Qui gouverne la Tunisie?

Une agression dans la salle de cinéma «Africart», une agression avec fermeture des portes et violence dans la Grande Mosquée de Kairouan, une agression dans un centre de loisirs à Mrazga – Hammamet, des violences devant le palais de Justice, des violences contre des femmes (uniquement) à l’hôpital Charles Nicolle, un bar cassé à Tabarka, des femmes qu’on intimide car elles portent des bretelles, …

Dimanche, lundi, mardi,…Matin, midi, la nuit,… Juin, juillet, ramadhan, …Elections ou pas élections. A ce rythme, nous allons commencer à avoir peur des jours de la semaine, des semaines qui font l’année, des concerts qui se tiendront peut-être, des mariages qui pourraient finir en bain de sang, des élections qui se tiendront sûrement…

Qui est réellement derrière ces agissements? Islamistes, fondamentalistes, manipulateurs, bandits, restes du clan déchu, nous autres Tunisiens? Tous à la fois? Entre ceux qui font le plus de bruit et ceux qui en font le moins, le pouvoir bascule et la Tunisie semble en suspens.

Les fautifs de ces derniers troubles sont, peut-être, des salafistes qui abusent en mettant en péril l’avenir du pays. Pourtant, d’autres responsables sont aussi à pointer du doigt. Ceux qui ont une ou plusieurs autres parties du pouvoir et pas forcément celui de la rue! La majorité silencieuse qui n’use pas encore suffisamment de son poids à bon escient. A l’heure où nous sommes à un tournant de l’avenir et tous responsables devant l’histoire à écrire.

Alors que le monde nous observe, que des populations souffrent et meurent sous des dictatures, que le prix Nobel pour la paix de Birmanie annonce que les Birmans envient les Tunisiens de leur révolution… nous, dans notre quotidien, nous ne pouvons nous empêcher de douter.

Qu’est-ce qui nous arrive? Où va la Tunisie? Où veut-on la mener? Sommes-nous capables de construire une démocratie? Que voulons-nous? Qui détient le pouvoir? Que s’est-il passé le 14 janvier? «Man Antom» (qui sont-ils) «Man Ahna» (qui sommes-nous?).

A force de questions sans réponses, chacun remplit les blancs à sa manière et en fonction de sa propre vision des choses. Si certains adhèrent totalement à la thèse où des fous de Dieu s’en prennent aux artistes, aux femmes et aux touristes mettant en exergue un vent d’extrémisme et de fanatisme qui risqueraient de tout emporter sur son passage (retour du tourisme, liberté d’expression, dialogue, espoirs de démocratie…), d’autres restent plus circonspects et crient à la manipulation. Aux manipulations.

Sans être folle ni de Dieu ni de la théorie du complot, la Tunisie est dans l’attente. Elle attend les réponses des urnes dans un contexte troublant aggravé par une fragilité économique et sécuritaire tant que la situation en Libye ne connaît pas d’issue.

Nous ne pouvons que nous demander si nous ne sommes pas aussi en plein dans la stratégie de la distraction et la dégradation, où l’on crée des problèmes pour offrir des solutions en maintenant la population dans l’ignorance pour en arriver à remplacer la révolte par la culpabilité? Ne sommes-nous pas face à un des exercices de la stratégie de manipulation des masses? En version “travaux pratiques“, cela s’exprime par les incidents passés et ceux probablement encore à venir.

Cette accélération détourne des vrais problèmes comme la justice ralentie, la communication maladroite, les médias –ou journalistes- incompétents… Ces événements continuent de révéler les défaillances et détournent de l’urgence de traiter en profondeur des dossiers brulants: chômage, Constituante, économie, dette, rapatriement des fonds tunisiens à l’étranger… Ces dossiers sont d’autant plus frustrants lorsqu’un journal occidental balance la liste des journalistes étrangers qui ont bénéficié des largesses de Ben Ali et que nous peinons encore à obtenir les dossiers de l’ATCE.

A bientôt 6 mois de la chute de l’ancien pouvoir, le pouvoir est fractionné entre des commissions comme celle de Jendoubi et Ben Achour. Une partie du pouvoir est chez le Premier ministre provisoire, le ministère de l’Intérieur, l’armée, l’UGTT, Ennahdha et les partis politiques, les juges, les avocats, la société civile, les régions, les tribus, les jeunes… Il y en a forcément aussi un bout chez le président provisoire de la République… Chacun, à sa manière exerce, apprend, pèse, jauge, influence, oriente… Tous se croient représentatifs, majoritaires, puissants… C’est cela même l’apprentissage de la démocratie.

A l’heure où le face à face entre les juges et les avocats et le rythme des procès s’accélèrent, où la liste des bannis des ex du RCD se dessine, où de nouveaux médias se créent et où de nouveaux fronts politiques commencent à voir le jour, où le Pacte républicain est en discussions et les étapes des élections pour la Constituante sont définies… voilà que l’on sort une nouvelle arme, celle du salafisme. Comme le tribalisme ou le régionalisme, cet instrument fera son heure et se dissipera. La société civile y veille. La nature du Tunisien, son histoire et sa personnalité sauront en extraire les conclusions qu’il faut.

La Tunisie libre et débarrassée de la terreur souffre mais avance avec fermeté vers de jours meilleurs. Pour le moment, ceux qui veulent faire peur aux Tunisiens et leur faire regretter leur révolution sont en train de comprendre que malgré les embuches, ces derniers savent mieux que quiconque que le plus difficile n’est plus de faire tomber une dictature mais bel et bien de construire une démocratie.

Ils ont compris aussi et surtout qu’il ne s’agit plus de faire trop de concessions pour retrouver une sécurité qui ne pourra qu’être surfaite et abusive. Les Tunisiens savent désormais où conduit le chantage à la sécurité. Ils sauront répondre à toutes les formes d’autres chantages d’où qu’elles viennent: du système en place et qui ne lâche prise, du parti «Ennahdha» qui se pense plus fort que tous, des mafias qui ont pris en otage son économie et détruit ses valeurs.

Des troubles, il y en a. Il y en aura encore. Ben Ali est parti mais ceux qui ponctuaient son système sont toujours là. Ils veillent à ralentir le processus. Le report des élections et le choix même de la Constituante sont des choix difficiles et pas égalitairement approuvés et reçus par la population et les différents partis politiques qui se jaugent, s’ignorent, s’observent et se surestiment. Les accapareurs de la Révolution sont nombreux mais ses défenseurs aussi.