Pour une rationalisation de la mesure d’audience TV en Tunisie

Par : Autres

Enjeux de
la mesure des comportements de l’audience de la télévision en Tunisie

 

Pour les chaînes TV, les
enquêtes d’audience présentent un grand intérêt. Cela leur permet en théorie
et dans une optique d’évaluation et d’amélioration de la programmation, de
valider les grilles et les cibles de programmation ainsi que la pertinence
des choix éditoriaux face à la concurrence. En Tunisie, les deux chaînes
publiques et la chaîne privée tunisienne sont concurrencées en termes
d’audience par près de 2000 chaînes TV, dont près de 300 chaînes en langue
arabe, accessibles au téléspectateur tunisien via l’équipement en récepteurs
de programmes par satellite non onéreux et largement généralisés, notamment
dans les milieux urbains.

 

Pour le marché
publicitaire, ces enquêtes permettent au niveau des régies publicitaires
(confondues avec les chaînes TV en Tunisie) l’optimisation de la
tarification des écrans et leur segmentation par cible marketing visée.

 

Au niveau des annonceurs,
les enquêtes d’audience permettent l’optimisation de l’allocation des
budgets destinés à l’achat des espaces publicitaires selon les comportements
d’audience des différentes cibles ainsi mesurés.

 

En Tunisie, les
investissements publicitaires TV représentent près de 45 millions de dinars
tunisiens (hors remises, majorations, dégressifs, gratuités et taxes),
contre 80 millions en Algérie et 250 millions de DT au Maroc. Les recettes
publicitaires sont estimées cependant à moins de 30 millions si on
comptabilise les remises pratiquées par les différentes régies (publiques et
privées).


 


Evolution des techniques
de mesure d’audience de la télévision dans le monde et en Tunisie

 

Toutes les techniques de
mesure d’audience de la télévision reposent sur les enquêtes par sondage. La
maîtrise de l’ingénierie statistique des sondages et l’expertise
sociologique en matière de relevé de l’information sur le terrain
constituent les composantes principales de la précision de la mesure
d’audience de la télévision.

 

Dans le monde, trois
étapes méthodologiques ont jalonné la mesure d’audience, commencée depuis
les années 40 aux Etats-Unis avec Gallup. D’abord il y a eu les enquêtes par
interview. Elles consistent à questionner un échantillon d’individus
sélectionnés sur la base de quotas raisonnés tendant à garantir la
représentativité d’une population de référence avec des critères
démographiques et socioéconomiques, ces enquêtes se déroulent dans la rue en
face à face et portant sur l’audience TV de la veille.

Cette méthode offre
l’intérêt de porter des échantillons importants, d’assurer une bonne
représentativité de la population, et de ne pas avoir d’incidences sur les
comportements étudiés. En revanche, elle présente l’inconvénient de faire
appel à la mémoire : les réponses qu’elle fournit risquent d’être perturbées
par des erreurs ou des oublis.

 

Cette technique a été
abandonnée dans les années 60 pour passer à la méthode des carnets
d’audience. Il s’agit de placer dans des foyers choisis sur la base d’un
échantillonnage précis un questionnaire auto-administré, où chaque jour le
panéliste note ses audiences TV. Le panel offre l’intérêt de ne pas faire
appel à la mémoire, et par conséquent de limiter les risques d’erreurs et
d’oublis. Il fournit, pour un coût relativement limité, un volume important
d’informations et permet d’observer l’évolution des audiences en fonction du
temps.

 

Cette technique est
encore utilisée aux États-Unis chez les foyers hispaniques et
afro-américains, mais aussi pour la mesure de l’écoute radio en France.
C’est la méthode qui a été adoptée en Tunisie par SIGMA à l’instar de ce qui
se pratique en Egypte, Arabie Saoudite, Algérie, Jordanie, Liban, Emirats
Arabes Unis…

 

Début des années 80 est
apparu l’audimétrie. Il s’agit de l’ensemble des techniques servant à
recueillir les informations sur l’audience des médias par l’intermédiaire de
l’audimètre, appareil relié, d’une part, à un téléviseur et d’autre part à
une ligne téléphonique qui transmet les informations recueillies à un
ordinateur qui les traite. Les audimètres sont installés dans des
foyers-échantillons dont on veut mesurer la consommation télévisuelle.
Toutes les secondes l’appareil transmet les informations suivantes : Le
téléviseur est allumé ou éteint ainsi que le nom de la chaîne en service.
L’avantage d’un tel système est sa très grande précision en termes de
relevé. Le souvenir du téléspectateur n’est plus sollicité, et il ne peut
plus y avoir de fausses déclarations, d’erreurs, d’oublis, de confusion
entre les chaînes, les horaires, les émissions ou les écrans publicitaires.

