Elles vivent un malaise sans précédent : L’avenir des universités en rive Sud

Par : Tallel

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Sans une université digne de ce nom, il est impossible pour tout pays de
progresser. économique et au progrès

 Les
universités de la rive sud de la Méditerranée sont en crise. Le constat est
amer: ces établissements n’assument pas pleinement leurs nobles missions.
Aussi, posons-nous les trois interrogations fondamentales : Quelles
missions? Quelle organisation interne? Quels moyens?

La
première question concerne les missions liées au projet de société et à la
démocratie, thèmes absents des sociétés arabes et musulmanes actuelles,
malgré leurs potentialités. La deuxième question relative à l’organisation
est soumise à des contraintes. Face à la poussée démographique, une gestion
qui vise la recherche de l’excellence est un but prioritaire. La troisième
question, relative aux moyens, déterminera les conditions du développement.
Force est de constater que, malgré des efforts et une augmentation du
budget, les universités arabes vivent un malaise sans précédent.

Dans les
pays arabes, les universités souffrent le plus, à la fois de la faiblesse
des pratiques démocratiques, de la rareté des débats et de l’inculture des
acteurs politiques. L’élite intellectuelle et scientifique est marginalisée
et se laisse marginaliser. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Sans
une université digne de ce nom, il est impossible pour tout pays de
progresser. Nous sommes à une époque où tout est remis en cause, l’identité,
la souveraineté et le droit au développement. La rupture des liens sociaux
et la perte des repères culturels suscitent des incertitudes sans précédent.
Au lieu de s’appuyer sur le savoir et la connaissance pour faire face à ces
défis, les pratiques sont démagogiques, figées et dogmatiques.

L’université et la société

L’université doit contribuer au changement. La fonction de l’université est
multiple: produire du savoir scientifique et l’intégrer aux besoins de la
société, répondre aux exigences fondamentales de la connaissance, former aux
métiers élaborés et évolutifs et fournir un enseignement qui réponde aux
questions du sens et du vivre ensemble. Etre à l’écoute de la société et
l’aider à assumer son destin est une tâche majeure de l’université. Cela
nécessite un e réforme permanente des contenus, des méthodes et des modes de
pensée. L’interdisciplinarité et le lien entre enseignement et recherche
sont au coeur de la problématique. Pourtant, on assiste à l’isolement de
l’université par rapport à son environnement et à la coupure entre les
élites. Le développement d’une société n’est possible que par le soutien et
la réorganisation constante du savoir, qui contribue à son essor, par la
synergie, la connexion de toutes les intelligences. Réformer l’université ne
consiste plus seulement à favoriser, comme hier, la démocratisation de
l’enseignement ou à répondre, comme le croient aujourd’hui certains, aux
seuls besoins des entreprises. Sans perdre de vue ces deux niveaux, il
s’agit d’une réforme qui concerne la capacité ! à organiser la connaissance
pour former des citoyens responsables, compétents et civilisés. La société
du savoir et de la techno-science et les défis de ce XXIe siècle ne peuvent
se contenter d’actions sectorielles, idéologiques, techniques et de missions
de conjonctures.

L’université doit contribuer à la maîtrise des incertitudes et des
transformations. Ni la seule logique du marché ni les seules orientations
des acteurs extérieurs ne peuvent garantir à l’université un haut niveau
susceptible de répondre aux impératifs. C’est aux acteurs de l’université
que revient, en premier lieu, cette mission. Il faut un regard extérieur,
des critiques et avis des partenaires, et un soutien multiforme des
politiques, des entreprises et des citoyens, mais il faut surtout un travail
du dedans. La réforme ne peut venir que de l’intérieur des universités et de
l’intérieur du monde arabe, sur la base d’un climat de liber! té et de
considération des gens du savoir. Sans nostalgie de l’âge d’or, il faut se
souvenir que la rive sud de la Méditerranée, de Cordoue à Baghdad, de Béjaïa
à Fez et Kairouan, a créé un modèle d’université, qui a contribué à la
renaissance de l’Europe médiévale et à la modernité. La connaissance
progresse principalement, non sur la base du repli mais par la capacité à
s’ouvrir, sans perdre ses repères. Cette capacité nécessite de faire
confiance aux concernés et en même temps d’être exigeant.

