Tunisie : Des médias instruments du blanchiment de l’argent politique?

unesco-050512.jpgLa célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2012 à Tunis, a été l’occasion pour la plateforme regroupant les différents partenaires engagés dans le soutien au secteur des médias en Tunisie de dresser le bilan de leurs actions.

Portée par l’ambassade de Suisse en Tunisie, facilitatrice de cette plateforme, la table ronde réunissait les nombreux intervenants ayant supporté techniquement et financièrement les différents projets menés depuis la révolution.

Au total, ce sont 15 pays (essentiellement l’Europe du Nord et les USA), des organisations multilatérales (type UE, UNESCO, OIF) et 32 acteurs/opérateurs, des ONG aux structures liées à l’audiovisuel européen, qui sont partie prenante dans cet appui à la transition démocratique de la Tunisie au niveau médiatique.

Peu de soutien dans les régions et aux médias privés et citoyens

Globalement, 400 journalistes ont bénéficié des formations dispensées. Elles ont touché les médias audiovisuels, principalement les radios et télévisions publiques. Le bilan déplore le peu de projets dans les régions, et le peu de soutien apporté à l’agence TAP, aux médias écrits et électroniques, aux nouveaux médias, communautaires ou citoyens, ainsi qu’aux acteurs de l’audiovisuel privé (exceptées les radios Express FM et Mosaïque). De même, les partenaires ont peu formé en termes de management et de fonctionnement.

Des médias instruments du blanchiment de l’argent politique?

Pour compléter ce bilan, Ridha Kéfi, membre de l’INRIC, a présenté succinctement le rapport de plus de 300 pages dévoilé par l’Instance, en début de semaine. Il a souligné les «signes contradictoires» émanant du gouvernement quant au secteur des médias et les «malentendus» sur certaines questions, avant de pointer notamment: un cadre réglementaire nécessitant une refonte, les «critiques pas totalement infondées du gouvernement» quant au manque de professionnalisme de la classe journalistique tunisienne, mais également le problème de gouvernance au sein des organes de presse où les décisions éditoriales sont encore trop souvent prises en dehors des salles de presse…

Surtout, M. Kéfi a insisté sur la question des nouveaux acteurs médiatiques -radio, presse écrite- qui «n’ont pas trouvé le chemin des financements» et la «reconduite de l’ancien système» avec la mainmise d’hommes d’affaires connus pour leurs liens avec le clan oligarchique au pouvoir sous le régime de Ben Ali, sur de nouveaux médias «de caniveau» qui deviennent «les instruments de blanchiment d’argent politique (…) et de calomnies».

Pour lui, les décisions doivent maintenant venir du champ politique, notamment au regard de la proposition de l’INRIC de créer un fonds d’aide aux nouveaux médias, financé par le gouvernement et par des ponctions sur les recettes publicitaires de l’audiovisuel en place qui rafle 80-90% du budget des annonceurs grâce à l’ancienneté de son positionnement.

Des partenaires tunisiens qui regrettent l’absence de réforme profonde

Les partenaires tunisiens, et notamment l’intervention de Sihem Ben Sedrine, de Radio Kalima, ont mis en exergue le nécessaire re-ciblage des projets menés vers leur adaptation aux besoins du secteur, notamment avec des formations in situ qui permettraient d’auditer les faiblesses et d’identifier les besoins réels, ainsi que le manque de coordination entre les différentes interventions et l’absence d’évaluation.

La partie tunisienne a également signalé une réforme profonde qui se fait attendre: trop peu d’analyse de ce qui a facilité la dérive du secteur des médias sous Ben Ali, et des anciens schémas de fonctionnement qui persistent avec encore plus de liberté.

Structurellement, de nombreux acteurs ont stigmatisé l’appui des partenaires internationaux qui ne ciblent que très minoritairement les médias de proximité (notamment les radios communautaires, avec leur problème inhérent, le prix de la licence d’exploitation d’une fréquence hertzienne) et les médias citoyens.

Harmonisation, évaluation, pertinence et rééquilibrage des actions menées, autant d’axes à investir pour des résultats plus flagrants dans l’évolution du paysage médiatique tunisien.