Tunisie-agriculture : «Il est urgent de rajeunir les oliveraies de Sfax et du Sahel», déclare Samir Lahouimel


samir-ahouimel.jpgA l’heure où de nombreux efforts commencent à se tourner vers la conquête du
marché local par l’huile d’olive conditionnée, Hikma Foods Compagny, qui est
justement leader sur ce segment en y écoulant entre 400 et 600 tonnes par an,
vient de s’associer aux huileries Ben Yedder, Slama Huile et Ruspina pour créer
«Carthage Olive Oil» -une marque pour laquelle on nourrit de grandes ambitions.
Indépendamment de cela, Hikma produit entre 1.000 et 1.500 tonnes d’huile
d’olive et exporte aux environs de 3.000 tonnes annuellement dont une partie en
conditionné (année 2009 aux environs de 1000 tonnes) essentiellement vers la
Jordanie, Arabie Saoudite, EAU, France, Canada et Russie.

L’entretien qui suit avec Samir Lahouimel permet d’aller au cœur des enjeux et
assimiler les obstacles et les défis du secteur oléicole tunisien.

Webmanagercenter : «Carthage Olive Oil» est la toute nouvelle marque de quatre
des plus gros opérateurs de l’industrie oléicole tunisienne. Comment est née
l’idée du consortium ? Pourquoi s’est-elle aussi vite transformée en une société
?

Samir Lahouimel : Les marques tunisiennes d’huile d’olive sont peu connues à
l’international. Depuis près d’une dizaine d’années, nous en sommes encore à des
opérations «spot» dont tout le monde connaît les limites. Notre compétitivité
est faible. Nous n’avons pas encore les certifications nécessaires pour
décrocher de gros contrats avec la grande distribution européenne. Ce ne sont
sûrement pas nos petites entreprises familiales qui vont pouvoir faire face à de
gros mastodontes qui sont largement et parfaitement installés sur les plus gros
marchés.

Partant de ces constats, nous nous sommes dit que l’union fait la force. Il est
devenu vital de créer une marque. C’est ainsi qu’est né «Carthage Olive Oil» en
mars 2010.

Quels sont les moyens mis au service de cette nouvelle marque ?

Une assise de production logistique et financière importante est mise à son
service. Nos objectifs sont clairs, et nous nous sommes donné les moyens de les
atteindre : nous tablons sur de nouveaux marchés mais restons conscients que ce
sont les marchés classiques qui sont le nerf de la guerre.

Pourtant, certains croient que le salut de l’huile d’olive tunisienne ne peut
venir que des nouveaux marchés. D’autres, comme vous, pensent que cela coûtera
trop cher de s’y investir.

Le marché de l’huile d’olive vit des perturbations énormes. L’Algérie vient de
créer une taxe à la production, la Jordanie a stoppé l’importation d’huile
d’olive jusqu’à nouvel ordre. Les nouveaux marchés pourquoi pas ? J’y crois mais
il faut investir et s’y investir.

Quels sont les obstacles devant un réel envol à l’export de l’huile d’olive
conditionnée tunisienne ?

D’abord, les coûts de production qui sont trop élevés. Au-delà de 4,150 dinars
la bouteille extra vierge vendue en France, nous sommes exclus de la grande
distribution et restons sur les marchés de niche. Nous devons être plus
agressifs. Il est, pour cela, urgent d’améliorer le
Fonds de promotion de
l’huile d’olive conditionnée
qui s’avère vraiment insignifiant par rapport aux
défis que se doit de relever l’huile conditionnée tunisienne.

Je propose de taxer davantage l’huile en vrac pour passer de 05% à 1%. Il reste
aussi encore beaucoup à faire dans l’emballage bien qu’il se soit beaucoup
développé et amélioré.