Aujourd’hui, quelles priorités fixer et quels moyens mettre à sa
disposition? Le coût de formation d’un pays à l’autre, d’une région à
l’autre, d’un établissement à l’autre, selon les ressources et le mode de
gestion, varie dans le monde de 1 à 20, environ de 500 à 10.000 dollars
annuels par étudiant en graduation. A l’exception de trois d’entre eux aux
hauts revenus, les pays arabes y consacrent, en moyenne, seulement 1000
dollars, se retrouvant loin derrière plus de 120 pays. Selon une évaluation
internationale, sur les 500 premières universités performantes du monde,
classées sur la base de critères scientifiques, comme le nombre d’articles
publiés, de thèses, de type de laboratoires, de brevets d’invention, et
d’enseignants chercheurs de rang magistral, aucune université arabe n’y
figure. La recherche du partenariat pour l’innovation, le souci de parfaire
l’adéquation-emploi, et la recherche-développement entre les universités et
l’industrie, sont une voie incontournable.

Cependant, il faut veiller à garantir l’indépendance universitaire et éviter
le risque de transformer les universités en centres de formation
professionnelle. C’est par une stratégie de recherche intégrée, par
l’innovation et la recherche-développement que l’enseignement supérieur se
développera. Quelle université pour demain? Une centralisation paralysante
gérée par des bureaucrates médiocres au lieu de scientifiques managers et
l’absence de l’Etat de droit bloquent le débat et ruinent la mission des
universités. Paradoxalement, alors que la notion d’excellence, de plus en
plus acceptée par le peuple et les pouvoirs publ! ics et le marché national,
public et privé, demande les meilleures compétences, peu de moyens sont
investis pour réaliser ce but en vue de pouvoir affronter la concurrence
internationale et les enjeux.

Comparativement, les moyens budgétaires mis à disposition varient de 1 à 10.
Selon les chiffres de la Banque mondiale, les pays occidentaux consacrent,
en moyenne 3% de leur budget à la recherche. Tandis que dans les pays
arabes, la moyenne est seulement de 0.5%.

Sur le
plan du système, par exemple, l’instauration logique de la formule LMD,
Licence, Master, Phd, qui signifie que les cycles universitaires doivent
s’organiser autour du modèle 3, 5, 8 afin de faciliter la reconnaissance
mutuelle des formations supérieures au sein de l’espace mondial, risque, en
l’absence de cohérence, de défavoriser les formations de courtes durées et
de rendre aléatoire la prise en compte de nos besoins spécifiques. Bien plus
que la question des avantages matériels, un environnement politique et
culturel irrespectueux, des conditions de travail déplorables sur le plan
moral et un contexte contraignant favorisent la fuite des cerveaux. Cela
empêche le retour d! ’une grande partie de l’élite arabe installée à
l’étranger. Plus de trois cent mille chercheurs arabes de haut niveau
travaillent à l’étranger. Cette fuite des cerveaux représente, en terme de
valeur, l’équivalent de la dette extérieure des pays arabes.

Alors que la question de l’autonomie de l’université est un sujet
international, l’autonomie des universités arabes est presque nulle.Celle
des universités européennes, par exemple, sans désengagement des Etats et
des collectivités, concerne, en partie, le personnel, le financement, la
sélection des étudiants et l’élaboration des études. Sur le plan
organisationnel, il y a lieu de répondre à la question à partir de quel
nombre d’étudiants et de volume de travail, on doit réorganiser en
établissements différents pour faciliter leur gestion, ou au contraire,
fusionner les moyens afin de ne pas affaiblir les petites entités?

