Tunisie : L’intelligence économique, une démarche pour l’avenir

intelligence-econom-1012.jpgNos entreprises se soucient-elles vraiment de l’intelligence économique? Pire, savent-elles vraiment ce que veut dire le concept intelligence économique? Un sujet qui suscite de débats, actuellement, avec les changements quotidiens que connaît l’économie mondiale, et de surcroît l’économie locale.

Le concept “intelligence économique“ est un outil stratégique pour l’aide à la prise de décision pour les entreprises. «Elle permet de maîtriser l’information stratégique. C’est un principe, un état d’esprit, une démarche qui concerne tous les acteurs économiques», précise Hichem El Phil, expert en intelligence économique, lors d’un débat organisé par le Centre des Jeunes Dirigeants en collaboration avec la Fondation allemande Konrad Adenauer, le 27 septembre 2012.

Au cours de cette rencontre, les débats ont été aussi riches qu’animés, avec la présence d’universitaires, experts et chefs d’entreprise. Ainsi, Ines Boulifa, enseignante universitaire à l’IHEC Carthage, affirme que les chefs d’entreprise tunisiens disposent de quantités colossales d’informations à gérer mais ils ont du mal à utiliser l’intelligence économique pour asseoir la prise de décision. «Ils sont absorbés par le court terme, et ont du mal à gérer le moyen et long terme. Les dirigeants d’entreprises apprécient rarement l’usage de cet outil stratégique parce qu’il s’agit d’un usage différé, dont l’impact n’est pas immédiat», souligne-t-elle.

Blocage de l’information…

Slim Khalbous, directeur de l’IHEC Carthage, rejoint Mme Boulifa pour dire que les entreprises tunisiennes doivent prendre conscience de l’importance de cet outil. Mais la démarche ne s’improvise pas, selon lui. Ceci demande de l’effort, qui commence par inculquer cette culture d’intelligence économique à tout le personnel. Ensuite, il s’agit de mettre en place une stratégie, organiser et former des équipes et enfin appliquer l’ensemble du processus.

La problématique se pose également sur un autre niveau, celui des pouvoirs publics. Il est assez connu qu’il existe un blocage au niveau de l’accès à l’information en Tunisie, et même au niveau de la fiabilité de l’information communiquée. «Le système d’information est défaillant. Il y a une réglementation à mettre en place pour bien gérer et communiquer cette information», estime pour sa part Hamdi Guezguez, directeur général de Packtec, qui était d’ailleurs le seul représentant d’un organisme public à répondre à l’invitation du CJD.

Sur ce point, M. Khalbous indique qu’il y a déjà un problème de confiance dans les statistiques communiquées par des institutions comme l’Institut National de la Statistique (INS), dont les chiffres sont toujours contestés, comme c’est le cas du taux de pauvreté qui a fait couler beaucoup d’encre. Il ajoute que les organismes de soutien sont défaillants et n’arrive pas à répondre aux besoins des entreprises en matière d’information.

Absence de diagnostic…

La création des centres techniques, il y a une dizaine d’années, visait, selon M. Guezguez, à répondre à cette soif d’information. Des bulletins d’informations sont constamment publiés par ces centres, renfermant des indicateurs sur les secteurs économiques. Mais cette expérience a échoué, selon Mme Boulifa, parce qu’aucune enquête préalable n’a été faite auprès des entreprises pour diagnostiquer leurs besoins et leur fournir des données utiles à la prise de décision.

Elle indique que certains centres ont dépensé des sommes colossales sur des logiciels de veille sans former les équipes pour les utiliser.

«Avant d’aller vers la technique, il faut tout d’abord former. Résultat: certaines entreprises ne lisent même pas ses bulletins. Le problème est qu’on ne veut pas partager l’information. Elle reste toujours à l’échelle confidentielle», estime-t-elle.

L’expert El Phil indique qu’il y a des stratégies à mettre en œuvre dans les centres techniques mais aussi dans les pôles de compétitivité, afin de créer une certaine synergie entre ses différentes structures. D’ailleurs, il avance que la politique de mise en œuvre des pôles de compétitivité est devenue caduque, malgré l’importance qu’ils relèvent dans l’établissement de schémas régionaux de développement.

Inter-réactivité…

Mais pour autant, devrait-on tout mettre sur le dos de l’Etat? Pas vraiment, semble dire M. Guezguez pour qui il y a aussi un problème de valorisation par les entreprises. «Aucune demande ni aucune critique ne s’adresse à ces organismes. Il y a cette relation inter-réactive qui doit se développer entre l’entreprise et l’Etat», suggère-t-il.

Toutefois, ceci ne doit pas, non plus, soustraire l’important rôle de l’Etat. Car pour Kais Ben Aïssa, représentant d’un cabinet de conseil en intelligence économique opérant dans les pays d’Afrique du Nord, c’est l’Etat qui conditionne le marché et encourage les opérateurs à adopter une démarche d’intelligence économique. Il évoque le cas du Maroc où un département d’intelligence économique a été créé au sein du Cabinet royal. Il indique que le cabinet pour lequel il travaille a exclu la Tunisie de son activité pour les raisons d’opacité et de non fiabilité de l’information.

Quel est donc le rôle des pouvoirs publics dans le développement d’une culture de l’intelligence économique? Premièrement, la sensibilisation des acteurs économiques, selon l’expert El Phil. Deuxièmement, l’optimisation des flux d’information entre les divers organismes. Troisièmement, la conception des banques de données. Et enfin la mobilisation du monde de l’éducation et de la formation.

Actuellement, l’IHEC Carthage propose un mastère professionnel unique en la matière en Tunisie intitulé «intelligence, marketing et veille stratégique».

Absence de modèle économique…

Pour les entreprises, il y va de leur compétitivité. Elles ont des efforts à fournir au niveau des instruments de pilotage, du management de l’entreprise et dans l’anticipation des mutations. Une étude que Mme Boulifa a effectuée auprès d’une vingtaine d’entreprises a montré, selon elle, qu’elles sont sensibilisées à l’importance de l’intelligence économique mais elles ne veulent pas investir tout de suite.

«C’est pour cette raison que l’Etat doit démocratiser ce processus, sinon il deviendra un produit élitiste. C’est vrai que la mise en place de procédés d’intelligence économique coûtent cher, mais on peut commencer par zéro dinar, rien que par la sensibilisation du staff commercial», indique M. Ben Aïssa.

A ce niveau, Abdelaziz Dargouth, chef d’entreprise, affirme que les concepts d’intelligence économique et d’inter-réactivité entre entreprise et Etat ne peuvent se faire en l’absence d’un modèle économique. Ce qui est le cas actuellement, selon lui. «Depuis le 14 janvier 2011, il n’y a aucun modèle économique qui permette d’inculquer l’intelligence économique. Une entreprise ne peut pas opérer dans l’opacité».