Tunisie : Ennahdha peut-elle faire repartir le secteur du tourisme?


ennahdha-tourisme-1011.jpgLe secteur est en panne sèche. Il appelle des mesures d’urgence pour sauver au
moins le rendez-vous des fêtes de fin d’année. Cet apport d’oxygène proviendrait
de solutions commerciales, c’est évident. Mais d’un renouveau marketing. Peut-on
redorer l’étiquette du tourisme sous la bannière d’Ennahdha?

Le secteur touristique est à genoux, selon les professionnels. A ses maladies
endémiques, soutiennent-ils, viennent se surajouter les conséquences d’une année
de vaches maigres. Les détournements des contingents européens en soutien au
tourisme grec et italien compliquent la donne sur le terrain. La seule bouffée
d’oxygène pourrait venir des fêtes de fin d’année. Autrement, le secteur sera en
détresse économique. Comment trouver les moyens de rebondir? Bad question!

Prendre le pouls de la profession

Ennahdha poursuit ses «shake hand» avec les «forces vives» de la nation. Sa
série de «Meet with» l’a amenée à faire connaissance, après la Bourse de Tunis,
l’UTICA et l’UGTT, avec les hôteliers et les voyagistes, jeudi 9 novembre, dans
un hôtel des Berges du lac. Les professionnels ont saisi cette main tendue à
l’effet de rompre la glace. Mais pas seulement. Ils entendaient signifier au
parti ayant remporté les élections du 23 octobre dernier, leur vision du
développement du secteur. Et il faut admettre qu’en la matière, en dehors des
lieux communs de toujours, on n’a relevé rien de bien pertinent. Qu’importe, ils
ont donné de la voix. En face, leurs hôtes ont pris cette initiative publique
sans y convier toutefois le ministre. Pas plus que le DG de l’ONTT. Ni même les
banquiers et transporteurs, que les professionnels considèrent comme de
partenaires à part entière, étant donné qu’ils interviennent dans le business.
Ce qui est logique. Passons.

MM. Hamadi Jebali, SG du mouvement, et Ridha Saïdi, économiste du parti, ont
modéré les débats. Pour sa part Hamadi Jebali a formaté son intervention à la
manière d’un discours de politique générale comme le font les Premiers ministres
en ouverture de session parlementaire. Ridha Saïdi, en interlocuteur technique,
a donné les dimensions économiques et sociales du secteur. Il a fait face aux
professionnels. Il a évoqué pour sa part sa vision du secteur avec la thématique
de la diversification et de l’amélioration de la qualité. Il y a les grandes
lignes génériques, en réalité. Mais les professionnels n’y ont pas vu un
véritable plan d’action.

D’ailleurs, ils se sont demandé si Ennahdha présentait son propre programme ou
celui qu’elle imposerait au gouvernement qui sera formé par la Constituante. Les
pistes de développement du secteur indiquées par les uns et les autres sont
assez larges pour interférer. On ne sait toutefois pas si elles convergent. A
cet égard, la polémique autour de la diversification est bien édifiante. Les
hôteliers rappellent qu’il ne faut pas abandonner les marchés émetteurs de l’UE
pour le mirage des marchés de l’Asie chinoise ou islamique, ni même d’Amérique,
ou d’ailleurs et notamment des pays du Golfe. Ils préviennent que les
apaisements donnés par les autorités américaines, par exemple sur leur intention
de coopérer avec les nouveaux dirigeants du pays, ne signifient pas que les
contingents touristiques vont affluer.

Mais en réalité, tout cela peut attendre, il y a une priorité actuellement. Elle
consiste à redonner de l’oxygène au secteur. Il faut l’aider à sauver la fin de
saison. Et à ce sujet, les dirigeants d’Ennahdha ont vu des professionnels
tendus et fiévreux. Ils sont en attente de solutions de choc et pour tout de
suite.

Deux pistes sont à explorer, selon eux. Des actions de marketing et des actes
audacieux en matière de promotion du site Tunisie.