La réflexion doit porter sur la place des acteurs essentiels de
l’université: les enseignants. La maîtrise de l’évolution des besoins de
formation et de recherche, des niveaux de qualification, des structures du
corps enseignant et leur statut sont une tâche fondamentale. Les professeurs
d’universités doivent êtres au sommet de la pyramide. Cependant, il est
difficile de préserver une stabilité, une crédibilité et une efficacité de
ce corps avec un salaire moyen des professeurs équivalent à environ 500
euros, près des dix fois moins que leurs collègues européens. Reste à
clarifier les conditions de recrutement, les prérogatives et les devoirs,
les conditions de promotion et de mobilité. Dans les pays développés, la
moyenne du nombre d’enseignants est de un pour 15 étudiants et dans les pays
arabes, deux fois moins 1 pour 30. Seulement 15% en moyenne dans les pays
arabes sont de rang magistral. Dans les pays développés, trois fois plus,
45%. Il y a lieu d’oeuvrer en priorité pour la formation des formateurs, la
valorisation des droits de l’enseignant et la cohérence des corps. Tel le
rapprochement des corps d’enseignants et de chercheurs, pour rendre plus
aisée la mobilité de l’université vers les organismes de recherches et des
organismes vers l’université. Un statut unique de l’enseignement et du
chercheur est une voie logique.

Pour ce
qui est des devoirs, il y a lieu de définir un volume horaire de manière
concertée et instaurer le principe d’un rapport périodique d’activité
régulier dans les organismes de recherche, et pour les
enseignants-chercheurs à l’occasion des demandes de mutation, de primes ou
de promotion. Dans ce cadre, Il y a lieu de préparer des managers
professionnels pour gérer l’université. Une école supérieure spécialisée
dans ce domaine doit voir le jour, comme d’autres secteurs ont mis en place
leur outil de formation adaptée.

Les conditions d’accès, d’orientation, de progression, de passerelles et de
mobilité, aspects pédagogiques, devraient êtres du seul ressort des
scientifiques et des autorités concernées. Par contre, les conditions
d’études et de vie, sont à améliorer selon les besoins et possibilités. Pour
la population en âge de scolarité universitaire, seuls 10% accèdent à ce
niveau pour les pays arabes et plus de 50% pour les pays développés. Dans le
circuit, les étudiants doivent recevoir un volume horaire d’enseignement
suffisant. Les normes internationales relatives au volume horaire global
minimum d’un semestre est de 360 heures pour les sciences sociales et
humaines et 400 pour les sciences exactes et technologiques. On constate en
rive sud que trop souvent ce qui est dispensé dépasse rarement 70% de ces
volumes.

Aucune université ne peut vivre en ostracisme. La coopération, les
connexions, les réseaux, la mobilité et les échanges sont vitaux. Le système
de réseaux est une voie utile, tant pour bénéficier de l’expérience des
autres établissements que pour faire des économies. Un projet
Eramus-Méditérranéen, échanges et aides à la mobilité des étudiants et des
enseignants, dans le cadre Euromed peut, par exemple, donner un souffle
nouveau aux relations.

Vu la rareté des débats et des espaces d’échanges, les acteurs de
l’enseignement supérieur n’ont pas une représentation partagée minimale du
système universitaire. L’élite se sent en marge des décisions qui impliquent
l’avenir de la société. De la mission de l’université adaptée, à la fois aux
exigences universelles, aux besoins et valeurs propres, du statut de
l’enseignant, des moyens mis à disposition et des modes de gestion et plus
encore du rapport au savoir qu’entretiennent les politiques et la société
dépend l’avenir.


Le
rapport au savoir

Réforme périodique des programmes ou messages figés, ou pire absence de
programme officiel, théorie sans pratique, nouvelles technologies ou
systèmes désuets, transparence ou opacité, formation continue des personnels
ou blocage des carrières, campus ouvert à l’animation culturelle ou désert
intellectuel? Le plus souvent, ce sont les deuxièmes aspects qui priment.
Esprit d’entreprise performante ou administration incompétente? Espace
scientifique indépendant ou soumis aux puissances politiques et financières?
Imitation de modèles étrangers ou adaptation à nos valeurs? On n’ose pas
toujours ! poser et encore moins répondre à ces questions. Il faudrait
systématiser les indicateurs de gestion et le contrôle de gestion, éléments
qui sont insuffisamment mis en oeuvre. Le secteur public universitaire doit
disposer de son modèle de management performant. L’évaluation et le suivi de
toutes les instances, sont parmi les clés du développement

Site

www.mustaphacherif.com

 


http://www.lexpressiondz.com/T20070419/ZA10-5.htm