Tunisie – Enseignement supérieur : Réagir fort et vite pour un traitement de choc

Par : Autres


universite-12122011-art.gifLe diagnostic est clair, dans un monde emporté par la plus forte crise
économique de son histoire récente et où la Tunisie de la révolution cherche
encore sa voie, la jeunesse risque gros. Celle-là même qui s’est indignée comme
un seul homme un jour de janvier 2011. Une génération qui prend du retard sur le
plan culturelle, scientifique et économique, et c’est l’ensemble du pays qui
risque de s’affaiblir, de voir la précarité s’enliser et la prospérité de ses
habitants actuels et futurs en jeu. Le pays doit réagir fort et vite, notamment
dans le domaine de la formation, de la transmission des savoirs et de la
qualification permanente.

Ce sont là les conditions de la réussite de la Tunisie, les défis pour le futur
gouvernement et des idées pour les élus du peuple, après le menu
institutionnel…

Préparer la jeunesse à être employable et non manipulable

Tout a été dit ou presque sur le système éducatif tunisien, et notamment
l’enseignement supérieur
et les causes de la mauvaise employabilité des jeunes
diplômés. Est-ce le contenu des formations? L’organisation des formations? Les
méthodes pédagogiques? Le mode de gestion des établissements? La localisation de
ces établissements? Le niveau des bacheliers? Les modalités d’orientation des
bacheliers? La gestion centralisée du système? L’insuffisance et la mauvaise
allocation des ressources? Le système d’évaluation? La capacité de l’économie à
créer des emplois qualifiés? Les chefs d’entreprise ne connaissent pas leurs
besoins? C’est certainement tous ces maux à la fois et probablement davantage.
Car si on aborde la problématique sous l’angle statistique, on s’aperçoit que le
taux de recherche d’emploi à 12 mois de l’obtention du diplôme est de près de
50%! Il est de 60% à l’université de Jendouba et Gabès, et de 55% à l’université
de Gafsa et Kairouan.

Les 180.000 chômeurs actuels détenteurs d’un diplôme du supérieur sont à 68%
filles et 32% garçons. Les 2/3 d’entre eux sont âgés de 26 à 35 ans, la force de
l’âge pour produire. Près de 35% de ces chômeurs sont issus des disciplines
‘sciences et technique’, 30% sont diplômés de gestion et en droit, et 25% en
lettres et sciences humaines. Plus particulièrement, ces chômeurs sont diplômés
en gestion et comptabilité à 20%, en informatique à 12%, suivi des diplômés des
langues étrangères à 10%, sciences juridiques 6% et enfin mathématiques et
physique 5%… Des disciplines vitales pour un pays en construction!

Actuellement, en Tunisie, quand on a un diplôme du supérieur, on a une
probabilité de 20% d’être au chômage, 15% pour les personnes dont le niveau
d’instruction est soit le secondaire soit le primaire, et 5% des sans
instructions sont sans emploi! La machine éducative a cessé d’être un ascenseur
social, elle est moins considérée par la société que jadis en tant que creuset
de la citoyenneté, du civisme et de la civilité, les enseignants sont moins
respectés qu’avant par les apprenants notamment.

Dans un tel contexte, tous les dérapages sont possibles, y compris ce qui s’est
passé à la Faculté de La Manouba, quand en plus le contexte politique le
favorise.

Néanmoins, tout n’est pas négatif dans ce système. On note, d’une part, une
bonne prédisposition des acteurs à une mobilisation autour de l’employabilité
et, d’autre part, l’existence d’un cadre réglementaire relativement favorable,
tels que la loi sur l’autonomie des établissements universitaires, la
budgétisation par objectif, l’accréditation, le suivi des stages… Mais aussi, et
toujours à l’actif du système universitaire actuel, certaines bonnes expériences
sont à relever, telles que la démocratisation des structures représentatives des
établissements universitaires, les quelques cellules d’insertion, relation avec
l’entreprise, les licences co-construites …

Pour un traitement de choc, un changement radical du mode d’organisation et de
l’allocation des ressources

Les conditions macroéconomiques de création d’emplois qualifiés à même de
juguler le flux et le stock des diplômés de l’enseignement supérieur résident en
la réalisation par la Tunisie, d’une manière durable, d’un taux de croissance
élevé et à fort contenu innovant. Mais l’axe interne au système universitaire
est encore plus porteur. On a besoin d’un enseignement supérieur attentif à son
environnement économique, soucieux de l’insertion de ses diplômés et capable de
répondre aux exigences de l’insertion.

Dans un tel nouveau paradigme, chaque université devrait développer sa capacité
à analyser son environnement économique et à identifier ses besoins en
compétences. Chaque établissement doit maîtriser les outils de conception et de
mise en œuvre d’une formation qui insère avec des enseignants formés à
l’ingénierie pédagogique adaptée à la massification (groupe de travail …).

Il y a lieu aussi de doter les établissements d’une organisation qui leur
confère une forte réactivité par rapport à l’environnement, ils seront
redevables à leur université référante d’un tableau de bord sur le déroulement
des formations et sur l’insertion (indicateurs d’employabilité).

Les pouvoirs publics devraient adopter un nouveau modèle de gouvernance pour
l’enseignement supérieur où chaque université, représentée par un conseil
d’administration ayant pouvoir de décision, est redevable au ministère de
l’Enseignement supérieur sur des objectifs clairs, quantifiés et contractuels.
Le ministère est amené dans ce nouveau mode de gouvernance à mettre en place un
système de planification stratégique et d’allocation des ressources selon les
objectifs et un système d’incitation selon les résultats. Il aura, bien entendu,
le rôle de lisibilité des diplômes au moyen d’une nomenclature et de validation
des cadres de référence des formations.

Le système d’enseignement supérieur visé ne doit pas être figé dans sa mission
originelle de transmission et de production des savoirs quoiqu’essentielle, mais
devrait migrer vers une nouvelle vocation, celle de l’employabilité des jeunes
diplômés. A cet effet, il est impératif d’agir pour une bonne appropriation de
ce changement par les acteurs, de disposer d’un retour d’information fiable et
rapide, et enfin de distinguer les actions à effet immédiat et celles aussi
urgentes mais à effet différé. Il en va du sort de toute une génération, d’un
pays, d’une démocratie naissante.