La politique ordonnatrice : Instrument indispensable pour les économies en développement du monde arabe

Par : Autres


Par Ghanie Ghaussy*

La théorie de l’ordre économique (economic
order) est très peu développée dans la littérature économique arabe. Au
mieux, elle est discutée en politique pour comparer les différents systèmes
économiques et pour en déduire les conséquences pour la politique
économique. Cette situation s’explique notamment par le fait que les Etats
arabes – malgré l’élément unificateur que constitue l’islam comme religion
qui englobe tous les aspects de la vie – n’ont pas eu, historiquement
parlant, un développement uniforme, à l’exception de l’époque classique de
l’empire musulman qui, d’ailleurs, a également connu des différences
régionales et géographiques. A cette période, se développe presque partout
un système économique basé sur le libre choix des sujets économiques,
pourtant orienté, dans la presque totalité des Etats territoriaux arabes,
vers le commerce (capitalisme de bazar).

 

Le
développement économique et social qui a suivi la Révolution industrielle a
contribué, dans les pays européens, à l’avènement d’une économie
relativement uniforme basée sur la liberté et la division du travail. Il a,
par ailleurs, nécessité l’introduction d’une politique ordonnatrice, car la
liberté qui ne connaît pas de limites devient une liberté destructrice. A
cette époque, la dépendance économique du monde arabe face à l’Europe a été
déterminée par les puissances coloniales européennes qui ont continué à
exercer leur influence jusqu’à la fin de l’époque coloniale. La colonisation
a également contribué à la déformation des structures anciennes dans les
pays arabes.

 

Les nouveaux concepts de l’ordre introduits par les puissances coloniales
ont marqué tous ceux qui, dans les pays arabes, ont été, pour des raisons
politiques ou économiques, en contact avec ces concepts. Seulement vers la
fin des années 50 et pendant les années 60, les Etats arabes qui venaient
d’accéder à l’indépendance, ont commencé à concevoir, en théorie et en
pratique, les ordres en fonction de leurs propres visions politiques et
économiques. Les discussions sur le «socialisme arabe» et le «socialisme du
parti Baath» en sont quelques exemples. Comme indiqué précédemment, ce débat
a été plutôt axé sur le système politique et moins déterminé par des
critères relevant d’une politique ordonnatrice en matière d’économie.

 

Or, dans la conception des ordres économiques il s’agit de savoir comment et
par quels critères les différents sujets économiques – entreprises, ménages,
etc. – établissent leurs plans et comment ils les coordonnent entre eux. Il
s’agit également de savoir si et sous quelle forme l’Etat intervient dans ce
processus. Dans une économie de marché les différentes entreprises
conçoivent leurs plans de production et les ménages leurs plans de
consommation en fonction des décisions individuelles et libres. L’Etat crée
les conditions cadres juridiques et économiques et n’intervient pas dans les
décisions individuelles des sujets économiques. La coordination des plans se
fait par le marché, autrement dit par le mécanisme des prix sur les
différents marchés. Un ordre économique qui gère l’économie à travers le
marché et dans lequel le processus d’adaptation se fait également par le
marché, est une « économie libre ». La condition sine qua non d’un tel ordre
économique est l’existence de la propriété privée et la liberté d’action des
sujets économiques quant à leurs activités économiques individuelles. A
l’opposé, une « économie centralement planifiée » ne connaît la propriété
privée ni des moyens de production ni des biens de consommation. Les organes
de planification étatiques centralisés prennent les décisions à la place des
entrepreneurs et des consommateurs. Le processus de coordination ne se fait
pas par la formation des prix sur le marché mais par les organes de
planification de l’Etat (socialisme).

 

Ni
dans les Etats occidentaux, ni dans les Etats arabes ces différents types
d’ordres économiques existent à l’état pur. Les besoins des sujets
économiques individuels (besoins individuels) et ceux de la communauté
(besoins collectifs) nécessitent l’intervention de l’Etat. La liberté
absolue accordée aux entrepreneurs et la possibilité de fusionner entre eux,
voire la création de monopoles ou d’oligopoles qui déterminent les prix sur
les marchés, peuvent compromettre, de manière considérable, la satisfaction
des besoins individuels. Les ententes entre les producteurs et la formation
de cartels ou de groupes et les «gentlemen’s agreements» sont les
conséquences d’une économie de marché libre sans interventions étatiques.
Les entreprises qui se concentrent sur la maximisation des profits ne sont
guère intéressées par des investissements dans des domaines qui relèvent des
besoins collectifs et ne promettent pas des profits juteux. De nombreux
domaines d’une économie nationale –quelle soit européenne ou arabe–
essentiels pour le bon fonctionnement d’une société, comme les
investissements dans l’infrastructure, la sécurité, l’éducation, le droit et
la sécurité sociale, rendent donc nécessaire l’intervention directe ou
indirecte de l’Etat.

