Tunisie- Médias : L’ombre de la censure plane toujours sur la télévision nationale

«C’est tous seuls que nous avons pris l’initiative de changer le logo de Tv7 en Télévision Nationale. Nous n’avons pas attendu des instructions de la part de notre direction générale», répètent en chœur les techniciens de la Télévision Nationale. Une télévision qui n’arrive pas à dépasser ses vieux réflexes à la Pravda.

Le ton de franchise qui avait régné sur les plateaux de la télévision aux premiers jours de la révolution a fait dire à une journaliste aujourd’hui retirée du secteur des médias: «J’étais tellement contente que j’ai commencé par écrire  sur mon profil FB que je souhaitais présenter ce journal télévisé tellement il était vrai et parlait, enfin!, des Tunisiens et de leurs  souffrances. Un journal qui exprimait leurs aspirations et attentes. En deux jours, j’ai vu les plus réfractaires à la télévision publique -ignorée à cause de sa langue de bois-  s’y reconvertir».

Passée l’ivresse d’une liberté de presse à peine trouvée, les vieux «routiers» de la télévision retrouvent leurs anciens réflexes. Et de nouveau, la censure tombe comme une épée coupant par la même occasion l’élan de journalistes, cadres et techniciens de la télévision nationale. Froissés par de longues années d’interdits, de langue de bois et diverses frustrations. Ils ne pouvaient exercer leur métier comme ils se devaient ni comme ils le voulaient. Aujourd’hui, ils ne supportent plus cette censure. Aujourd’hui, ils sont décidés à faire barrage au front du refus.

Il faut reconnaître qu’il n’est pas facile de changer un ordre de choses établi depuis trop longtemps. Pour preuve, deux représentantes des médias invitées en tant que  journalistes citoyennes en compagnie d’un jeune entrepreneur sur les plateaux de la télévision  à s’exprimer en direct, ont été surprises de réaliser que leurs propos seraient enregistrés de peur qu’ils ne dénotent d’un ton trop franc. Devant leur refus de passer en différé, la seule réaction de la direction générale a été de demander aux techniciens de la régie de fermer le studio devant les regards ébahis des invités «dégagés» du studio et du staff technique.

Les vieux réflexes ont la peau dure

Pourtant, leurs interventions devaient tourner autour d’axes importants tels: Pourquoi on ne montre pas les véritables images de ce qui se passe en Tunisie sur la télévision nationale? Pourquoi continue-t-on à se détourner des questions fondamentales? Pourquoi n’avons-nous pas aucune image des arrestations des familles des clans Ben Ali? Pourquoi devons-nous continuer à faire notre «marché» ailleurs pour voir ce qui se passe chez nous? Leurs propos se voulaient également rassurants en direction d’une population qui paniquait et de laquelle surgissaient des mouvements anarchiques qui risquaient de faire du tort au pays.

A l’heure où Mohamed Ghannouchi, Premier ministre du gouvernement transitoire, s’exprimait sur Europe1 affirmant que la censure n’était absolument pas permise, la Télévision tunisienne restait à la traîne. Qui devons-nous croire?

Pire, selon des sources sûres à la télévision, nous avons été informés que les programmes directs auraient été stoppés net lundi 18 janvier  suite à un ordre administratif intimant aux journalistes, techniciens et équipes de production, à passer en mode enregistré afin de trouver le temps de monter les cassettes vidéo, censurer les interviews directes avec les invités et sélectionner les coups de fil. Les invités ne sont pas choisis par les animateurs et les journalistes mais par les responsables de la télévision. Ces invités ne sont non seulement pas et pour la plupart les plus aptes à s’exprimer sur ce qui se passe dans le pays, mais ce sont des visages connus de l’opinion publique et des journalises de la télé pour manger à tous les râteliers. En un mot, on prend les mêmes et on recommence!

Héla Rokbi, Ghazi Guenzoui, et Lotfi El Bahri (le chouchou de Leila Trabelsi) auraient investi les studios pour arracher l’antenne. Ils n’ont pas réussi, à ce qu’il paraît. Quant à Afif Frigui, un rcédiste convaincu, le personnel lui a barré le chemin des locaux.

Si nous osons espérer que ces réactions passionnées et passionnelles de la part du staff de la télévision, pendant longtemps acculés à subir l’hégémonie des alliés de l’ancien régime, deviendront plus raisonnables et suivront un processus plus démocratique et plus légal, nous prions pour que notre télévision se libère enfin du poids de la censure et du contrôle obsessionnel.

Les Tunisiens ont le droit de savoir ce qui se passe chez eux

Les questions qui reviennent très fréquemment sur la Toile ces derniers temps sont les suivantes:

– Pourquoi la Tunisie n’a pas demandé officiellement le gel des avoirs de Ben Ali et sa famille? La France et la Suisse ont déclaré de leur propre initiative qu’elles étaient prêtes à répondre positivement à cette requête si la Tunisie le demande. Chose qui n’a pas encore été faite curieusement.

– Pourquoi leurs avoirs en Tunisie ne sont pas encore bloqués? Sakhr El Materi essaierait en ce moment même de revendre ses parts à Tunisiana aux Qataris.

– Pourquoi  Abdallah Kallel n’a pas encore été destitué de son poste au vu de son passé de criminel?

– Pourquoi ne montre-t-on pas à la télé ceux qui sont arrêtés ou morts?

– Pourquoi ne voit-on pas le général Rachid Ammar qui aurait intimé à l’armée l’ordre de ne pas tirer sur le peuple?

– En un mot, pourquoi la télévision nationale ou nos hauts responsables considèrent toujours que le peuple tunisien n’est pas majeur et apte à comprendre les enjeux importants par lesquels passe le pays?

Pour les internautes, la télévision tunisienne diffuse uniquement des histoires de milices, de denrées alimentaires ou de maisons vandalisées pour occuper les gens …

Les journalistes de la télévision nationale ne sont plus prêts pour leur part et aujourd’hui à «s’écraser». Ils se sont évertués ces derniers jours à changer de mode opératoire: «Tout ce que nous voulons est de pouvoir exercer notre métier de journaliste, celui d’informer le public en toute objectivité sur ce qui se passe dans notre pays. Vous vous rendez compte, lors des manifestations, on clamait  “Tounis Sabaa, jabana”  (Tunis7, vous n’êtes que des lâches!). Nous ne pouvons même pas reprocher aux manifestants de tels propos alors qu’à 90%, nous ne sommes pas des “Rcdistes”,  nous sommes assimilés au parti et traités de mouchards, alors que nous sommes des citoyens aussi assoiffés de liberté et de démocratie que tous les autres».

De l’amertume, beaucoup, ressentie par ces journalistes et ces techniciens qui avaient tellement attendu le jour où ils seraient enfin libérés des chaînes de l’interdit, de la censure et de la langue de bois. D’autant plus que même leurs efforts d’assurer leur travail comme il se doit ne trouvent pas grâce auprès des téléspectateurs et seraient court-circuités par certains hauts responsables. Qui sont-ils? Il est grand temps de savoir qui est prêt à soutenir le processus démocratique du pays et qui tient à garder les choses telles qu’elles étaient au risque de nager à contrecourant de la volonté du peuple et du nouvel ordre des choses. Qui a intérêt à maintenir la censure et les interdits en place?

La censure revient. Les vieilles habitudes ont la peau dure. Selon certaines sources, les vidéos où ont filmées les arrestations des Trabelsi ainsi que les conditions de sécurité dans les cités tunisiennes, ces jours ci, auraient disparu des bureaux des responsables de la télévision. Par qui? Dans l’intérêt de qui? Pourquoi? Motus et bouche cousue.