Eco-Finance : S&P torpille Moody’s à bout portant

s-poors_120710-320.jpgLes vents mauvais continuent de souffler sur un secteur déjà mis à mal par la crise. L’ouverture unilatérale des hostilités par S&P annonce-t-elle une guerre fratricide entre agences de notations ? Signes avant-coureurs de la disgrâce du métier ou d’une OPA à peu de frais.

L’agence de Notation Standard &Poor’s, au fameux sigle S&P, vient d’émettre un avis de «perspective négative» sur sa concurrente Moody’s. Comprenez que S&P pourrait réviser la note de Moody’s à la baisse. Pourquoi cela ? Les dirigeants de S&P arguent du fait que l’environnement réglementaire du métier comportera bientôt des dispositions de contrôle et donnera à l’avenir plus de recours aux clients «bafoués» contre les agences. Ils en déduisent que cela n’est pas à l’avantage du métier et qu’il ralentira la demande. Ils en concluent donc que Moody’s pourrait voir son chiffre baisser. Et même sa rentabilité chuterait car elle serait obligée d’engager davantage de frais contre les procès des clients, ce qui augmenterait ses charges et, mécaniquement, grèverait son résultat. Cet avis, même s’il ne vaut pas déclaration de mort sur Moody’s, peut très sérieusement la déstabiliser. Moody’s, en effet, est mono activité. Elle vit exclusivement de son métier, à l’inverse de S&P. Celle-ci est diversifiée et produit de l’information financière avec notamment son indice financier S&P 500, qui fait autorité à Wall Street. Elle est en plus adossée au groupe Mac Graw Hill, d’imprimerie et de communication. On est donc en présence d’un combat inégal. Que peut annoncer ce raid éclair et malveillant ?

Un métier ou un «business» ? Les défauts de la cuirasse

Né au début du siècle avec l’apparition de la finance de marché, le rating a pour objet l’appréciation du défaut de paiement d’un emprunteur. Ce peut être un agent privé, une entreprise ou une collectivité. Et souverain, avec les Etats. Alors, les agences s’appuient sur un système de notation qui va de triple A, grade investissement sans risque, au D -qui est le grade spéculatif extrême. Et par conséquent, sur ces quatre seuils, A, B, C et D, les marchés déterminent le taux de marge à appliquer à l’emprunteur, d’où l’appellation de rating. Ce qu’il faut savoir c’est que le rating, du point de vue légal, est une simple opinion, assimilée à l’opinion de la presse, dans le droit anglo-saxon, qui est l’environnement où elle est née et où elle est la plus influente. Elle n’est donc pas engageante. De ce fait, quand un une agence se trompe, un client ne peut l’actionner en justice. Et cela a bien profité au métier car les agences ont la liberté de faire des notations sauvages, c’est-à-dire sans le consentement des entités notées. C’est ainsi qu’elles ont développé leur champ d’activité. Les cibles notées «sauvagement», en général réagissent et passent commande dans l’espoir d’améliorer leur natation initiale. Et c’est justement ce qui ternit l’image de la profession car les agences en sont au bout du compte à noter des clients qui les paient. Et c’est resté le point noir du métier, qui est par ailleurs bien rémunéré, avec des marges importantes qui ont permis aux agences d’accumuler des trésors de guerre.

On raconte que la notation d’un pays ne mobilise guerre plus de deux experts qui se rendraient sur place, y séjournent une semaine environ et remettent un rapport qui est examiné par un comité à peine plus élargi de cinq personnes et à la suite de cela, la note tombe. Cette profitabilité a nourri une grande dynamique de concentration dans le secteur, et à l’heure actuelle, le monde tourne avec une oligarchie de 3 agences dont Fitch.