 

Il existe cependant un
inconvénient majeur : si l’on sait sur quelle chaîne le téléviseur est
allumé, on ne sait pas s’il y a quelqu’un devant. Le but de toute étude sur
la fréquentation des médias est de dénombrer et de qualifier les individus ;
or l’audimètre ne permet ni l’un ni l’autre. C’est le boîtier à «bouton
poussoir» qui permet de compter et d’identifier les personnes présentes
devant le téléviseur. Plusieurs pays occidentaux ont adopté ce système. Au
Liban, il a échoué. Au Maroc, il est en phase de test, le processus a
démarré en 2005, il n’a pas encore abouti. En Europe, il est en pleine phase
de restructuration compte tenu des évolutions technologiques notamment en
matière de réception télévisuelle de plus en plus individualisée (ADSL,
téléphone mobile, etc.).

 


Limite de l’utilisation
des appareils d’audimétrie en Tunisie

 

L’utilisation des
appareils d’audimétrie en Tunisie peut se heurter à des difficultés dont
l’ampleur doit être appréciée avant la phase de test des équipements à
envisager éventuellement. Ces difficultés sont aussi bien d’ordre
sociologique qu’économique.

Sur le plan sociologique,
les foyers tunisiens sont composés de 4.5 personnes en moyenne, ce qui est
nombreux pour utiliser un seul système de boutons pressoirs. Il faudrait un
dispositif avec plusieurs boutons pressoirs (2,5 personnes en France en
moyenne par foyer, pour comparaison). Les comportements sociaux et
d’audience sont imbriqués étroitement : les personnes du foyer échangent,
discutent entre elles et avec les visiteurs et regardent de manière plus ou
moins attentive la télévision. En dehors des moments de forte attention, il
paraît peu réaliste que ce zapping permanent entre télévision et
conversation puisse être suivi avec les boutons pressoirs. La discipline de
l’ensemble des membres du foyer sera difficile à obtenir, et surtout à
maintenir.

 

Une large partie des
foyers est équipée de paraboles et dans les foyers équipés, les chaînes
satellitaires représentent plus de 60 % de l’audience. Les bouquets
numériques commencent à se développer (ART, demain ShowTime ou Canal+, …).
Les appareils audimétriques devraient dont être capables de détecter
l’ensemble de ces chaînes, ce qui exclu les équipements d’occasion
(analogique encore en vigueur).

 

Dans les foyers urbains,
il y a 1,4 téléviseur en moyenne (1,9 chez les foyers aisés), le système
audimétrique devra mesurer l’audience pour chaque appareil du foyer et
simultanément.

 

Les appareils
audimétriques se connectent à l’ordinateur central par téléphone. Une faible
part des foyers est équipée de téléphones fixes (36% en Tunisie, la tendance
est en plus à la baisse). Il sera probablement nécessaire soit de faire
connecter les foyers abonnés au réseau RTC (fixe de Tunisie Télécom) avec
risque de biais de sélection, soit d’utiliser un équipement G.S.M. pour une
partie des foyers.

 

Dans le rural (30% des
habitants en Tunisie), la plus grande part des foyers est en dehors des
réseaux téléphoniques filaire et hertzien. Il sera probablement nécessaire
d’utiliser un autre système de communication de l’information (passage d’un
enquêteur).

Le système en cours de
test depuis plus d’un an actuellement au Maroc repose sur une technologie
qui suppose le suivi de l’audience d’uniquement 3 à 4 chaînes, alors qu’en
réalité le téléspectateur regarde environ une dizaine de chaînes par jours

Sur le plan économique,
dans le monde, la part du coût de la mesure d’audience de la télévision
représente environ 0.5% de l’investissement publicitaire TV.

 

En Tunisie le coût actuel
annuel de la mesure d’audience supporté par les annonceurs, les agences de
communication, les centrales d’achat et certains médias TV, représente près
de 1% des 30 millions de DT de dépenses publicitaires effectives, soit
environ 300 000 DT. Or, 2 millions de DT sont nécessaires pour l’acquisition
des équipements de plateforme de réception téléphonique qu’il faudrait
amortir sur un horizon de 3 à 5 ans, un fond de roulement de 1.2 million de
DT pour le fonctionnement du système avec le choix d’un échantillon de 400 à
600 foyers tunisiens dont 30% apparentant au milieu rural. Ce qui ramènerait
la part des coûts de la mesure d’audience dans les dépenses publicitaires à
une hauteur de 5.5%. Traditionnellement, le financement d’un tel effort
reviendrait aux médias et aux annonceurs. Plusieurs mécanismes existent de
par le monde pour faire face aux frais occasionnés par la mesure d’audience
TV. On en cite deux à titre illustratif : Il y a d’abord la possibilité de
faire financer le système audimétrique par un pourcentage à ponctionner sur
chaque message publicitaire diffusé sur une chaîne TV locale (publique ou
privé et qui s’arrime au système).

