Tunisie РSoci̩t̩ : Tableau d̩pressif (II)

La saleté, l’agressivité et le stress, l’inesthétique, ou l’absence du souci de
l’esthétique, incarnent parfaitement les symptômes de la dépression, observée
chez l’individu. Mais aussi, et à l’échelle de la société, ils incarnent les
indicateurs d’une société déprimée… je préfère ce mot. Car la déprime est
passagère. La dépression est une véritable pathologie, et qui dure.

Individualisme et citoyenneté vont-ils ensemble?

Exactement comme un sujet dépressif, une ville dépressive, ou une nation
dépressive, n’aurait pas envie de vivre, de se faire belle, de projeter cette
esthétique autour de soi…

On dit des Européens qu’ils sont trop individualistes. Quand on marche dans la
rue, personne ne regarde personne. On peut même se faire agresser dans certains
endroits sans qu’on s’en aperçoive. Mais comment ça se fait alors que leurs
villes sont si belles et si agréables à vivre, leurs trottoirs si beaux et si
propres… s’ils sont si individualistes? On devrait retrouver chez eux ce qu’on
retrouve chez nous, à savoir des maisons propres de l’intérieur, mais des rues,
et plus généralement un environnement désagréable, jusqu’à immonde dans
certaines régions…

Et non! Ils sont individualistes oui, mais ils s’approprient pleinement leur
espace public. Une variante de ce qu’on appelle la citoyenneté.

Et tant que nos rues seront si sales, tant que nous accepterons ce spectacle
déprimant de la saleté et de la poubelle, mais aussi de l’anarchie et de
l’inesthétique, des coupe-ongles et des briquets sur les planches de
contreplaqués, on fera toujours partie du tiers monde.

Qui ne se rappelle pas de cette euphorie collective d’après 14 janvier avec les
gens coude-à-coude dans la rue en train de nettoyer. Les gens étaient au summum
de leur espérance, ils avaient envie, très envie de vivre. De faire des choses,
de se faire beaux et de projeter cette esthétique autour d’eux. Dans leur
environnement, la rue, la façade de l’immeuble le trottoir, etc.

Le stress, un mal de l’homme moderne

L’homme moderne est cet homme libre. La liberté étant une chose dangereuse, car
induisant un champ infini des possibles. La liberté apportée par la modernité se
traduit en réalité et dans la plupart des cas, par l’absence de sécurité, par la
destruction des liens traditionnels: famille, clan, région, institutions ou même
classes sociales.

Bien sûr que cela se vit à différents degrés et de différentes façons chez les
uns et les autres… mais en tout cas, il y a en filigrane cette liberté qui
flotte dans l’air, et qui fait que l’on veut échapper à ce qui nous relie… que
ce soit les uns aux autres, ou à ce qui nous relie à quelque chose de plus
grand, l’institution, la tradition, etc.

Il en ressort que l’homme moderne, nous tous en général, sommes si anxieux. Nous
cherchons sciemment à nous surbooker de choses à faire, pour éviter le vide.
Nous sommes toujours pressés… avec des listes infinies et intenables souvent de
choses à faire.

Consommer, et étaler la richesse… donc la frustration

La révolution des technologies de la communication induit que tout soit visible
à tout le monde maintenant. Et on se sent en effet pauvre, du moment que l’on
voit de si près, à savoir sur sa télé tous les soirs, ou dans les hypermarchés à
portée de main… la richesse ostentatoire voire in opulente des autres.

La misère c’est d’être dépourvu du nécessaire, la pauvreté étant d’être dépourvu
du superflu. Or le superflu tend à devenir nécessaire, du moment qu’il est si
visible, répétitif, et même si proche de tous, par la présence de cet étalage de
richesses dans les hypermarchés. Hypermarchés devenus La Mecque locale pour
toute personne qui se respecte, et qui doit donc au moins avoir visité cela!

La civilisation de la consommation enfin, qui maintient l’individu dans une faim
continue, de consommer plus, d’avoir plus et plus souvent. L’individu remplit
son vide et son angoisse par le «processus» de la consommation, à savoir
matraquage publicitaire, ensuite achat et consommation, et le cycle continu
ainsi à l’infini. Sans fin. Et c’est bien là le rouage principal du système: on
ne doit pas arrêter de consommer, il ya toujours meilleur que ce qu’on a, plus
de ceci, plus de cela, avec telle fonctionnalité en plus, tel bruit en moins,
etc.

A la recherche de la culture perdue…

Comment s’explique, à la fin, ce tableau dépressif? A mon avis, par Le substrat
culturel, en déclin… c’est là où je veux en venir. Le substrat culturel est plus
qu’essentiel au développement et au progrès des peuples. Ce substrat se retrouve
fragilisé, et flouté, par l’action conjuguée de plusieurs facteurs, aujourd’hui
chez nous. La culture étouffe, et ne parvient plus à jouer son rôle
anxiolytique, au niveau individuel, ou de ciment social, au niveau collectif.
Qui lui-même, naturellement, a des incidences sur le niveau individuel.

L’homme moderne, des pays du tiers monde, ramasse tous les méfaits de cette
équation. Car il goutte à peine à l’abondance, mais y voit déjà la fin et
l’objectif ultimes à atteindre. Il est donc stressé, à volonté! Il est anxieux,
et il est en perte de repères … Comment voulez-vous alors qu’une telle personne
se fasse belle avant de sortir de chez elle, que l’homme se rase et soigne ses
vêtements, que les constructions soient faites selon une certaine esthétique,
les trottoirs, les terrasses de café, les vitrines, etc.? C’est le bazar à
l’extérieur, parce que c’est le bazar à l’intérieur.