Opinion – Face à une opposition atone, les nahdhaouis font ce qu’ils veulent de la Tunisie

ennahdha-12012013.jpgUn regard d’ensemble sur le paysage politique en Tunisie montre que le parti Ennahdha fait ce qu’il veut de ce pays et dans ce pays sans s’inquiéter à aucun moment ni des incriminations de ses alliés au sein de la Troïka (CPR et Ettakatol) et sans se soucier à rendre compte à l’opposition au sein de la Constituante (ANC).

Par un subtil jeu de diversions et de provocations savamment orchestrées par les faucons du parti et leur leader Rached Ghannouchi, ce parti «unique de fait» a resquillé, plus d’une année, en faisant prévaloir sa légitimité électorale et en reportant, délibérément, la réalisation des objectifs de la révolution pour lesquels il a été élu un certain 23 octobre 2011.

Ainsi, les nahdhaouis et les autres ont été élus pour rédiger une Constitution, laquelle est encore au stade de brouillon qui serait, tout juste, un jeu de mots, voire une mascarade aux yeux des experts en droit constitutionnel. Conséquence: tout est à refaire avec comme prime une année de perdue.

Plusieurs missions leur avaient été confiées. Premièrement, pour dynamiser la création de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), mais cette institution est hélas toujours au stade projet.

Deuxièmement, pour créer une Instance provisoire de magistrature qui viendrait se substituer au sinistre Conseil supérieur de magistrature, mais ils ont tout fait pour saborder l’adoption de ce projet à l’ANC.

Troisièmement, pour élaborer une loi électorale, mais cette législation ne semble pas, jusqu’à ce jour, une de leurs priorités.

Quatrièmement, pour institutionnaliser l’Instance supérieure pour l’indépendance des élections (ISIE), mais rien n’est fait pour que cette institution voie le jour en dépit de la promulgation d’une loi à ce sujet.

Cinquièmement, pour alléger les charges du contribuable et pour améliorer le pouvoir d’achat du citoyen, mais c’est le contraire qui a été fait, avec la multiplication des taxes et l’augmentation de tous les prix (l’inflation a atteint aujourd’hui le record des 6%).

Moralité, dans l’impunité la plus totale, les nahdhaouis, à défaut de compétence, ont choisi la solution de facilité en accablant le Tunisien de nouvelles charges et en déléguant à des mafias de contrebandiers organisés et armés de gérer l’économie du pays.

Le résultat ne se fait pas attendre: précarité, indigence et pénuries font de nouveau leur apparition dans un pays qui a placé, pourtant, beaucoup d’espoirs dans sa révolution.


Ambitions personnelles

Pis, la Tunisie a connu, en 2012, les pires actes de violence politique: assaut des salafistes contre l’ambassade des Etats-Unis à Tunis et ses conséquences désastreuses sur l’investissement, l’assassinat par les ligues de protection de la révolution (bras armé d’Ennahdha) du coordinateur du parti Nidaa Tounès à Tatouine, Lotfi Nakhdi, sabotage par ces mêmes ligues du meeting de Nidaa Tounès à Djerba, agression perpétrée par ces milices contre le siège de la centrale syndicale à Tunis…, tir à la chevrotine contre des manifestants à Siliana…

Face à cette mainmise des nahdhaouis sur le pays, des centaines de Tunisiens ont décidé de quitter symboliquement leur ville et leur pays. C’est le cas des habitants de Siliana lorsqu’ils avaient abandonné leur ville pour protester contre un gouverneur parachuté et incompétent. C’est le cas également des habitants d’Ain Draham quand ils avaient quitté leur village pour aller en Algérie. C’est le cas aussi des milliers de jeunes qui ont émigré dans des conditions inhumaines vers Lampedusa. Sans oublier le cas des mille marins kerkenniens qui ont essayé d’émigrer avec leurs familles vers l’Italie pour protester contre l’immobilisme de l’Etat et la non-application de la loi, ou celui plus récent de ces familles de Tajerouine qui ont traversé la frontière algérienne pour chercher de l’eau…

Ce qui est scandaleux, c’est que face à ces envahisseurs d’autres temps, l’opposition, à l’exception de Nidaa Tounès et du Front populaire, a fait preuve d’une passivité à la limite de la complicité.

Ahmed Nejib Chebbi, président d’honneur du parti Joumhouri et symbole de la résistance au dictateur déchu, est tombé dans le piège de ses ambitions personnelles et n’a cessé de ressasser à celui qui voulait l’entendre qu’il est «présidentiable». Maya Jeribi et Yassine Brahim, ses proches collaborateurs, ont été plombés par ce narcissisme maladif et subi ses effets collatéraux.

Ahmed Brahim (El Massar), à défaut d’imaginaire militant et de combativité, est passé aux oubliettes.

Samir Bettaieb (El Massar), malgré son panache, demeure trop conciliant et n’a pas atteint sa vitesse de croisière d’opposant pur et dur. Pour preuve, lorsqu’il était interpellé à Redeyef sur les motifs qui ont poussé les nahdhaouis à voter contre l’intégration des martyrs de leur village dans la loi 97, il leur a répondu avec une naïveté inouïe que les nahdhaouis lui ont promis de se rattraper lors de l’élaboration de la loi sur la justice transitionnelle.

Idem pour Fadhel Ben Moussa qui, trop poli, n’a même exigé, lors de l’audition du ministre de la Justice, Noureddine B’hiri, de répondre à sa question quant à la reconduction ou non du Conseil supérieur de la magistrature (version Ben Ali) dont six membres n’ont plus le droit d’y siéger, à partir du 15 janvier 2013. Il lui a fallu profiter d’une apparition sur les plateaux d’El Watania 1 pour rappeler sa question au ministre et attendre une éventuelle réponse… Sans commentaire.

Nidaa Tounes et le Front, populaires mais manquent de panache

Quant à Nidaa Tounès et au Front populaire, ils font certes de leur mieux et sont de plus en plus proches de la population, mais ils demeurent inefficaces lorsqu’ils passent tout leur temps à se justifier auprès d’Ennahdha au lieu de l’attaquer frontalement d’autant plus que les nahdhaouis et dérivés ne comptent à leur actif aucune réalisation et aucun acquis.

Lors d’une réunion à Gafsa, Hamma Hammami a consacré le plus clair de son intervention à se référer à une déclaration d’un conseiller de la présidence dans laquelle il fustigeait les nahdhaouis alors qu’il avait mieux à dire à son auditoire, fort en cela de sa légitimité et militantisme historiques.

Ceci pour dire qu’ils sont trop pleurnichards et ne sont ni combatifs ni courageux. Sinon comment expliquer que ces deux partis, qui se prétendent populaires, n’aient pas osé, jusque là, organiser des réunions à ciel ouvert. Leurs réunions ont lieu, toujours, dans des salles fermées.