Tunisie : Des projets en stand by à cause de l’instabilité sociale, affirme Jameleddine Gharbi

gharbi-ministre-100112.jpg«Nous comptons bien passer des beaux discours aux actes et nous espérons que vous veillerez au grain en tant que médias, car c’est à travers une information transparente, objective et claire que nous pourrons œuvrer à développer les régions. Nous nous attendons à ce que nos représentants de la presse soient des insiders et non des outsiders, vous êtes nos alliés et nos relais, il n’y a pas de frontières entre nous».

C’est ainsi que Jameleddine Gharbi, ministre du Développement régional et du Plan, a entamé la conférence de presse organisée mardi 10 janvier 2012 au siège de son ministère. Le rôle de son ministère est, d’après lui, d’être à l’écoute des vœux de la population, d’assurer la médiation entre elle et le gouvernement, de défendre également sa vision de la réalité des faits sur le terrain et les transmettre à qui de droit.

La Tunisie possède de grandes opportunités d’investissements et ne doit plus se suffire d’être un site pour donneurs d’ordre internationaux. «Nombreux sont les projets importants dont les études ont été d’ores et déjà achevés et les financements ont été octroyés mais qui attendent le climat social et sécuritaire adéquat pour démarrer», a indiqué le ministre.

La redémarrage des activités de nombre d’entreprises qui ont ralenti au cours de 2011, le lancement des nouveaux projets en berne depuis des mois ainsi que la reprise de la confiance des investisseurs nationaux et internationaux, sans oublier la relance du secteur du tourisme, pourraient améliorer les indices de croissance et pourquoi pas permettre au pays d’atteindre un taux de croissance de l’ordre de 4,5%. Ceci si l’on est sûr de récupérer le 1,5% de croissance que nous perdions chaque année à cause de la corruption, si ce fléau a réellement disparu suite au départ de ses artisans… ce qui reste à vérifier.

En attendant, estime M. Gharbi, l’économie tunisienne doit passer à un deuxième pallier de croissance économique. D’une économie de services basée sur la sous-traitance à une chaîne de valeurs complète partant des matières premières jusqu’à atteindre les produits finis. Elle ne doit plus s’arrêter à un seul maillon mais présenter aux échelles nationales et régionales des chaînes de valeurs complètes.

Impliquer tout le monde, associer le monde

Les politiques qui à mettre en place doivent non seulement réaliser un développement régional équitable et équilibré, mais également faire en sorte que les différentes localités au sein même d’une seule région aient les mêmes chances de croître et de se développer. Et ce que ce soit au niveau des infrastructures ou des commodités publiques et des infrastructures routières et des commodités d’usage.

Les capacités compétitives des entreprises nationales doivent leur permettre de se positionner convenablement à l’international, et grâce aux nouveaux programmes gouvernementaux, l’ambition va vers la constitution de pôles concurrentiels en Tunisie: «des clusters et c’est ce qui nous permettra d’améliorer l’employabilité. Le chômage étant devenu un problème structurel dans notre pays, nous voulons mettre en place un modèle économique capable de créer de la richesse et de l’emploi et lutter contre la pauvreté».

Il est impératif désormais de vérifier de manière quantitative l’impact de tout investissement public dans n’importe quelle zone du pays, ce qu’on «appelle aujourd’hui les indicateurs de performance». L’Etat doit, pour sa part, assurer dans les régions les plus reculées des conditions de vie favorables offrant des conditions de vie convenables pour qu’elles puissent être des pôles d’attractivité pour les citoyens tunisiens en premier lieu. L’environnement des affaires doit être considérablement amélioré pour offrir le cadre adéquat à tout investissement national ou international mais plus que tout, indique le ministre, il faut investir dans l’amélioration de la qualité des ressources humaines car la mesure du développement est l’homme qui doit être un acteur et non seulement un outil.

Cela ne se fera pas sans impliquer toutes les compétences dans les stratégies de développement économique, d’où l’approche participative préconisée par le ministère dans tout ce qui se rapporte aux projets d’investissements à l’échelle régionale. «Tout projet doit émaner de la région elle-même car ce sont les forces socio-économiques qui y opèrent qui sont les plus aptes à savoir ce qui correspond le mieux et qui peut le mieux réussir dans leur contrée… Plus encore, il faut identifier les ressources qui peuvent constituer un avantage comparatif national ou régional et le transformer en un avantage compétitif national et international».

