Tout le monde est
d’accord, au moins, sur une chose : les responsables de la crise financière
qui secoue actuellement le monde ne disent pas tout aux premières victimes
de cette catastrophe anthropique, en l’occurrence les contribuables.
En dépit de l’ampleur de la mobilisation et de la générosité surprenante des
banques centrales (baisse des taux d’intérêt, injections de milliards de
liquidités, nationalisation de banques tous azimuts…), les Bourses
continuent leur «krach rampant», voire au goutte-à-goutte.
C’est pour dire qu’il y a trop de «non-dits» dans cette affaire. Mercredi
soir, à la chaîne française F2, la ministre française de l’Economie, de
l’Industrie et de l’Emploi, Christine Lagarde, a tenu à déclarer, en termes
feutrés, qu’elle n’est «ni optimiste ni pessimiste mais simplement
réaliste». Si une personnalité d’une telle importance n’est pas bien
informée de la situation, alors que dire du commun des mortels. Le Fonds
Monétaire international (FMI) annonce, pour 2009, une année «bien sombre».
Un pays comme l’Islande se déclare en faillite et sollicite l’aide de la
Russie qui a pris l’audacieuse décision de fermer ses Bourses, une décision
qui va faire un cas d’école dans le monde de la finance.
Moralité : la crise s’installe et va se poursuivre avec comme corollaire la
fin de la globalisation et l’avènement de l’ère de chacun pour soi.
Pour comprendre cette crise, il est indispensable de rappeler que le pays de
l’Oncle Sam et son bras financier la Réserve fédérale américaine (FED) ont
eu la fâcheuse tendance à baisser, depuis 1990, le loyer de l’argent en le
rendant accessible à de plus grandes franges sociales non bancables en toute
logique économique. Faut-il le rappeler, les taux de crédit ont été abaissés
à 1%.
Cet accès facile au crédit bon marché a eu une triple conséquence : les
ménages ont accru leurs achats (logements, automobiles), les entreprises ont
intensifié leurs investissements et les banques se sont ingéniées à mettre
au service de cette clientèle dopée des produits de plus en plus téméraires
et de plus en plus risqués.
C’était trop beau pour que ça continue : la première alerte a eu lieu en
2000 avec le krach boursier qu’a connu le marché de l’Internet (Nasdaq). La
deuxième alerte a eu lieu en 2007 avec le surendettement des ménages,
victimes du fameux marché américain des subprimes, nom donné aux crédits
hypothécaires américains risqués.
Les subprimes sont des crédits immobiliers à taux variable accordés
généreusement aux Etats-Unis à des ménages a priori non solvables, et
surtout, indexés sur le taux d’intérêt directeur de la FED. Il n’y avait pas
beaucoup de risque à octroyer ce type de crédits lorsque le taux d’intérêt
était faible (1%). Cependant, compte tenu de la surliquidité qui existait
aux Etats-Unis, et sa conséquence immédiate, l’accroissement de l’inflation,
la Fed a été amenée à relever son taux directeur à plusieurs reprises pour
atteindre (5,25%). Ce taux directeur n’est autre que le taux de référence
des crédits de toute sorte, y compris les subprimes. Les ménages se sont
ainsi retrouvés dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts, ce qui a
provoqué l’effondrement de leurs créanciers, les banques.
La crise s’est ensuite propagée partout dans le monde par le double effet du
sentiment de panique (crainte des pertes) et de la titrisation. Ce mécanisme
consistant à transformer des prêts bancaires en titres (obligations) achetés
par des investissements du monde.
Pis, la crise a transcendé les crédits immobiliers à tous les autres crédits
titrisés, y compris les crédits automobiles et crédits à la consommation…).
Les banques ne sont plus les seules touchées. D’autres institutions du
marché financier (assureurs et autres) sont également affectées.
La défiance interbancaire, voire leur refus de s’entraider et de se prêter
l’argent a fini par gripper tout le système : moins d’investissements, moins
de croissance et moins d’emplois. Désormais, la crise touche l’économie
réelle (appareil productif, investissements).
Reste à savoir qui est responsable de cette crise. Il s’agit d’institutions
financières qui échappent à tout contrôle et qui ne pratiquent pas ainsi les
règles prudentielles prônées entre autres par Bâle II. Les experts sont
unanimes pour désigner du doigt, en premier lieu, les agences de rating qui
n’ont pas su évaluer les crédits à risque (subprimes). Viennent ensuite les
banques d’affaires et d’investissement. Ces banques, qui se finançaient non
pas avec des dépôts mais en émettant du «papier commercial» acheté par des
investisseurs spéculateurs (fonds d’investissements, SICAV et autres…), ont
mis à profit la concomitance de la baisse des taux d’intérêt bancaire (1%)
et la hausse du prix de l’immobilier pour réaliser ces cinq dernières années
des financements «titrisés» de grande ampleur. Seulement c’est le contraire
qui arrive. Les investisseurs ne veulent plus acheter des titres et les
banques refusent d’accorder des crédits. Le système commence à fonctionner à
rebours avant de se gripper.
Les politiques sont aussi responsables. Ils ont laissé ces nébuleuses
croître selon le principe ultra libéral «laissez faire laissez passer» en
l’absence de tout contrôle.
Avec l’accélération d’une mondialisation boostée par les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC), il n’est pas
exclu, selon Christine Lagarde, que toutes les banques trouvent dans leurs
bilans «des produits toxiques importés déstabilisateurs». En principe, tout
le monde est concerné.
Les solutions qui sont proposées, jusqu’ici, sont tout juste palliatives.
Elles peuvent être qualifiées de «solutions de sortie». Elles ont tout juste
pour objectif d’éviter le krach total. Celles-ci ont consisté à injecter de
l’argent liquide dans le circuit financier mondial, à baisser de manière
concertée les taux d’intérêt, à soumettre les établissements de crédit
hypothécaire au contrôle institutionnel et à assujettir les agences de
notation à des règles de supervision strictes.
Néanmoins, la crise est loin d’être locale. Elle est globale et nécessite
une solution radicale et multipolaire. Un sommet mondial à la Bretton Woods
n’est donc pas à exclure.
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