Tunisie – Médias : Et si «Attassia massaâ» était victime de son format?

 

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Pour comprendre ce qui s’est passé, le 14 janvier 2014, dans «Attassia massaâ» d’Attounsya Tv, il faut sans doute interroger le format de l’émission: l’«infotainment». Un format qui mêle information et divertissement (entertainment).

Maintenant que la polémique s’est apaisée –ou à peu près-, il serait peut-être intéressant de revenir sur l’affaire d’«Attassia massaâ» (21 heures), l’émission produite par Moez Ben Gharbia et diffusée par Attounsya Tv. Les remarques de Lotfi Abdelli au sujet de la «kémia» (amuse-gueule) et du président de la République ont provoqué –on le sait- des réactions vives dans les médias et sur les réseaux sociaux, sans oublier le fait que deux invités de l’émission (Tarek Kahlaoui, directeur général de l’Institut tunisien des études stratégiques, et Mokdad Mejri, journaliste à la chaîne Al Moutawasat) avaient quitté le plateau.

Ce qui n’a pas été dit c’est que cette polémique était sans doute inscrite dans les gênes de l’émission. Le format de l’émission (l’infotainment) a été du reste souvent critiqué là où il été introduit parce que source de «dérapages».

Le concept mêlant information et divertissement (entertainment) a, à ce niveau, poussé le président de la Commission de la carte de journaliste en France, Eric Marquis, et en 2012, à s’interroger sur «l’opportunité de renouveler la carte de journaliste aux animateurs d’une émission d’infotainment «Le Petit Journal», encore diffusée sur Canal + (voir «Infotainment: quelle frontière entre information et divertissement?»

Le format, né aux Etats-Unis d’Amérique en 1990, comme le sont du reste la plupart des innovations audiovisuelles, a été largement adopté par le grand public. Outre la nécessité de voir les débats politiques évoluer, le succès de l’infotainment trouve son explication dans une certaine tendance à «peopoliser» la politique, mais aussi dans l’émergence des réseaux sociaux qui assurent une interactivité certaine.

Tout ce qui est excessif est insignifiant!

A ce propos, le succès d’une émission ou de n’importe quel contenu médiatique est souvent lié aux réactions qu’ils peuvent susciter sur Facebook et Tweeter. D’où le souci des émissions d’«infotainement» à consacrer une partie du programme à rendre compte des réactions des téléspectateurs. «Attassia massaâ» ne fait pas exception.

Inutile de préciser que ce type d’émissions se doit de provoquer d’autres réactions de la part des invités qui savent à quoi s’en tenir. Ceux qui réussissent les meilleures «prestations» sont en effet ceux qui savent user d’humour et qui adoptent des attitudes loin d’être guindées; loin donc des émissions d’informations classiques. Les politiques n’ont pas face à eux des journalistes politiques, mais des animateurs, qui ont un seul souci: faire de l’audience dans un paysage médiatique qui ne jure que par la capacité des chaînes à attirer le maximum de citoyens lambda.

Souvent, les politiques se retrouvent aussi, nez à nez, avec des chroniqueurs pas toujours respectueux -ou au fait- des us et coutumes du monde de la politique. Ils risquent de se retrouver aussi en présence d’amuseurs publics: l’infotainment traite généralement, comme le fait, par exemple, la grande émission, samedi soir, de France 2, de Laurent Ruquier “On n’est pas couché“, aussi bien de politique, d’économie, de société comme des spectacles.

L’exercice est des plus difficiles notamment lorsque les politiques ne comprennent pas le format de l’émission ou n’ont pas l’habitude de l’infotainment. L’observation du vécu des émissions d’infotainment en Amérique du Nord ou encore en Europe montre que les politiques ont bel et bien adopté ce type d’émissions généralement bien suivies. Des émissions qui servent souvent leur image dans la mesure où –des études l’ont montré- elles leur assurent une «grande proximité avec les téléspectateurs».

Des études ont montré du reste que les émissions d’infotainment ont fédéré de nombreux téléspectateurs qui ont cessé un temps de regarder les émissions politiques à la télévision jugées «ennuyeuses» et de faire dans «la langue de bois» (voir «Les émissions de divertissement désormais incontournables pour les politiques», 20minutes, France, 23 mars 2012).

Rarement les politiques se fâchent et se limitent à pincer leurs contradicteurs avec des phrases assassines. Et ce lorsqu’ils ne répondent pas carrément aux provocations. En se taisant ou en esquissant un simple sourire laissant les propos de son contradicteur s’évaporer dans l’air.

Ainsi, un sénateur américain à lancé ces quelques mots à la face d’un acteur comique qui n’a cessé de critiquer son comportement: «Dites-moi, est-ce que vous êtes toujours comme ça ou aujourd’hui vous voulez faire une belle exception?» Une phrase qui ne veut peut-être rien dire, mais qui a l’avantage d’être, comme on dit, une réponse du berger à la bergère. La forme, on le sait, vaut autant que le fond.

Autre réponse d’un chef de parti politique en France à un humoriste qui est allé un peu loin: «Je ne répondrai pas à ce que vous venez de dire sur moi. Car, tout ce qui est excessif est insignifiant!»