Quel capital risque à la française après la crise ?

Par : Tallel

Dans sa dernière étude l’Afic (Association Française des Investisseurs en
Capital) souligne la bonne santé pour 2008 du Private Equity en France. Selon l’Afic,
les montants levés ont progressé en 2008 de 27,4 % pour atteindre 12,7
milliards. En terme d’investissements l’Afic souligne la bonne santé du capital
risque français qui avec un montant levé de 750 M € et prés de 430 entreprises
financées enregistre un record historique exclusion faîte de l’année 2000. Ces
chiffres appellent un premier commentaire : on remarque que la part du capital
risque dans le Private Equity en France est d’un peu moins de 6 %. Ce n’est pas
un chiffre inférieur ou supérieur à ce que l’on peut observer aux Etats-Unis ou
en Europe, en revanche au regard des montants totaux levés aux Etats-Unis (287,5
Mds de dollars) et en Europe (65,3 Mds d’euros), le montant disponible pour le
financement de l’innovation est assez faible. En conséquence le nombre de
projets financés est assez réduit et les investissements se concentrent sur
quelques projets où les investisseurs espèrent un TRI (Taux de Retour sur
Investissement) très important.

Cela semble d’autant plus naturel que les investisseurs savent que le TRI du
Capital Risque dans son ensemble sur une longue période est faible et même
parfois négatif. Mais il existe d’autres raisons à la faiblesse structurelle du
capital risque en France.

Certains estiment qu’il y a un problème quantitatif : il n’y a pas assez
d’entreprises de technologie à très fort potentiel en France (à l’exception de
quelques niches spécifiques) ni peut être même en Europe, ce qui ne permet pas
d’investir de façon rentable dans ces secteurs. D’autres soulignent les aspects
qualitatifs : les start-up européennes ne disposent pas de suffisamment de
technologies propriétaires pour se mesurer durablement aux start-up américaines.
C’est peut-être une partie de l’explication, mais plutôt que la technologie, on
peut surtout citer les freins au développement commercial des sociétés au niveau
européen, qui empêchent le développement rapide des sociétés en raison de
marchés trop fragmentés : normes différentes, langues différentes, obstacles
nationaux, problèmes de réseau de distribution…

La concurrence des pays émergents est aussi une autre explication de la
faiblesse structurelle du capital risque français. Il semble que la concurrence
des deux principaux futurs marchés mondiaux, la Chine et l’Inde, ont conduit de
nombreux venture capitalistes américains à se concentrer sur ces marchés, car
ils permettaient à la fois un développement beaucoup plus rapide des produits,
et des coûts de fabrication ou de développement beaucoup plus bas qu’en Europe
ou aux Etats-Unis. Ce déplacement vers la zone Asie a contribué à rendre le
financement des start-ups européennes et françaises encore plus difficile. Même
si l’Afic souligne dans son rapport que 5 milliards d’euros ont été levés à
l’étranger on peut se poser des questions sur le moyen terme de l’attractivité
française et européenne.

Il n’y a pas assez d’investisseurs institutionnels en France

Même si l’Afic souligne le rôle joué par les institutionnels dans les montants
levés aux côtés d’investisseurs privés dans le Private Equity (7,7 Milliards
levés en 2008), les facteurs structurels liés aux sources de financement jouent
un rôle essentiel et il n’y a pas assez d’investisseurs institutionnels en
France.

Contrairement aux Etats-Unis, il n’y a pas de fonds de pension ou de caisses de
retraite par capitalisation jusque très récemment. Le système des mutuelles
organisé selon un système de répartition après la guerre, conduit à un grand
nombre de caisses avec peu de moyens financiers et ne leur permet pas d’investir
le créneau du capital risque.

Dans le domaine de l’assurance, Axa a consolidé l’essentiel des sociétés
nationales, ce qui a conduit à une seule grande source de financement, mais elle
est elle-même acteur sur ce marché, et investit peu dans les fonds gérés par des
tiers. Pour les observateurs que j’ai pu interroger ce facteur est un handicap à
long terme, qui ne se résoudra pas simplement car pour eux on ne peut remplacer
un système de capitalisation en peu d’années.

