2017, l’année de tous les risques pour la Tunisie, selon Taoufik Baccar

Par : Autres

L’ancien ministre des Finances et ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Taoufik Baccar, vient de publier un post sur sa page Facebook concernant la situation économique de notre pays. Il nous livre une analyse approfondie des finances publiques, du manque de visibilité, des relations avec le FMI. Et il dénonce au passage la préparation d’un Plan de développement dans les circonstances actuelles. Il explique, in fine, pourquoi 2017 sera l’année de tous les dangers pour la Tunisie.

Vu l’importance de ce texte, Webmanagercenter a jugé utile de le partager avec ses lecteurs. Ca fait froid dans le dos.

Le voici le texte intégral

taoufik-baccar-eco-tunisie.jpgL’embrasement de l’économie tunisienne continue sans que quelqu’un bouge, c’est à se demander de quoi s’occupe-t-on dans ce pays. Le pays est en récession, presque tous les clignotants sont au rouge et pourtant la classe politique continue à s’épuiser dans des débats stériles.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si une mission du FMI est de retour en Tunisie à peine quelques jours après la visite de Christine La garde et la conclusion sous la pression de la dernière mission de revue du FMI. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à parcourir le rapport soumis par le staff au conseil d’Administration du FMI où on parle à plusieurs reprises que de “staff regret”, signe que le staff du FMI n’était pas convaincu pour conclure positivement la mission et demander au conseil le déblocage de la dernière tranche du crédit.

On terminera vraisemblablement l’année 2015 avec une croissance de -1%, un déficit budgétaire de près de 5% et un déficit des paiements courants entre 8 à 9% du PIB en dépit de la baisse des prix du pétrole et la bonne récolte d’huile d’olives et de dattes.

Les prévisions de croissance tablent sur une croissance de 2,5% en 2016 ce qui veut dire 1,5% par rapport à 2014, ce qui signifie que nous allons continuer sur le trend de 1,5%, soit la moyenne réalisée depuis 2011, une moyenne qui ne dépasse que de très peu la croissance démographique.

Les prévisions pour 2016 tablent sur des déficits budgétaires encore élevés et des déficits courants d’au moins 8%, ce qui posera sérieusement le problème du financement de ces déficits, d’autant qu’aucun financement n’a été encore mobilisé pour 2016 jusqu’à présent et que le retour de la mission du FMI n’augure rien de bon sur les relations avec le FMI surtout après la décision des augmentations des salaires juste quelques jours après que Lagarde a pointé du doigt le niveau élevé de la masse salariale dans le PIB .

A la question que me posent beaucoup d’amis jusqu’à quand ces dérapages, j’ai aujourd’hui tendance à dire jusqu’à 2017 lorsque sonnera l’heure de la vérité.

D’abord pourquoi l’année 2017 ?

– En 2017, la Tunisie aura à payer près de 8 milliards de dinars de service de la dette contre un peu plus de 5 milliards actuellement.

– En 2017, les augmentations successives des salaires auront un effet en année pleine de 1,8 milliard de dinars rien que pour le secteur public avec tout l’impact que cela aura sur les équilibres extérieurs et l’inflation.

– En 2017, la Tunisie aura connu deux années difficiles pour le secteur touristique comme le prévoient tous les professionnels du secteur et tout le monde connaît la place stratégique de ce secteur dans les équilibres extérieurs du pays sans compter les importations des produits agricoles de base dont le niveau sera élevé au moins jusqu’au mois de juin 2016.

Si la situation continue telle qu’elle est actuellement, la Tunisie rencontrera de graves tensions sur ses équilibres extérieurs en 2017 et il n’est pas évident qu’elle sera en mesure de lever les ressources extérieures nécessaires pour financer ses déficits. Et tout le monde est conscient que notre grande contrainte en Tunisie réside dans les paiements extérieurs; tous ceux qui ont vécu en 1986 le savent. La similitude faite par Moez Joudi et Ezzeddine Saidane avec le cas grec ne sera alors plus un cas d’école mais bel bien une réalité à laquelle il va falloir faire face.

Un plan de développement dans ces conditions !

Nous avons pour la plupart applaudi au retour au processus de planification. Mais dans le contexte actuel, un plan n’a plus de sens; la priorité des priorités aujourd’hui consiste à arrêter cette descente vers l’enfer.

Par ailleurs, il n’y pas d’espace disponible pour des programmes d’investissement pour parler de plans de développement; le chiffre de 125 milliards de dinars d’investissement avancé dans la note d’orientation n’a aucune chance de se réaliser avec les contraintes citées plus haut et surtout le chiffre de 45 milliards de dinars d’investissement public, une véritable vue de l’esprit quand on sait les contraintes du budget et la situation de quasi faillite dans laquelle se trouvent les entreprises publiques.

A mon sens, il est plus opportun de mettre en place un programme de sauvetage de l’économie du pays qui couvrirait les années 2016-2017 et dont l’objectif serait de faire retrouver au pays des fondamentaux acceptables avec l’initiation des réformes de base et l’adoption d’un programme d’investissement prioritaire qui préparerait le pays à des jours meilleurs. Ce programme de sauvetage serait relayé par un plan qui couvrirait la période 2018-2021, quatre années durant lesquelles l’objectif serait de porter la croissance à des niveaux plus élevés capables de créer les emplois nécessaires et d’améliorer les niveaux de vie dans un cadre macroéconomique stable et viable.

Nous avons réussi à faire cela entre 1988 et 1990 et nous avons même remboursé par anticipation les crédits du FMI pour s’en affranchir le diktat. Nous avons réussi cela grâce à une Administration forte et compétente et un secteur privé motivé et confiant en l’avenir de ce pays. Il n’y a pas de raison de ne pas réussir maintenant si on réhabilite l’Administration et on responsabilise le secteur privé. Il faut y aller tant qu’il est encore temps sinon c’est un calvaire qui attend le peuple tunisien similaire à celui qu’a connu la Grèce avec le soutien de l’Europe en moins.

Les réformes nécessaires pour accélérer la croissance et notamment celles relatives à la mise en confiance des opérateurs (textes d’application du code d’investissement, loi sur la réconciliation économique…) et le rééquilibrage du modèle de croissance en axant sur le commerce extérieur. Pour cela nous proposons de remettre en place le système de compensation industrielle, de renforcer les programmes de soutien à l’exportation et de lutter contre les importations massives de biens de luxe suscitées par l’octroi de franchises commerciales dont l’intérêt n’est pas évident pour le pays. Il est proposé à ce propos que les financements bancaires accordés pour l’importation de ces produits de luxe soient imputés sur les ressources propres des banques et qu’ils ne soient pas acceptés au refinancement de la BCT.