Tunisie (1/3) : Les préalables à une lutte contre la corruption

Par : Autres


corruption-22082011-22082011-art.gifPrésident d’honneur de l’Union mondiale des ingénieurs, et président
fondateur de sa Commission internationale permanente pour la lutte contre la
corruption.

Il est temps de passer d’une culture de la dénonciation à une culture de la
prévention, d’une culture de la conformité et du respect des règles à une
culture du respect des valeurs pour juguler le phénomène de la corruption. Pour
cela, il faut que la société dépasse le stade de l’émoi dans lequel le débat sur
la corruption s’est retrouvé depuis l’avènement de la révolution, vers une
réflexion sereine sur les vraies réformes à engager.

Nous apprenons qu’une nouvelle loi-cadre sera promulguée dans le but de lutter
contre la corruption. Ce faisant, la Commission nationale d’investigation sur
les affaires de corruption et de malversation est passée à une nouvelle étape
décisive et fortement souhaitée qui devra, espérons-le, permettre de sortir le
sujet de la corruption du champ de l’émotion dans lequel il s’est trouvé depuis
l’avènement de la révolution, et de le placer dans la perspective de l’action
efficace, et de l’effort continu et structuré.

On apprend également que cette nouvelle loi-cadre permettra, entre autres,
l’institution d’une Instance nationale qui fera office d’autorité indépendante
pour la lutte contre la corruption.

Cette nouvelle orientation est vivement souhaitée, tant il est vrai que la lutte
contre la
corruption ne saurait se limiter aux actions de dénonciation
collective, ni aux efforts d’investigation et de poursuites judiciaires des
corrompus. Seule l’action préventive est capable, sinon de prémunir la société
contre ce fléau, du moins de le circonscrire dans des limites, disant
acceptables, quoique le terme “acceptable“ soit en lui-même objet à controverse.

Partout dans les pays, là où des gouvernements, des organisations, ou des
entreprises ayant réussi à se doter d’une politique de lutte contre la
corruption, il s’est posé d’emblée la question de définir ce qui pourrait être
considéré comme “limite acceptable“, un plancher minimal en deçà duquel la
corruption pourrait être tolérée. Beaucoup de débats ont eu lieu autour de cette
question et la décision fut toujours l’adoption d’une approche «Zéro Tolérance»
vis-à-vis de la corruption. Tout en sachant que l’approche idéaliste “zéro
tolérance“, participe beaucoup plus d’une vue de l’esprit, les adeptes de cette
approche l’ont préférée à l’acceptation d’un minima qui pose déjà des
difficultés, ne serait-ce qu’au niveau de son appréciation quantitative, et qui
apparaît, à certains égards, bien que réaliste sur le plan de la pratique, un
tantinet compromettant sur le plan de la morale.

Cependant, il y a lieu d’insister que, quand bien même la loi serait
indispensable dans l’édifice de la lutte contre la corruption, sa portée restera
limitée si elle n’est pas relayée par la mise en place de mécanismes de
prévention et de la corruption et de gestion de l’intégrité. La création des
instances de lutte contre la corruption ne pourrait pas en finir avec ce fléau
si ces mécanismes ne sont pas mis en place.

D’ailleurs, il suffit de prendre pour exemple des pays voisins de la Tunisie,
comme le Maroc, l’Algérie et l’Egypte où ces instances ont été créées mais qui
continuent à occuper une piètre place dans le classement de l’Index de
Perception de la Transparence qui est publié annuellement par Transparency
International.

Cette organisation indépendante reste une source fiable pour apprécier l’état de
la corruption à travers le monde. Dans son dernier rapport, Transparency
International classe un pays comme l’Algérie, où la corruption a été dénoncée
par le président Bouteflika en personne, à la 105ème position sur 180 pays,
tandis que l’Egypte et le Maroc sont presque logés à la même enseigne en
occupant respectivement les rangs 98 et 85 dans le même classement. Ces trois
pays ont tous ratifié la convention des Nations unies pour la Lutte contre la
corruption et ont créé des autorités indépendantes et disposent également d’une
législation assez fournie en matière de lutte contre la corruption.

Curieusement la Tunisie occupe une place bien meilleure que ses proches voisins
avec un classement au rang 59. Ce paradoxe entre le classement de la Tunisie
dans le rapport de TI et la réalité de la corruption telle qu’elle a été révélée
aux lendemains de la révolution sera analysé dans un prochain article.

Prémunir le monde des affaires contre la corruption

Dans le monde des affaires, la prévention de la corruption passe avant tout par
la mise en place de mécanismes au niveau de la pratique managériale des
entreprises, au niveau de la gestion des projets et des procédures de passation
des marchés publics et de la gestion des finances publiques, tout en assurant,
en particulier l’intégrité des systèmes administratifs et judiciaires. Des
avancées remarquables ont été effectuées au niveau international dans ce
domaine. La lutte contre la corruption est en voie de devenir une affaire qui
relève, avant tout, de la gestion.

Au niveau international, la tendance vers l’intégration des mécanismes de lutte
contre la corruption dans le management des entreprises, à l’instar des systèmes
dédiés à la gestion totale de la qualité ou aussi de la sécurité professionnelle
se confirme de jour en jour en s’appuyant sur l’émergence d’une expertise dans
ce domaine.

Avant de donner des exemples sur ces mécanismes, il n’est pas sans intérêt de
situer la problématique de la corruption dans son contexte international et de
présenter les efforts déployés pour juguler ce phénomène. Pendant les dernières
années, il y a eu une mobilisation sans précédent contre la corruption. Des
études ont démontré les effets dévastateurs de la corruption sur les économies,
surtout des pays en développement. Ce phénomène sape les fondements de
l’économie libérale, en ce sens qu’il constitue une distorsion des règles
basiques, la concurrence, avec l’introduction d’un élément supplémentaire au
couple qualité-prix.

Il a également été établi que les pays où sévit la corruption se voient imposés
des taux d’emprunt sur le marché monétaire international plus élevés. Ainsi, un
mauvais classement dans l’Index de la Perception de la Transparence peut coûter
à un pays une augmentation de 0,5 de son taux d’emprunt, ce qui de nature
alourdit le service de la dette et augmente le déficit budgétaire.

D’après la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), la
corruption coûte au contient africain environ 20% de son produit intérieur brut.
Ce phénomène est en partie à l’origine de la pauvreté et le sous-développement
de l’Afrique. Pour le secteur de l’industrie de la construction, réputé parmi
les secteurs les plus corrompus, environ 10% des dépenses au niveau mondial dans
ce secteur sont dilapidés par les actes de corruption, de malversation et de
détournement. Quand on sait que les dépenses énormes engagées annuellement dans
ce secteur s’élèvent à 5 billions de dollars, on déduit facilement le volume de
l’argent perdu en corruption qui représente douze fois plus le PIB d’un pays
comme la Tunisie.

(A suivre : Mobilisation internationale pour en finir avec la corruption…)