D’autre part ils estiment que les institutionnels (français ou européens) qui
ont investi sur le marché français se sont massivement tournés vers les fonds de
développement (moins risqués), puis de LBO (plus rentables) avec des avantages
fiscaux identiques au capital risque (sans les risques). En ce sens, les
incitations fiscales créées au début des années 80 pour financer le
développement du capital risque en France (et dans tous les pays européens), ont
progressivement été détournées de leur véritable objectif, en servant
essentiellement à défiscaliser les bonus des gérants de fonds de LBO. Aucune
incitation particulière n’a été mise en place pour les investisseurs qui ont
continué à financer des fonds d’amorçage ou de venture, et le financement des
sociétés innovantes repose désormais sur des mesures fiscales passées (les FCPI)
et nouvelles comme celles liées à l’ISF alors que l’on peut estimer que d’un
point de vue politique c’est aussi le rôle des institutionnels. Cette situation
à conduit les pouvoirs publics à fortement intervenir.

Avec la crise on a donné plus de moyens à Oséo, à la Caisse des Dépôts sans
oublier le Fonds Stratégique d’Investissement. On peut s’interroger sur le rôle
des pouvoir publics dans le financement objectif des innovations de rupture. Les
arbitrages politiques, surtout en période de crise, sont nombreux et viennent
obérer les objectifs d’un financement de l’innovation à long terme.

Laisser le capital risque aux mains des industriels n’est pas non plus une bonne
solution. Les fonds gérés par des leaders industriels ont fleuris ces dernières
années, notamment dans le secteur high tech. Mais concernant les investisseurs
industriels, ils sont culturellement incapables de gérer un rapport sain avec
les start-ups (souvent, il s’agit soit de stratégies d’acquisitions “spin-ins”
ou même dans certains cas de volonté de tuer des concurrents potentiels dans
l’œuf – on parle alors d’incinération technologique). Lorsque les grands groupes
industriels investissent, ils sont en outre confrontés à un problème quasiment
juridique, car ils sont souvent perçus comme des “poches” profondes qui sont
appelés à combler le passif en cas de faillite des jeunes sociétés. Ce problème
est particulièrement aigu en France, et la plupart des grands groupes ont
préféré financer en interne (sur fonds propres) la R&D sur leur métier de base,
plutôt que d’investir dans des jeunes sociétés à travers des fonds
d’investissement.

Toutefois il y a des contre exemples : EDF est le principal exemple d’un groupe
qui a maintenu un programme de venture capital de façon régulière pendant les
trente dernières années. Enfin les solutions pour le capital risque ne passent
pas forcément non plus par une plus forte montée en puissance du Family Office.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser les grandes familles sont moins
nombreuses en France que dans le reste de l’Europe, pour des raisons
essentiellement historiques (héritage égalitaire dans le Code Napoléon, qui a
conduit à un morcellement des patrimoines à chaque génération). La fiscalité
joue un rôle également, mais certainement moins important.

De nombreuses familles se sont délocalisées fiscalement dans d’autres pays, ce
qui a conduit à créer des sociétés d’investissement à l’extérieur du pays. Ces
familles ont par ailleurs assez peu d’affinités avec le monde de la technologie,
et ont perdu de l’argent dans ces secteurs, ce qui les a conduit à se tourner
(comme les institutionnels) vers les investissements en développement et en LBO.

Alors que se profile une année beaucoup plus difficile pour les levées de fonds
du Private Equity en France du fait de la crise financière mondiale certains
observateurs estiment que le capital risque français va souffrir énormément.
Cela n’aurait pas beaucoup d’importance si on ne considérait par le capital
risque comme un élément moteur au financement de l’innovation et à l’ouverture
de nouveaux marchés pour l’industrie française. Pour certains cette relation
n’est pas évidente – on peut faire aussi du capital risque ailleurs dans le
monde avec des fonds français – mais ce qui est sur c’est qu’une grande partie
de l’industrie technologique américaine est née grâce au capital risque
américain. Si on considère que les technologies de la connaissance restent un
des moteurs de la croissance mondiale il va falloir se pencher rapidement sur
l’avenir du capital risque français et ne pas attendre la fin de crise
financière

Source :
http://blogs.lemagit.fr