Tunisie : La femme, loin du discours politiquement correct

femmes-tunisie-19032012-art.jpgLa
Journée de la femme ressemble plus à ces journées dédiées aux minorités, aux
différentes causes de la société civile, et où on voudrait réaliser tel progrès
par-ci, telle avance par-là. Ca m’a l’air de plus en plus vide de sens, mais
surtout stéréotypé. Que veut vraiment la femme aujourd’hui? Est-ce que son
problème majeur est celui de la polygamie?

Enjeux économiques ou enjeux féministes?

A mon avis, le «problème» de la situation de la femme n’en est pas un. Le
véritable problème n’est pas celui de la femme, mais du mode de vie et de
travail, tel qu’imposé par la société capitaliste. Il faut quand même se
rappeler que la femme n’est sortie travailler que parce que le besoin économique
s’est fait sentir. Merci la révolution industrielle…? Ce qui pose problème n’est
pas le travail de la femme, ni l’éducation a fortiori, mais l’environnement
général de ce travail.

Avant le travail de la femme, la répartition des tâches, ou des rôles sociaux,
entre l’homme et la femme, était très claire. Chacun avait ses propres
responsabilités, il les assumait. Et la famille, en tant que noyau de la
société, fonctionnait plutôt bien. Ici les féministes, ou les auto-déclarées
comme telles, s’écrient: Ah on voudrait nous renvoyer à la cuisine!

Certainement pas. C’est un raccourci.

Le discours standard, ou à la mode, ou politiquement correct, n’est pas toujours
celui de la rue. Pareil que de plus en plus de personnes avouent regretter
l’époque de
ZABA, les femmes, du fin fond de la Tunisie, c’est-à-dire qui
triment tous les jours, ne sont pas vraiment contre un retour en arrière…

Retour en arrière?

Qu’est-ce qu’on entend par retour en arrière? Justement, ce n’est pas clair du
tout, mais ce qui est en revanche clair, c’est que la femme qui passe au moins
8h dehors, plus si l’on compte le temps du transport et des courses
quotidiennes, et qui rentre faire la deuxième journée de travail, à savoir celle
de la cuisine, de la vaisselle, du ménage, et des devoirs des enfants, n’est pas
très contente ni satisfaite. Ce qui explique, en partie, le fait que plusieurs
femmes, diplômées et capables d’occuper de bons postes (relativement), préfèrent
rester chez elles. Ou du moins oscillent entre années de travail, années de
maternité, ainsi de suite. En partie, car le niveau des salaires, comparé au
coût de la vie, est l’autre facteur en cause.

Dans la rue, entre femmes, on n’entend pas vraiment les discours de l’élite
(dite) féministe. Les femmes n’ont pas peur que leurs maris épousent une
deuxième ou une troisième femme. Le sujet fait rire à la limite, car ce qui est
conventionnel et validé dans une société ne change pas par simple décret. C’est
beaucoup plus complexe. Il faut une certaine adhésion de la part du citoyen.

Ce qui explique également, à mon avis, ce qu’on appelle la montée du
salafisme.
Le discours (dit) salafiste n’est pas si effrayant pour une bonne partie des
femmes, encore une fois, du fin fond de la Tunisie. Bien au contraire. Nombre
d’entre elles désirent rester chez elles, ou autrement ne pas être responsables
financièrement, elles désirent plus d’autorité de la part de l’homme, elles ne
sont pas contentes de ce qu’elles appellent «la dépravation des mœurs», etc. Ces
femmes, filles (perdues) de Bourguiba, n’ont pas pu assimiler la pensée
bourguibienne comme les autres, celles issues de milieux, non pas uniquement
plus favorisés socialement, mais où les hommes ont suivi le changement.

C’est donc vraiment complexe. Et quand j’ai mentionné plus haut un discours
(dit) salafiste, j’entends que l’idéologie portée par ces personnes est autant
sinon plus culturelle, et précisément sexiste, que religieuse. Quel rôle
attribuer à la femme, et quel rôle à l’homme.

Mais tant qu’on n’a pas arrêté de se gargariser du discours élitiste de la
frange (dite) féministe, on n’aura pas une vue globale de la situation, et on ne
comprendra pas pourquoi on voit ces filles qui préfèrent le nikaq aux études, ou
au chemin socialement validé de la réussite.

Pas de problématique féministe, mais des problématiques de classes

On pourrait alors, peut-être, dire, dans une certaine mesure, qu’il n’y pas de
problématique féministe, mais des problématiques de classes. Il y a les femmes
issues de milieux sociaux favorisés, ne fréquentant que des hommes de ces
milieux, et touchant des salaires qui leur permettent de sous-traiter le
deuxième travail, à savoir celui d’avant 7h du matin, et d’après 18H (ménage,
cuisine, devoir, enfant, etc.). Et il y a les femmes qui rament,
quotidiennement, et qui envient leurs mères et leurs grands-mères, d’avoir
autant de temps libre, pas de responsabilités autres que celles des enfants, et
même souvent de l’argent de poche donné par monsieur. Un monsieur qui, au
passage, est souvent mieux dans sa peau en travaillant dur tout seul pour
assumer sa famille, qui se sent ainsi plus viril, car ayant un rôle social, qui
lui va vraiment. Un rôle qu’il intègre et assume parfaitement. Ca s’appelle du
machisme pour certains.

Le plus important n’est pas la terminologie qu’on emploie, mais d’avoir un
regard lucide des faits. Et ce n’est pas être rétrograde que de constater ce qui
se passe et ce qui se dit, sur le terrain, au marché, et dans le métro. Cela
évitera peut-être d’être surpris d’un (éventuel et possible) vote massif pour
les courants (dits) salafistes, le jour où ils parviennent à obtenir des visas.