Relooker l’image de marque de la destination

Les professionnels entendent interpeller les clients directement. Ces derniers
sont seuls capables d’infléchir les TO réticents à pousser la destination, par
mesure de précaution. En la matière, les propositions sont bien connues. Les
méga concerts où artistes des deux bords communieront. Les clients verront par
eux-mêmes, comme lors du concert animé par Laurent Boyer au Théâtre romain de
Carthage. Il faut enthousiasmer les clients pour venir saluer les auteurs de la
révolution de la dignité et se rendre en Tunisie. C’est la seule façon de mettre
la pression sur les TO. C’est un forcing de circonstance. Il a le mérite d’être
cohérent.

En parallèle, il faut rassurer sur les mesures politiques à venir des nouveaux
maîtres du pays. Le pays a voté, sans tricher. La scène politique est
foncièrement démocratique. Mais sa physionomie est entachée des stéréotypes
d’extrémisme qui impactent le parti Ennahdha. Et c’est là le principal sujet de
souci.

Les opinions européennes savent que la sécurité est revenue mais les rumeurs
sournoises sur les intentions du parti gagnant pèsent sur le rebond des flux
touristiques. Le fait de chahuter des enseignantes pour leur port vestimentaire
ou de tenir des jugements de valeurs sur les mères célibataires, braquent et
raidissent les clients européens, habitués à une Tunisie, négligente sur les
droits de l’homme mais à cheval sur la condition féminine. Et, par-dessus tout,
résolument moderniste sans la moindre velléité rétrograde.

Hamadi Jebali répète à satiété l’attachement de son parti à la liberté et à la
démocratie. Cela ne porte pas. Cette seule affirmation n’est pas une réponse.
Les dirigeants Nahdhaouis ne sont pas entrés dans le débat, ils ne sont pas
entrés dans la partie. Et c’est bien gênant. Ils ne font que nourrir les
spéculations sur leurs «véritables intentions». Le parti Ultra, sur leur aile
droite, brouille leur image. Et puis, en l’absence de condamnations fermes et
sans équivoques de certains, actes violents, ils ne font qu’entretenir
l’ambigüité. Cette situation ternit leur image. En effet, elle peut nourrir,
légitimement, de la méfiance. Mais parfois elle suscite de la malveillance. Et
c’est regrettable.

Qu’est-ce qu’on fait?

Les professionnels de l’hôtellerie et des agences de voyage, n’ont pas fait une
excellente performance. On voit un secteur finalement qui n’arrive pas à
s’affirmer. Les signaux forts envoyés par Afif Kchouk, Hamadi Masmoudi, René
Trabelsi, Jallel Bouricha, Hamadi Chérif, Siheme Zaiem ne manquent pas de
sincérité. Le plaidoyer de Faouzia Bellajouza, appelant l’Etat au chevet du
secteur, est poignant. Mais enfin, le tourisme, chouchou de l’économie du pays,
ne s’est pas émancipé au plan économique et a toujours «quémandé», incitations,
subventions et autres exonérations.

Il est vrai qu’il a un certain poids dans l’économie du pays. L’ennui est que
l’on ne voit pas, après la sollicitude dont il a été entouré, pouvoir se prendre
en mains. Le voilà à présent embourbé dans les incertitudes qui pèsent sur son
devenir et sur les possibilités de son rebondissement. Le secteur requiert un
lifting au plan de la promotion. Des recettes existent. Il a besoin de redorer
son image de marque. Les nouveaux dirigeants du pays seront-ils ses meilleurs
partenaires dans cette entreprise de la «dernière chance», du moins pour
l’exercice 2011?

Ennahdha, par la bouche de Hamadi Jebali, affirme qu’elle garantit la liberté,
et qu’elle veillera sur la démocratie. Cela laisse entendre que le tourisme
n’aura pas à souffrir de restrictions dans son activité. L’ennui est que le
parti a deux voix. Le SG se fait tacler par le président du parti. Cette dualité
crée un sentiment de duplicité. Et on a beau dire, cela suscite la méfiance.
Ennahdha voudrait changer le tourisme au motif de le sauver de la récession. Et
si jamais c’est peut-être le tourisme qui l’amènera à changer de visage et de
discours. Le pari est excitant au point d’être grisant.

A suivre!