Certains estiment que c’est le financement de l’exportation qui reste assez
difficile…

Nous avons besoin que les banques s’assouplissent un peu et nous soutiennent
davantage. Estimées à 600 millions de dinars, les pertes de 2005-2006 ont eu un
impact considérable sur le secteur oléicole. Depuis, les banques considèrent le
secteur comme un secteur à risque et de spéculation. Un secteur sinistré. Une
nouvelle loi de finances 2010 a été promulguée. Tous les producteurs
exportateurs d’huile d’olive qui ont subit des pertes importantes lors de la
saison oléicole 2005 sont soumis à des avantages tels qu’énumérés dans la
circulaire de la Banque centrale de Tunisie du 17 janvier 2010 N°01. Les banques
rechignent à l’appliquer. Il est urgent d’intervenir pour son application.

Au niveau de la qualité, comment se comporte l’huile d’olive tunisienne face à
ses concurrentes, notamment l’italienne et l’espagnole ?

L’huile d’olive tunisienne peut tenir la dragée haute face à ses concurrentes.
En fait, notre huile d’olive en arrive à souffrir par excès de qualité. Elle
souffre vraiment de concurrence déloyale sur les marchés internationaux. Nos
concurrents vendent aux grandes surfaces des huiles Extra Vierges, alors que ce
ne sont que des huiles Vierges courantes.

Les contrôles nationaux sont draconiens à l’export. Jouent-ils alors contre
l’huile d’olive tunisienne ?

Oui et non. Le ministère du Commerce, à travers l’OFITEC, contrôle au préalable
les huiles tunisiennes à l’export. Cet organisme est très exigeant. Il est et
reste le garant de la qualité de nos huiles. Cette forte exigence qualitative a
un impact direct sur les prix. Elle réduit notre compétitivité. De là à jouer
contre l’huile d’olive tunisienne, c’est non assurément! Il est cependant urgent
de réfléchir à éponger ce déséquilibre. Il pénalise fortement l’huile d’olive
tunisienne.

Que représente le conditionné pour le marché local ?

A mon avis, il ne doit pas excéder les 2.000 ou 2.500 tonnes. Sachez que la
consommation nationale d’huile d’olive est de 30 mille tonnes. C’est donc un
vrai marché qui est à développer. Pour pouvoir faire cette révolution au niveau
des mentalités, il faut de la promotion, beaucoup de promotion. Il faut aussi
réfléchir à une restructuration de fond au niveau de la distribution. Les
modalités de paiements de la grande distribution se négocient entre 90 et 120
jours, alors que dans l’huile d’olive tout se traite en «cash».

De nombreux dispositifs sont mis en place pour encourager le secteur. On
enregistre d’ailleurs une hausse importante au niveau des opérateurs dans le
conditionné.

Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Il faut stopper l’hémorragie. Pour vous
expliquer ceci, je cite deux chiffres et à vous de conclure. L’Espagne compte
1.700 huileries pour 1.200 mille tonnes d’huile. En Tunisie, on compte 1.600
huileries pour 150 mille tonnes. Les calculs sont vite faits.

Ne vaut-il pas mieux encourager la plantation d’oliviers ?

Il est impératif de mettre cet objectif au cœur de toutes nos actions. La
Tunisie est une force de négociation ; elle représente un poids sur le marché
mondial. Maintenant à elle d’optimiser cette position.

Par ailleurs sur le terrain, je pense qu’il est urgent de rajeunir les
oliveraies du Sahel et de Sfax. Il faut allouer des budgets conséquents pour
cela.

Que peut apporter la création d’une Bourse tunisienne de l’huile d’olive ?

A l’instar de Khayem en Espagne ou de Bari en Italie, la Tunisie doit avoir sa
Bourse. Cela sert à donner une plus grande transparence à la réalité de l’huile
d’olive en Tunisie. C’est davantage de crédibilité sur la scène internationale.
Il est pour cela important que le groupement de l’huile soit constitué des
agriculteurs, des huiliers, des exportateurs et des conditionneurs. C’est à lui
de gérer son propre secteur et de prendre en main son destin.