 

Pour cette raison, la République fédérale d’Allemagne a associé, dès la
conception de son ordre économique, qui a suivi la réforme monétaire de
1948, le principe de la libre concurrence à celui de l’«harmonisation
sociale». C’est ainsi que la notion de l’«économie sociale de marché» a vu
le jour. L’économie sociale de marché est donc un « ordre global sciemment
conçu pour l’économie de marché», elle est basée sur la conviction profonde
qu’il faut intégrer «les exigences sociales d’une société moderne dans un
système de libre concurrence» (A. Müller-Armack).

 

Concernant les économies en développement – telles que celles que nous
observons aujourd’hui dans presque tous les Etats arabes – l’intervention de
l’Etat est une nécessité. D’abord dans l’intérêt des besoins collectifs,
puis dans tous les secteurs économiques essentiels pour le développement
économique qui n’attirent pas les investisseurs privés.

 

Pour créer un ordre économique optimal, il est nécessaire – notamment dans
les économies arabes émergentes – de viser un équilibre optimal entre une
conception libre des intérêts privés et des entreprises privées d’un côté,
et la garantie des intérêts collectifs à travers les investissements de
l’Etat, de l’autre. Il faut créer une «économie mixte», ou comme on dit
aujourd’hui un «managed capitalism», un système dans lequel l’Etat, en
adoptant une législation adéquate, crée les conditions cadres nécessaires
pour les activités économiques privées et permet, en même temps, par des
interventions directes, la satisfaction des besoins collectifs. Cet
équilibre optimal varie d’un pays à l’autre, d’un cas à l’autre. En général,
on peut dire qu’un ordre économique est optimal si, à l’intérieur d’un cadre
établi par la législation, les activités privées peuvent être réalisées
librement et «autant que possible» et si les interventions et activités
étatiques sont limitées «autant que nécessaire». Le cadre ordonnateur pour
une telle «économie mixte» à déterminant social doit être garanti à long
terme. Une politique ordonnatrice dans le domaine de l’économie qui change
au gré des jours et en fonction des intérêts politiques, est une politique
économique qui nuit au développement et à la croissance de toute économie
nationale.

 

———————————

 

* Ghanie Ghaussy
est professeur émérite en économie politique. Il a enseigné dès 1979 à la
Helmut Schmidt Universität/Université de l’Armée allemande à Hambourg. Pr. Ghaussy
est un éminent expert de l’islam et un grand connaisseur de l’économie
sociale de marché.

 

Né en 1932 à Kaboul,
ville où il étudie à l’Ecole allemande, il fait son habilitation en 1964 à
l’Université de Berne et enseigne, à partir de 1965, en tant que professeur
à la faculté des sciences économiques de l’université de Kaboul. De 1966 –
1974, il assume également les fonctions de gouverneur de la Banque centrale
afghane. Après avoir passé quelques années aux Etats-Unis pour approfondir
ses recherches, il retourne en 1977 en Allemagne pour y enseigner à
l’université.

 

 

———————————–

 


A propos de
Konrad-Adenauer-Stiftung – Programme Régional Proche Orient/ Méditerranée

La
Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), une des plus éminentes fondations politiques
en Allemagne est l’héritière fidèle du premier chancelier allemand Konrad
Adenauer (1876-1967) qui a introduit l’économie sociale de marché dans
l’économie allemande d’après-guerre en étroite collaboration avec son
ministre de l’économie Ludwig Erhard et en s’inspirant de l’Ecole de
Fribourg.

 

Animée par le désir de
promouvoir et de soutenir la démocratie, la liberté et la justice, la
Konrad-Adenauer-Stiftung déploie, depuis plus de 25 ans, ses activités dans
la région du Proche et Moyen Orient et la Méditerranée. Dans le cadre de ses
activités qui visent à développer un ordre économique adéquat, la KAS se
base essentiellement sur l’économie sociale de marché, un concept qui a fait
ses preuves en Allemagne et a été adopté par de nombreux Etats européens. La
KAS voudrait partager l’expérience allemande et contribuer à une
connaissance plus approfondie de l’économie sociale de marché parmi ses
partenaires et amis dans la Région Proche Orient / Méditerranée. La
Konrad-Adenauer-Stiftung reste convaincue que les principes de l’économie
sociale de marché offrent des solutions tout à fait adaptées aux défis à
relever, aujourd’hui, par les économies arabes. 

 

————————-

 

Konrad-Adenauer-Stiftung

Programme Régional Proche
Orient / Méditerranée

3, Rue Mahmoud El
Ghaznaoui – 1082 El Menzah IV Tunis / TUNISIE

Tel  +216 – 71 751 420 /
71 237 525 – Fax +216 –  71 750 090

Site web:


www.kas.de

– e-mail: info@kas.com.tn)