Plaidoyer en faveur d’une administration publique tunisienne moderne et dépolitisée

Par : Tallel

Après plusieurs tentatives de mise en oeuvre d’une réforme de la fonction
publique qui ont donné des résultats plutôt mitigés, de nombreux problèmes
persistent toujours au niveau de l’organisation et de la gestion de
l’administration publique tunisienne, dont notamment la faiblesse des textes
réglementaires, la lourdeur de la bureaucratie, le manque d’évaluation de la
gestion et de l’action de l’administration, etc.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet échec de modernisation de
l’administration publique tunisienne. Il s’agit des problèmes de l’insuffisance
de la rétribution, des effectifs pléthoriques, de la faible compétence des
fonctionnaires, du caractère aléatoire et politisé du recrutement des
fonctionnaires ainsi que du caractère politisé de la fonction publique.

Le détournement intentionnel de la part de l’ancien régime de l’usage de
l’administration publique au profit de ses propres intérêts et de ceux qui lui
sont proches ou de quelques groupes d’intérêt restreints a dévié cette instance
du rôle qui lui est assigné, c’est-à-dire être une administration efficace,
réceptive, transparente et responsable de ses actes.

La revalorisation de l’administration publique tunisienne exige au préalable un
bref rappel de ses principales fonctions théoriques.

Par définition, l’administration publique fait référence à: i) l’ensemble des
fonctions et services (politiques, règles, procédures, systèmes, structures
organisationnelles, personnel, etc.) financés par le
budget de l’État
et chargés
de la gestion et de la direction des affaires du pouvoir exécutif et de ses
interactions avec les autres parties prenantes de l’État, de la société et de
l’environnement extérieur; ii) la gestion et la mise en oeuvre de l’ensemble des
activités du gouvernement ayant trait à la mise en application des lois,
règlements et décisions du gouvernement et les activités de gestion liées à la
fourniture de services publics.

La réforme de l’administration publique peut être ainsi de très vaste portée et
comprendre des changements de processus dans des domaines tels que les
structures organisationnelles, la décentralisation, la gestion du personnel, les
finances publiques, la gestion axée sur les résultats, etc. Elle peut également
comporter des mesures de réforme ciblées telles que la révision du statut de la
fonction publique.

Dans le contexte tunisien actuel, le véritable enjeu affronté par la
collectivité nationale pour assurer la mise en place d’une réforme aussi
cruciale que celle de l’administration publique, consiste à se doter d’une
fonction publique dépolitisée et une administration neutre et fondée sur le
mérite.

Il s’agit en effet de redonner davantage le sens de l’Etat, de l’intérêt public
et du service public au personnel de l’administration. Ainsi, une action
continue et à long terme devrait commencer par l’affirmation solennelle d’une
volonté politique formelle quant au rôle nouveau et à la neutralité politique de
l’administration et de l’action administrative, tranchant avec les comportements
passés.

Mais pour que cette action se concrétise, il conviendrait qu’elle puisse se
traduire dans les faits et notamment dans le comportement des responsables
politiques et administratifs, tant vis-à-vis des agents publics eux-mêmes que
vis-à-vis du public et des usagers de l’administration, comportement qui doit
désormais être fondé sur le strict respect du droit et sur l’égalité de tous
devant le service public sans discrimination.

Cette prise de conscience des responsables devrait s’accompagner de compagnes et
d’actions de formation, de sensibilisation et d’information systématiques auprès
des agents des administrations, mais aussi auprès des usagers et du public.

L’effort d’éducation à entreprendre aura des conséquences positives s’il
s’accompagne d’une reprise en main et d’une valorisation des ressources humaines
de la fonction publique. Cela signifie notamment la nécessité de restaurer
l’autorité hiérarchique et la discipline au sein de l’administration,
indépendamment des partis politiques. Il conviendrait également de rassurer et
de stimuler les cadres et les agents en fixant des objectifs de travail clairs
et réalistes, en redonnant des perspectives d’actions et de carrière. Cela
suppose qu’il soit procédé aux nominations et aux affectations des postes à
pourvoir sur la base des seules compétences et des expériences et non plus en
fonction de l’appartenance à un parti politique ou à un clan familial.

Il faudrait en outre que soient valorisées socialement les fonction-clés que
sont particulièrement les fonctions judicaires, financières et policières.

Dans cet effort de valorisation de la fonction publique, l’administration
devrait redonner aux cadres une nouvelle motivation, l’esprit d’initiative et le
sens de la responsabilité. Cela suppose d’abord une bonne définition des
compétences et des responsabilités, l’affirmation de l’autonomie de l’agent dans
les limites de ses attributions, une pratique aussi large que possible des
procédures de délégation de compétences, la fixation, par les supérieurs
hiérarchiques d’orientations et d’objectifs précis devant servir de base à une
évaluation effective des résultats obtenus, ainsi qu’un système de valorisation
et de sanctions de ces résultats.

Compte tenu du contexte actuel de la Tunisie, la dépolitisation de la fonction
publique permettrait une stabilisation, une professionnalisation et une
rationalisation des structures administratives et constitue de ce fait un gage
sérieux de bon fonctionnement de l’administration.

La séparation entre les mondes administratif et politique s’avère un facteur
crucial pour les performances de l’administration: il appartient au monde
politique de légiférer et de gouverner, c’est-à-dire de prendre les décisions
fondamentales au niveau le plus élevé en arbitrant les grands intérêts
nationaux.

Parallèlement, c’est le devoir du monde administratif d’assurer l’exécution des
décisions législatives et gouvernementales, ainsi que de gérer les services
publics nécessaires à la vie de la nation. Cette séparation doit être envisagée
non seulement dans son apparence statique mais aussi en tant qu’élément
dynamique lié à l’évolution du rôle de l’administration et de son environnement.

Tracer une frontière entre les fonctions politiques et administratives revient à
s’interroger sur la place de la haute fonction publique dans le processus de
définition et de mise en oeuvre des politiques publiques et notamment de la
réforme administrative.

L’ensemble des principes relatifs à la séparation des postes administratifs et
des postes politiques, ainsi que l’encadrement strict des règles de recrutement
des hauts fonctionnaires permettraient que la dépolitisation de la fonction
publique puisse aboutir.

Par ailleurs, le principe de neutralité des services publics et de la fonction
publique peut trouver un fondement positif dans les textes de loi électorale et
de la loi sur les partis politiques qui visent systématiquement tous les agents,
civils ou judicaires pour limiter leur participation aux organes électoraux ou à
des manifestations politiques.

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*Etudes IACE