économiques fiables aux acteurs économiques, estime le ministre. Il assure à ce propos de la volonté de l’Etat, à travers le nouveau Code d’incitation aux investissements, de jeter les bases d’un réel partenariat avec le secteur privé et l’ensemble du tissu associatif pour partager les informations sur les problématiques et les priorités du pays. «Le nouveau Code d’investissements entend incarner la voie de la modernisation dans les modes de faire des institutions publiques et privées visant à accorder aux dispositifs innovants, telle l’intelligence économique, l’importance qui leur sied».

La politique d’intelligence économique d’un pays est un élément de sa politique et de sa stratégie économique. Son but est la préservation de l’emploi et la compétitivité des entreprises. Elle se base sur l’information tactique économique et sur la sécurité économique, mais elle vise également une meilleurs analyse des informations et des faits économiques pour faire les bons choix, a déclaré Wafa Sayadi, présidente du CJD.

Maigres réalisations en matière d’intelligence économique

La Tunisie peut-elle se prévaloir de grandes réalisations en matière de veille stratégique ou d’intelligence économique? Le prétendre serait du leurre, car ces réalisations restent modestes. Et pour preuve, ce que vient de déclarer Fethi Ben Mimoun, président de l’Association tunisienne d’intelligence économique (ATIE) sur un journal marocain: «L’ATIE est née du constat du retard accusé par notre pays dans la prise en charge de la démarche de l’intelligence économique. Celle-ci est loin de constituer, au niveau de la sphère gouvernementale, une véritable politique publique volontariste et réfléchie. Au niveau des entreprises, elle est loin d’être reconnue comme étant une dimension stratégique du management. Elle est pratiquée d’une façon spontanée et instinctive par des managers qui se fient à leur flair et à leur expérience, sans qu’elle soit prise en charge et formalisée au niveau organisationnel et humain».

La présidente du CJD approuve et soulève le rôle de l’Etat dans le renforcement du dispositif relatif à l’intelligence économique.  La stabilité, l’efficacité et la visibilité des politiques de l’Etat à travers la mise en place d’une législation, de mesures d’encouragements et la mobilisation des moyens institutionnels et légaux sont nécessaires: «L’Etat doit prendre ses responsabilités au travers d’un certain nombre d’engagements. Il doit montrer l’exemple et être plus compétitif… L’Etat n’est pas une entreprise mais il doit être géré avec le même souci d’économie, d’efficacité, de rigueur que n’importe quelle entreprise… Il doit trouver les modes de fonctionnement, de partage, d’analyse de l’information et les mettre au service du développement des entreprises…».

Oui, l’Etat est responsable en matière de veille et d’intelligence économique tout comme les entreprises elles-mêmes qui doivent compter sur leurs propres moyens et en consacrer aux fins de recueil de l’information et de veille stratégique. Mais reconnaissons que la préservation du tissu entrepreneurial et des capacités compétitives des entreprises nationales dans un environnement fortement concurrentiel est l’affaire de tous.

Nos entreprises sont aujourd’hui confrontées à des problèmes de survie avec la montée des revendications sociales et salariales, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, et la compétitivité est devenue un objectif difficile à atteindre. «La compétitivité de nos entreprises est profondément touchée pour plusieurs raisons: une crise économique internationale omniprésente, une inflation galopante, une concurrence déloyale due au commerce parallèle, des ressources humaines rarissimes, une administration démissionnaire, un régime fiscal oppressant, un système financier alarmant, une absence de réformes structurelles, saturation du marché local et  l’impossibilité de conquérir de nouveaux marché».

Un tableau noir brossé par la présidente du CJD et qui coupe presque brutalement avec le discours optimiste et ambitieux du ministre de l’Investissement et de la Coopération internationale.

Mais en tout état de cause, les préoccupations très terre-à-terre des entreprises tunisiennes laissent aujourd’hui peu d’espace et de place à de véritables stratégies pour le développement de l’intelligence économique.