OPINION Tunisie – Afrique, une affaire d’histoire!

Par : Autres

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Je demeure convaincu que l’acte d’exportation ou de vente est un acte culturel, avant d’être économique. La plupart des grandes actions commerciales dans le monde ont toutes été motivées soit par un désir de découverte (comme les voyages de Hannon le Carthaginois durant l’ère antique vers le Golfe de Guinée, le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest), ou de celui d’Ibn Batouta Louati au Moyen Age, qui a parcouru le Maghreb, visitant Chinguetti en Mauritanie et séjournant à Tombouctou, ancienne capitale de l’Empire du Soudan (actuel Mali).

Idem pour les Croisades, ou les voyages de Christophe Colomb parti à découverte d’une nouvelle route de l’Inde en contournant la route terrestre dominée alors par les Arabes, ou encore Magellan. Ce désir de découvrir de nouveaux peuples, de nouvelles langues, de nouvelles coutumes et civilisations, d’échanger et donc de commercer reste le même.

Un commercial dépourvu de curiosité, d’esprit d’aventure, de culture, ne peut entreprendre de voyager et de commercer par la suite.

La Tunisie est avant tout un pays africain, mais on a souvent tendance à l’oublier. Notre pays, qui s’appelait Africa au temps des Carthaginois et des Romains, allusion à l’Afer vent du Sud, Chihili ou Sirocco, ou encore au peuple Afer, habitant au Sud de Sahara, a donné son nom à tout un continent, en l’occurrence l’Afrique… En passant sous l’Empire romain de l’Africa Vetus ou l’Afrique Ancienne à l’Africa Nova ou nouvelle.

Je peux citer pas moins de trois témoins de cet ancrage géographique et culturel. Tout d’abord, la population noire du sud tunisien, avec son cortège culturel de Bou Sadia et la race caprine et aussi des espèces végétales comme le Thalha a Gasfa, Acacia Radiana, vestige de cet ancien arrimage à l’Afrique Subsaharienne pendant le Néolithique, lors de la dernière pulsation humide vers l’an 8000 avant Jésus Christ, et de la présence de la civilisation Capsienne dans le Sud tunisien. Quand les échanges entre l’Afrique du Nord et l’Empire du Soudan étaient possibles via un désert encore humide.

Avec l’assèchement du Grand Sahara et la colonisation, cet échange s’est arrêté via le désert et davantage aujourd’hui, vu la présence d’AQMI (Al Qaïda pour le Maghreb islamique) dans ce no man land. La route transsaharienne qui reliait Gabès à Tombouctou et qui était utilisée jusqu’à la fin du 18ème siècle est définitivement abandonnée, et vu l’inexistence d’une ligne maritime directe même actuellement, on comprend mieux pourquoi notre intérêt pour l’Afrique à diminué, et par ricochet le commerce aussi.

Car il est plus facile et moins cher de relier de Tunis à Paris avec environ 600 dinars le prix du billet et 2 heure de temps de voyage, contre 1.600 dinars pour relier Ouagadougou au bout de 12 heures de vol et un transit via Paris ou Casa (Maroc).

Je vais maintenant poser 3 questions et essayer d’y apporter des éléments de réponse. L’Afrique subsaharienne offre-t-elle un potentiel et un marché pour les produits tunisiens, si oui, lesquels? Quels sont les problèmes et les entraves au commerce avec l’Afrique? Enfin, comment faire pour vendre mieux et plus en Afrique?

Premièrement, il ne faut pas trop rêver, bien que l’Afrique demeure un marché potentiel, sa part dans le commerce mondial est presque insignifiante. En plus de la faiblesse des infrastructures, du niveau de vie, de la gouvernance dans ces pays, les marchés de la Tunisie demeurent, au moins pour la prochaine décennie, l’Europe, l’Asie et l’Amérique latine. Car on a intérêt à commercer avec des économies stables, organisées, disposant de toute l’infrastructure de transport, port, douanes, avec un système bancaire solide et fiable et un marché immense.