La distribution des ressources de l’Etat se basera désormais sur des critères objectifs en rapport avec les réalités des régions et leurs besoins. Les régions seront classées dans l’ordre logique des besoins et des ressources et bénéficieront des investissements publics en considérant une clé de répartition qui s’appuie sur des éléments concrets et scientifiques.

Le secteur privé est également appelé à développer des filières économiques intégrées au sein de chaque région et à déployer une chaîne de valeurs partant des matières premières et du tissu économique. «Les régions doivent sortir de la vision d’une périphérie au service des pôles extérieurs pour développer elles-mêmes des filières économiques qui leur sont propres et qui passent des matières premières jusqu’aux produits finis».

400 hommes d’affaires interdits de voyage… qui investira?

«Pour chaque homme d’affaires interdit de voyage, 100 autres n’investiront pas», a déclaré Mondher Belhadj, économiste et juriste. Il faut reconnaître que la Tunisie peut aujourd’hui être fière d’avoir pu se débarrasser de certains éléments à l’origine des pratiques des malversations et de corruption. Mais parquet et gouvernement doivent l’être un peu moins pour ne pas oser à ce jour trancher dans les affaires en cours et qui touchent un grand nombre d’acteurs économiques importants alors que d’autres maintiennent uns posture attentiste dans la perspective que l’on se prononce sur le sort de leurs homologues. «S’il y a des fautifs qui ont commis des délits, qu’ils soient jugés dans des procès équitables, mais l’on ne peut plus continuer à mettre en haleine toute la communauté d’affaires sur de simples présomptions, des doutes ou des dossiers vides soumis aux juges d’instruction. C’est la meilleure manière de bloquer l’investissement», nous a récemment déclaré la présidente de l’UTICA, laquelle n’épargne pas d’efforts pour inciter les opérateurs privés à investir par devoir national et pour participer aux efforts de relance de l’économie.

Les codes de douane ou de fiscalités prévoient bien des accords, des compromis ou des arbitrages avec les «contrevenants», alors pourquoi ce gouvernement élu par les urnes, légitime et majoritaire, n’ose pas à ce jour prendre des décisions politiques courageuses mettant fin à une chasse aux sorcières qui n’a que trop duré?

Le secrétaire d’Etat au Plan, M. Doghri, a annoncé lors de la conférence de presse organisée au ministère du Développement régional et du Plan que ces dossiers bénéficient de l’intérêt du gouvernement qui est décidé à s’y attaquer au plus tôt dans le respect de l’indépendance de la justice et des droits des justiciables.

Encore faut-il que la chasse aux sorcières elle-même cesse au niveau du gouvernement dans lequel certains membres sont complètement obnubilés par l’idée de la revanche, les deniers publics et obsédés par l’idée que tous ceux qui ont travaillé sous l’ancien régime sont corrompus à tel point qu’ils en oublient où se situent les intérêts réels du pays. «Imaginez notre ministre de l’Investissement extérieur ou de la Coopération internationale se rendant à une réunion à Bruxelles pour parler de la situation actuelle du pays et argumentant que notre révolution est tellement «clean» que le gouvernement a pu régler tout ce qui se rapporte aux abus de manière intelligente et civilisée et en préservant le tissu économique. Imaginez seulement l’image que nous donnerons à ces pays qui représentent nos partenaires traditionnels», a indiqué Mondher Belhaj.

Celui qui pousse à la vengeance est le frère de l’homicide, dit un dicton arabe. Espérons que les priorités de notre pays qui se rapportent aux investissements dans les régions, la relance de l’économie, la sécurisation des populations et des investisseurs ainsi que la création des emplois n’arriveront pas au second rang après leurs désirs de vengeance chez certains hauts responsables nommés tout récemment.

Espérons également que les belles promesses et les discours constructifs prononcés aujourd’hui par le ministre du Développement régional ne se limitent pas aux paroles mais se traduisent en actes. Dans nos régions, il y a une saturation de promesses, de frustrations qui datent de décennies et de déceptions qui ne souffriront plus de nouvelles désillusions. «Nous essayerons de traduire tout ce que nous dirons en actes concrets que tout le monde vérifiera sur terrain et vous serez là pour évaluer et dénoncer si nous n’honorons pas nos promesses. Il s’agit de notre pays et nous avons une chance extraordinaire de faire avancer les choses dans le bon sens».

Belle note d’optimisme et de modestie de la part de Slaheddine El Gharbi, ministre du Développement régional et du Plan. Nous ne perdons rien à attendre.