 

Au Maroc, il a été décidé
que système avec un taux de 2% sur chaque spot publicitaire TV diffusés.
L’autre méthode est de constituer un GIE (groupement à intérêt économique)
constitué de représentant d’annonceurs et de médias et qui fonctionnerait
comme un institut de sondage spécialisé exclusivement en mesure d’audience
TV et dont la pérennité économique serait garantie grâce à un mécanisme de
financement approprié à l’instar du cas français Médiamétrie (60% de son
actionnariat est composé des médias TV et Radios).

 


Nouvelles technologies et
mesure d’audience de la télévision

 

Avec les nouvelles
technologies (ADSL, TNT, GSM,…), une nouvelle génération de mesure de
l’audience de la télévision est inévitable. Les professionnels des médias et
des télécoms au niveau international prévoient à horizon de 3 à 5 ans une
télévision ultra-personnalisée, à laquelle tout le monde participe et
accessible partout, sur Internet ou sur téléphone mobile. Le consommateur
verra alors ce qu’il veut, quand il veut et où il veut, sur sa télé, devant
son ordinateur ou sur son téléphone. Il est prévu qu’on passe de la
télédiffusion de masse (“broadcasting”) à l’egodiffusion (“egocasting”),
pour désigner cette nouvelle forme de télévision. Il s’agira d’une mise en
l’avant de l’ego, qui entraîne une hyper-personnalisation des médias et une
moindre importance des médias de masse. Internet jouera alors un rôle
essentiel dans cette évolution, permettant de créer ses vidéos, de les
diffuser sur la Toile mais aussi d’y regarder la télévision et de composer
ses programmes, adaptés à ses goûts. Le téléchargement de vidéos devient une
pratique courante. Actuellement, on note déjà que des émissions de
télévision traditionnelles sont de plus en plus mises en ligne après leur
diffusion, mais aussi des contenus créés directement pour Internet, voire
des chaînes qui n’existent que sur le Web. En somme : Les consommateurs
deviennent programmateurs de leur télévision !

 

La télévision par ADSL
marque une autre opportunité de personnalisation, grâce aux “box”, de plus
en plus perfectionnées. Certains box permettent de “construire” ses propres
chaînes, dont les programmes sont enregistrés de façon automatique, selon
ses goûts. Déjà dans les pays qui utilisent ce système, 30% à 40% du temps
passé devant la télé correspond à des programmes enregistrés.

 

Enfin, les opérateurs
télécoms misent sur le décollage commercial de la télévision sur mobile et
certains commencent déjà à produire des programmes adaptés.

Dans ce contexte mouvant
le choix d’une technologie audimétrique durable pour la mesure d’audience TV
devient illusoire !

 


Recommandations

Sur le court terme, il
est recommandé de continuer avec la méthode des Carnets d’audience en
élargissant et l’échantillon (géographie) et le temps de recueil de
l’information élémentaire (sur 2 ou 3 semaines), avec un système d’audit
extérieur effectué éventuellement par un organisme tierce mandaté par le
Conseil Supérieur ce la Communication et le Conseil National de la
Statistique. Lors de cette période de 2 à 3 ans, les études de faisabilité
technique et financière de l’audimétrie électronique seront menées et le
marché publicitaire aurait cru de manière à favoriser la rentabilité
économique d’un système audimétrique.

 

L’Institut National de la
Statistique pourrait être mandaté par l’Etat afin de réaliser une enquête
annuel, voire semestrielle sur les habitudes d’audience et les comportements
quotidiens d’audience TV, constituant ainsi les statistiques officielles de
cadrage à communiquer au grand public éventuellement.

 

A horizon de 3 ans (en
2011), avec la maturité du marché publicitaire et l’enrichissement de
l’offre télévisuelle tunisienne et maghrébine (Nessma TV, TT1, LBC Maghreb,
MBC Maghreb…) le système audimétrique devrait être opérationnel avec sa
phase test (6 mois) et phase de lancement (6 mois). Un montage financier et
d’affaires (business model) devra s’inspirer des cas français (en plein
chantier actuellement après une phase de maturité) et marocain (lent
démarrage) pour aboutir à une solution au final adaptée à la Tunisie. SIGMA,
en tant que leader maghrébin sur le marché de la mesure d’audience des
médias contribuera à la réflexion et à l’action à entreprendre pour de
nouveaux standards dignes des meilleures pratiques internationales.

 


Hassen
ZARGOUNI

 Economiste
Statisticien
Directeur Général de SIGMA Conseil.
(Article paru dans le magazine REALITES du 10 janvier 2008)