Tunisie – Consommation : La grande distribution moralisera-t-elle enfin le commerce?

hypermarche-1.jpgLa réponse est par oui si on croit une récente enquête de l’Institut national de consommation (INC) sur «l’impact de la modernisation du commerce sur le comportement du consommateur tunisien et ses dépenses». Cette enquête, qui a porté sur un échantillon de 1.500 consommateurs représentant toutes les catégories sociales et localisés dans le Grand Tunis, a révélé que plus de 60% des habitants de la capitale et ses périphéries effectuent leurs achats dans les grandes surfaces et hypermarchés. Dans le détail, 35,8% des enquêtés affirment fréquenter une ou plusieurs fois par semaine les grandes et moyennes surfaces contre 23,7% une ou plusieurs fois par mois et 40,5% selon le besoin ou d’une manière occasionnelle.

Autre révélations de cette enquête et non des moindres: 24,7% des enquêtés considèrent que les prix pratiqués sont acceptables, 23% choisissent les grandes surfaces en raison de l’offre diversifiée et du regroupement d’achats et 20 ,4% estiment que ces espaces commerciaux proposent des produits sains et de qualité.

Bien que je fréquente régulièrement et exclusivement les hypermarchés et les grandes surfaces de la capitale, j’ai été surpris, comme tant d’autres d’ailleurs (voir réactions à cette info), par les résultats de cette enquête et décidé d’en vérifier, un tant soit peu, la véracité par des visites de terrain dans les marchés traditionnels de la capitale et ses petits commerces.

Arnaque, tricherie, fardage

En bon père de famille, j’ai pris mon couffin et entamé mon expédition. Le premier marché qui m’était venu à l’esprit c’était le marché «Sidi El bahri». Son accès n’était pas facile. Avec grande difficulté, j’ai pu garer, non sans une certaine angoisse et après moult vérifications d’usage, la voiture dans une ruelle déserte. Arrivé au marché, j’ai été surpris de voir plusieurs consommateurs sortir avec des couffins vides. Qu’à cela ne tienne, je me suis engouffré dans le marché et ai commencé à faire le tour des étalages et à regarder produits, prix, consommateurs, vendeurs…

Le constat est édifiant: les produits sont de très mauvaise qualité et excessivement chers. A titre indicatif, le kilogramme de pomme de terre se vendait, ce jour-là, à 750 millimes contre 600 millimes dans les grades surfaces. Pis, si jamais tu décides d’acheter un quelconque produit, des vendeurs grincheux et agressifs t’interdisent de choisir les unités. En maîtres absolus des lieux, ils peuvent te filer, en toute impunité et en toute conscience, un demi kilo consommable pour un kilo vendu au prix fort. La balance qu’ils utilisent est invisible. Si elle n’est pas carrément cachée dans un coin sombre de l’étalage, elle est installée à plus de quatre mètres du consommateur lequel n’avait, ainsi, aucune chance de vérifier la véracité du poids. Conséquence: ces vendeurs trichent doublement et sur la qualité du produit et sur le poids.

Perdant tout espoir de faire une quelconque «économie» ou «affaire» dans ce coin hostile, j’ai dû, à mon tour, rebrousser chemin, le couffin vide et quitter «cette tanière» de personnes de mauvais aloi où priment tricherie, mauvaise odeur, mauvaise humeur et mauvais produits.

Je m’étais rendu ensuite aux marchés de Lafayette, central et de l’Ariana. Et pour vous épargner les détails, le spectacle est le même dans toutes «ses grottes d’Ali Baba»: difficulté de se garer, mendiants collants, fardage, tricherie, insalubrité des lieux, mauvaise humeur des vendeurs, bousculades, bagarres pour un rien entre étalagistes, langage ordurier….

Direction les marchands de légumes et de fruits et des épiciers indépendants: globalement, ces derniers présentent l’avantage d’être certes plus accueillants et de te donner même l’opportunité d’acheter à crédit mais leurs produits sont trop chers (+20% et parfois +50% par rapport aux grandes surfaces). C’est une véritable hémorragie pour les bourses moyennes.

Moralité: partout où j’ai été, le sentiment que j’ai ressenti est très désagréable, tout comme un autre consommateur d’ailleurs (consommateurs qui sortent des marchés le couffin vide). On est quelque part convaincu qu’on est toujours arnaqué, volé et trompé. Le consommateur est désabusé au point de croire que la tricherie, le faux et l’usage du faux sont devenus des fatalités dans les espaces commerciaux traditionnels (marchés populaires, marchés hebdomadaires, étalages au bord des routes…).

Le salut passe par la grande distribution

Autre enseignement: par delà cette expédition qui a été une véritable descente aux enfers, les conclusions de l’enquête de l’INC sont loin d’être exagérées. Elles reflètent hélas une réalité. Celles des tricheurs sans foi ni loi qui empoisonnent la vie d’honnêtes consommateurs qui ont, de plus en plus tendance à préférer la transparence des grandes et moyennes surfaces.

De toute évidence, ces locaux commerciaux modernes, pour peu qu’ils soient multipliés et implantés à proximité des zones de résidence, sont habilités à moraliser l’activité commerciale et à faire de son exercice un métier honnête.

Car ne l’oublions pas, à travers les enseignes autorisées de la grande distribution et la convivialité qu’elles génèrent, c’est toute une urbanité, une coexistence pacifique, voire une véritable démocratie moderne qui est insaturée dans ces espaces dans la mesure où toutes les catégories sociales peuvent se côtoyer en toute sérénité. Dès lors, faire le marché deviendra une sortie de famille, un plaisir et non un calvaire, comme c’est le cas actuellement.

D’ailleurs ce n’est pas un hasard, si les habitants des villes de l’intérieur, confrontés à la cherté des produits générées le plus souvent par la multiplicité des intermédiaires et attirés par les prix promotionnels et rabais pratiqués par les hypermarchés, se déplacent, de plus en plus fréquemment à Tunis pour faire leurs courses. Sans commentaire.