Pour l’heure, l’Afrique est plutôt un marché de niches, du moins pour la Tunisie. Cela nous coûte beaucoup moins cher d’exporter vers l’Europe que de le faire vers l’Afrique. Tout en distinguant l’Afrique du Nord (Mauritanie, Maroc, Algérie, Libye et Egypte) de l’Afrique Subsaharienne.

A la deuxième question, je dirais que tous les produits tunisiens sont concernés, cependant il est nécessaire de les ventiler en 3 catégories: les produits alimentaires (pâtes, biscuits, tomates, huiles, etc.), les produits industriels (composants électriques, pièces détachées, etc.) et enfin les services (santé, formation et enseignement supérieur privé, engineering avec les études, consulting et surtout les TIC, où la Tunisie dispose d’un avantage compétitif de 1 à 4 par rapport à nos concurrents européens.

L’Afrique francophone, mais surtout les pays post conflits, les pays post élections et les pays pétroliers disposant d’une manne financière sont les plus intéressants pour le commerce.

Enfin, la troisième question. On constate plusieurs entraves pour commercer avec l’Afrique. Tout d’abord, l’absence de lignes aériennes directes, car mis à part le Mali, l’Egypte, la Libye, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie, il n’existe pas de lignes directes sur le reste de l’Afrique, surtout vers des pays “plateformes“ comme le Nigeria, le Ghana, l’Ethiopie, le Togo ou l’Afrique du Sud. C’est un réel handicap, qui nous oblige à passer par l’Europe ou via le Maroc, avec une perte du temps et d’argent. Pour relier un pays africain par avion, il faut, à partir de Tunis, deux jours (aller et retour), avec vols de nuits et souvent dans de mauvaises conditions.

En outre, le coût de vie en Afrique est élevé, que ce soit pour les hôtels ou les restaurants et le transport, ce qui fait qu’un voyage en Afrique coûte de 3 à 4 fois plus cher qu’un voyage en Europe. Je ne parle pas des difficultés de climat, des conditions d’hygiène, etc.

Je note aussi l’absence de routes terrestres vers l’Afrique au sud du Sahara voire de routes maritimes, ce qui fait que le coût de transport d’une tonne de marchandises via la mer vers le Mali coûte 4 à 8 fois plus cher que cette même tonne était exportée sur Amsterdam. En plus, on doit transborder via les ports européens, ce qui augmente les délais et surtout le prix de transport.

Il ne faut pas oublier que que pour voyager en Afrique, les Tunisiens sont assujettis à des formalités de visas, dans le cadre de réciprocité entre Etats, et parfois on doit se déplacer en Europe pour obtenir un visa pour des pays africains, qui ne disposent pas de représentation diplomatique en Tunisie.

Pour conclure, je dirais que, nonobstant toutes ces difficultés, la Tunisie a tout intérêt à augmenter son commerce avec l’Afrique en général et de s’ouvrir surtout sur l’Afrique australe, et ce via des mécanismes simples, en ouvrant de nouvelles lignes aériennes vers quelques pays comme le Nigeria, le Ghana et l’Afrique du Sud, en augmentant les quotas d’études et de bourses pour les étudiants africains désirant poursuivre leurs études supérieures en Tunisie, ce qui nous donnerait de futurs collaborateurs sur place, partenaires et noyaux de lobbies une fois que ces étudiants regagneront leurs pays d’origine.

Je pense également qu’il serait mieux de supprimer les visas pour certains pays offrant un réel potentiel commercial pour les produits tunisiens, comme le Burkina Faso, le Togo, le Benin, le Ghana, le Nigeria et le Cameroun.

Enfin, on doit trouver une solution pour le financement de l’exportation des produits tunisiens et aussi leur couverture par la COTUNACE, car actuellement il y a peu de financement public disponible et la couverture offerte par la COTUNACE est insuffisante, pour ne pas dire ridicule. Je pense que tous les marchés sont intéressants et la Tunisie serait mieux inspirée à diversifier ses partenaires et ses marchés, sans oublier bien entendu l’Afrique.

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