Néjib Karafi, D.G du CETTEX : « Le passage à la co-traitance et au produit fini

On en parlait beaucoup et on en parle encore. Le passage de la
sous-traitance à la co-traitance et au produit fini est un objectif stratégique
pour promouvoir le secteur textile habillement en Tunisie. Mais à la lumière de
la crise actuelle, il est le moment de s’interroger sur les enjeux que
représente ce choix pour notre tissu industriel.

Néjib Karafi, Directeur Général du Centre Technique du Textile nous
l’explique dans l’entretien qui suit :

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Quel
avenir pour le textile-habillement tunisien aujourd’hui dans le contexte
concurrentiel mondial ?

Le secteur résiste depuis quatre ans aux différentes turbulences
économiques internationales et reste dans la course. Les exportations se
maintiennent bien (1,7% de taux d’évolution durant les 10 premiers mois de
2008 par rapport à 2007). Notre part de marché (près de 5%) reste la même
malgré la stagnation des marchés européens qui a entraîné un ralentissement
de la consommation notamment en France, notre premier client.

Cependant, le secteur doit continuer à s’adapter à une demande en
évolution continuelle. Il devrait améliorer encore plus sa productivité,
accélérer la montée en gamme de ses prestations pour augmenter la valeur
ajoutée d’une offre plus réactive.

Les industriels doivent poursuivre leurs efforts pour : intégrer des
services en co-traitance tout en conservant leurs clients en sous-traitance,
troquer leur statut de sous-traitant contre celui de co-traitant ou de
fabricant du produit fini, atteindre le niveau technique exigé du client
européen et s’adapter aux exigences multiples des donneurs d’ordres.

Les asiatiques investissent massivement dans l’industrie du
textile-habillement, s’acharnent à améliorer la qualité de leur production
et ambitionnent d’offrir un full package. Quant aux entreprises tunisiennes,
l’avantage comparatif ne repose plus désormais sur le coût de la main
d’œuvre et les industriels sont en train de construire un avantage
comparatif basé sur le circuit court (fast-fashion) et les produits élaborés
à haute valeur ajoutée.

Les professionnels ont pris leur parti de la situation et ils ont fait
leur deuil du T-shirt basique et du jeans à 5 poches. Les commandes de plus
de 5.000 pièces sont devenues rares et les prix sur les produits basiques
sont définitivement hors marché pour la Tunisie.

La crise régulatrice, pour ainsi dire, offre à nos industriels plusieurs
opportunités qu’il convient de concrétiser et de saisir. Les fournisseurs
européens, favorisent actuellement le sourcing de proximité au sourcing long
courrier (asiatique). Ils sont en quête de fournisseurs réactifs qui leur
permettent de multiplier les collections, de fabriquer les petites séries et
les réassorts. Des fournisseurs situés à quelques heures de Marseille, de
Gènes, de Rotterdam ou de Hambourg. Les entreprises tunisiennes adressent
leurs échantillons aux donneurs d’ordres en moins d’une semaine et livrent
leurs entrepôts en deux à trois semaines.

Peut-on parler aujourd’hui d’un nouveau modèle industriel dans le secteur
textile-habillement ?

On peut en tout cas parler de mutation de production qui intègre
dorénavant des fonctions qui auparavant n’étaient pas prises en charge par
l’entreprise.

Notre industrie d’habillement se dirige vers un modèle industriel intégré
assurant l’approvisionnement, le pilotage du design, de la production…

Ce modèle est capable, aujourd’hui, de répondre aux différentes exigences
des acheteurs européens en matière de mode, de réassort, de petites séries,
de qualité…..

La réponse tunisienne à la demande de fast-fashion se fait tout au long
de la chaîne de production que ce soit en terme de technicité,
d’industrialisation du produit, de logistique,… Je cite par exemple la
réduction des délais comparativement aux années 2000, 2003 et 2004 pour des
productions en sous-traitance, en co-traitance et en produit fini. Pour la
sous-traitance, on est passé de 5 à 6 semaines en 2000 à 2 ou 3 semaines
actuellement. Pour la co-traitance et le produit fini, on est passé de 2
mois et demi en 2003-2004 à 5 semaines actuellement.

Beaucoup d’entreprises ont modifié leurs organisations, leurs outils de
production et ont adapté leurs stratégies commerciales et de marketing. Il
faut préciser que le passage à la co-traitance et au produit fini, ne se
fait pas du jour au lendemain. C’est un changement de longue haleine qui
nécessite beaucoup d’investissements matériel et immatériel. Une entreprise
cotraitante ou qui souhaite fabriquer sa propre collection doit prévoir 8
revoir 10 fois plus ses besoins en fonds de roulement afin de financer les
nouveaux services qu’elle est appelée à intégrer dans son activité comme le
sourcing, le marketing, le stylisme & modélisme, la logistique,….

Qu’en est-il des investissements étrangers?

Il y a une crise ou plutôt une angoisse. Certains s’inquiètent de la
situation, mais d’autres disent que c’est le moment adéquat pour investir.
Les crises sont une occasion pour assainir le marché. Seules les entreprises
solides restent. Et puis n’oublions pas les atouts stratégiques de la
Tunisie (- rapidité, proximité, etc. -) qui représentent une sécurité pour
les donneurs d’ordre. Ils ne veulent plus aller vers la Chine où le sourcing
long courrier peut présenter des risques.

Vu la stagnation des marchés européens, y a-t-il d’autres alternatives
pour le renforcement de l’export?

Nous sommes le 5ème fournisseur de l’Europe, et notre part sur ce marché
reste néanmoins faible (5%). Il y a la possibilité de développer les
exportations du secteur vers des marchés européens moins saturés et avec des
potentialités plus importantes et sur lesquels notre positionnement demeure
faible ; c’est le cas pour les marchés du Royaume Uni, l’Espagne, les Pays
Bas….Si on fixe un objectif sur cinq ans de doubler nos exportations vers
l’Europe et d’atteindre 8 ou 10% de part sur ce marché, ça sera déjà un
objectif pharaonique. La progression de notre part du marché nécessite la
diversification de nos produits et la progression de nos activités marketing
sur les marchés ciblés.

Le marché américain est également très porteur mais ce marché exige de
grosses quantités. Il faut reconnaître que l’opportunité du marché américain
reste faible devant les marchés européens dont certains ne sont pas encore
bien développés.

D’un autre côté, il y a d’autres marchés comme l’Algérie, la Libye et le
Maroc. Trois marques tunisiennes (Mabrouk, dixit et Blue Island) ont déjà
installés des points de vente à Casablanca. Des entreprises de lingerie
comptent également s’y installer. La prochaine cible est Amman, ce qui
permettra de mettre en application les accords d’Agadir.

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