Le marché de la dette des Etats se prépare au “tsunami” de cash de la BCE

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éricaine (FED) à Washington, le 10 décembre 2013 (Photo : Karen Bleier)

[13/02/2015 12:25:20] Paris (AFP) “Tsunami” ou “bazooka”: les experts du marché de la dette des États ne lésinent pas sur les mots tant les montants que la Banque centrale européenne (BCE) s’apprête à déverser sont colossaux et propres à changer profondément la donne.

Les chiffres donnent en effet le tournis puisque la Banque centrale européenne compte mettre 1.140 milliards d’euros sur la table pour enrayer les tendances déflationnistes en Europe et soutenir l’économie.

Cette manne, dont une première tranche de 60 milliards est attendue début mars, doit être surtout investie dans des titres de dette d?États en zone euro. Mais l’arrivée d’une telle vague d’argent a forcément des conséquences lourdes auxquelles le marché obligataire tente de se préparer.

“Nous sommes à la veille d’un changement profond sur le marché des dettes d?État”, explique à l’AFP Cyril Regnat, expert obligataire de Natixis.

“L’ampleur de ce programme est inédite tant au niveau européen qu’au niveau mondial et son impact s’annonce massif”, souligne aussi Amaury d’Orsay, responsable mondial taux pour la Société Générale CIB.

Pour prendre “la mesure du bazooka”, décortique Patrick Jacq, expert obligataire de BNP Paribas, il faut se rendre compte qu’il représente “environ 7% du Produit intérieur brut (PIB) de la zone euro sur un an”.

Une dimension comparable à celle du programme auquel la Réserve fédérale américaine (Fed) vient de mettre fin, qui représentait “6% du PIB des États-Unis”. Mais, de fait, comme le déficit budgétaire américain était plus élevé, le plan européen “dépasse de 4 points de pourcentage de PIB” celui de la banque centrale américaine, selon ses calculs.

Pour mieux cerner ce qui va se passer, il faut imaginer un client arriver sur un marché dans une bourgade en disant: “j’achète un quart de ce qui est sur chaque étal”. Et la scène se répèterait tous les mois, 18 fois de suite.

Avec une telle approche “a priori tous les États sont gagnants”, assure M. d’Orsay.

Mais que restera-t-il après le passage de ce rouleau compresseur?

“Il y a un risque d’assèchement, mais la BCE a mis des gardes-fous en limitant ses achats à 25%” des émissions de dettes, relève Eric Vanraes, gérant obligataire du fonds d’investissement EI Sturdza, basé en Suisse.

Et nul doute qu’à côté de la BCE, il sera plus difficile pour un investisseur de se frayer un chemin.

“Évidemment selon la taille des marchés, l’impact sera différent”, explique M. Jacq, mais ces achats devraient représenter “environ 12%” du marché obligataire souverain, “ce n’est donc pas de nature à assécher le marché”.

– ‘Chape de plomb’ –

Par contre, cela va maintenir les taux d’emprunts au plus bas. Ce programme “énorme forme une chape de plomb qui empêche les taux de remonter”, observe M. Vanraes.

Cela va entraîner une “convergence de l’ensemble des taux sur la zone euro”, ce qui, de fait, jouera plus en faveur des pays les moins solides, juge M. Regnat.

Autre effet: ceux qui cherchent de meilleures rémunérations seront incités à quitter ce marché, où certains taux d’intérêt sont déjà négatifs.

“Aujourd’hui, l’encours d’obligations souveraines à des taux négatifs a dépassé 1.500 milliards sur un total de 4.500 milliards”, évalue M. Vanraes.

Mais “un des objectifs de la BCE est justement de pousser les investisseurs à aller ailleurs, afin de générer davantage de transmission à l’économie réelle”, rappelle M. Regnat. L’idée étant d’inciter les banques à prêter davantage aux entreprises.

L’effet de vase communicant s’est déjà fait sentir puisque le géant de l’alimentaire suisse Nestlé a vu certains de ses taux d’intérêt devenir négatifs.

Il reste néanmoins des inconnues, à commencer par l’attitude qu’adopteront les gros détenteurs de dettes publiques, banques et assureurs en particulier.

Car, comme le remarque M. d’Orsay: “d’un côté le programme de la BCE pousse les investisseurs à prendre plus de risques et, de l’autre, le durcissement des règlementations européennes incite assureurs et banques à en prendre moins”.