L’ascendant sur le marché et les «casseroles»

La concentration du métier a conféré aux agences un pouvoir de marché certain. On peut déplorer aussi cet ascendant que les agences exercent sur le marché financier et les esprits. Elles en étaient arrivées à souffler le chaud et le froid. Les investisseurs sont très conditionnés par les avis des agences et leurs détracteurs leur prêtent une hégémonie réelle. L’inconvénient est que les agences, selon des détracteurs nombreux, ont plus vu juste sur les opérateurs privés et moins sur les Etats. On leur reproche de ne pas avoir vu la crise asiatique de 1997 alors qu’elles étaient à l’origine des attaques dirigées contre le «bath» (la monnaie thaïlandaise), qui a été à l’origine de la contagion de la crise. Mais plus récemment, on les met à l’index pour avoir trempé dans de mauvaises pratiques lors de l’éclatement de la crise financière de 2007. Leur revirement du 15 septembre n’est pas pour les dédouaner. Le 15 septembre, elles notaient Lehman Brothers triple A, deux jours plus tard elles la vouaient aux gémonies.

Le métier s’est beaucoup disqualifié notamment pendant cette grande crise parce qu’il s’est trompé au plan scientifique. S’expliquant sur cette pirouette au sujet de LEhman Brothers, les agences ont dit qu’elles ne jugeaient pas la qualité du papier de Lehmann mais la faible éventualité d’un risque de défaut important des clients de Lehman. Or cette position est contraire au théorème de Friedman Miller, qui a eu l’équivalent du Nobel de mathématiques, la médaille Field, et qui établit précisément une forte corrélation entre risque étendu de défaut de paiement quand la faible solvabilité des débiteurs est aggravée par une propagation du chômage.

Autre casserole qu’on prête au métier, son rôle dans la notation «complaisante» des produits structurés qui a permis de les titriser à outrance et de les répartir sur des investisseurs nombreux ce qui a servi aux banques américaines de déverser leurs risques sur des investisseurs naïfs et peu avertis et surtout mis en condition par des ratings favorables. Last but not least, on les accable d’avoir semé la zizanie ans les esprits en attisant la tourmente de l’euro en déclassant la Grèce puis l’Espagne. Et là il faut rappeler que la Grèce a été prise en mains par un banquier, à l’image assez trouble, à savoir «Goldman Sachs» qui aurait orchestré une présentation frauduleuse des comptes publics de la Grèce.

Le chant du cygne du métier ou La grande discorde ente agences ?

La charge de S&P contre Moody’s est du mauvais effet sur le métier qui est gangréné par ce fléau de «bad practices». On pense tout de go que S&P louvoie sur Moody’s, qui est cotée en Bourse et qui pourrait de ce fait devenir plus facilement opéable. Peu de gens croient à la fin du métier. Plus de contrôle dans l’exercice du métier ne  signifie pas le chant du cygne pour une profession qui s’est installée dans les mœurs de la planète Finance. Quand bien même les nouvelles lois américaines vont établir une autorité de contrôle, cela ne va pas étouffer le métier mais l’assainir.

Par ailleurs, si ces mêmes lois rendront le rating facultatif, les opérateurs ne l’abandonneraient pas pour autant. Il faut bien garder à l’esprit que le rating est dans le saint des saints, c’est-à-dire Bâle II et qu’il est aussi dans Slovency. Il est même dans les us et coutumes des «credit bureaus» dont le travail est de noter les clients personnes physiques des établissements de crédit. Ce qui est en cause en ce moment ce sont les mauvais usages faits du rating par une oligarchie d’agences, qui en constituent un Lobby ou un syndicat d’intérêts aux pratiques ténébreuses.

C’est d’ailleurs ce qui a poussé Bruxelles notamment à envisager de promouvoir une entité européenne de rating. Mais la question est surtout universelle et pourquoi ne pas impliquer la CNUCED et lui donner ce pouvoir de contrôle ? Sous des dehors d’intérêts privés, l’affaire est éminemment politique. Le rating des Etats concerne le sort du financement des pays en développement. Que l’on se souvienne : la question mérite bien d’être traitée au plan politique. Trop d’intérêts sont en jeu.