Tunisie : Impératif pour les artisans de se constituer en consortium, estime Torek Farhadi de l’ITC

torek-farhadi-1.jpg 9,15 millions de dollars canadiens pour financer le programme de renforcement des capacités commerciales des pays arabes «Enhancing Arab Capacity for Trade» (EnACT ) sur trois ans (2009-2011) et en direction de cinq pays, à savoir l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie et le Maroc. Le maître d’œuvre en est l’ITC, (International Trade Center) organisation des Nations unies dont le rôle est de développer le commerce à l’international. ITC a pour objectif d’aider les pays en développement et en transition à parvenir au développement humain durable grâce aux exportations.

C’est Torek Farhadi, coordinateur du programme, Renforcement des capacités commerciales des pays arabes qui en assure la réalisation.

Entretien

Webmanagercenter : Quel est le rôle de l’ITC dans l’accroissement des exportations dans la région arabe?

Torek Farhadi: Il faut tout d’abord savoir que nous nouons des partenariats avec les institutions d’appui au commerce afin d’offrir des solutions intégrées contribuant à “Des exportations pour un développement durable”. Les services que nous dispensons s’articulent autour de cinq axes opérationnels complémentaires: politique commerciale et secteur privé, stratégie d’exportation, renforcement des institutions d’appui au commerce, intelligence commerciale et compétitivité des exportateurs.

Le programme est financé par le gouvernement canadien qui considère qu’à travers les exportations, nous pouvons créer des emplois. Pour beaucoup de pays concernés par le programme EnACT (Enhancing Arab Capacity for Trade) comme le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie, la création d’emplois représente une priorité. Notre mandat à nous ITC (International Trade Center) est d’œuvrer pour la croissance des exportations. Nous estimons que si nous arrivons à les développer, nous augmenterons le nombre d’emplois des jeunes.

Ces jeunes qui constituent la plus grande partie des populations arabes. Promenez-vous donc dans les rues du Caire et vous ne verrez pas beaucoup de personnes âgées. La pyramide des âges penche en faveur des jeunes. Ce qui pose le problème des débouchés d’emplois.

Quels sont les marchés preneurs des produits artisanaux arabes selon vous ?

Prenons des marchés comme l’Europe et les Etats-Unis, ils sont inondés par des produits en provenance de toutes les régions du monde et particulièrement de l’Asie. Pour rétablir un peu plus d’équilibre et d’équité sur ces marchés et créer des emplois dans la région arabe, nous considérons que des pays comme la Tunisie, le Maroc ou l’Egypte, peuvent satisfaire aux exigences des consommateurs américains, européens ou asiatiques et répondre aux normes internationales. En fait, il ne s’agit pas d’une compétitivité touchant à la qualité des produits, ce qui manque c’est plutôt la dimension relationnelle avec des acheteurs dont les rapports sont plus étroits avec l’Asie qui offre des prix très concurrentiels.

Aujourd’hui, la donne doit changer, la compétition ne doit pas se limiter au prix mais doit concerner la valeur et la qualité du produit. Ce qui implique la mise sur le marché d’un produit réalisé avec soin, répondant aux critères de qualité et de finition et qui inciterait l’acheteur à payer plus pour avoir plus. Un atout important pour le Maghreb est que les clientèles nord-européennes pencheraient plutôt pour consommer méditerranéen pour des raisons historiques, de proximité et d’affinités culturelles.

Quels sont les produits des pays du Sud qui peuvent réussir en Asie?

Nombre de produits de terroir dont ceux artisanaux où il y a plus de valeur ajoutée et qui sont réalisés par une main d’œuvre et des artisans confirmés. Par exemple, grâce à nos consultantes en design, nous avons aidé à la conception de couffins tunisiens adapté au goût de la clientèle japonaise revus en fonction de leurs désidératas. A partir de la Tunisie, ils sont vendus à 50 €, et ils atteindront 5 fois le prix arrivés au Japon.

Avez-vous trouvé des difficultés dans la concrétisation de votre programme?

C’est le schéma de sous-traitance qui pose problème dans un pays comme la Tunisie. A titre d’exemple dans le secteur des textiles. En améliorant le design et la qualité du produit. En investissant plus et mieux dans la finition, l’emballage et la présentation, on peut vendre les produits beaucoup plus chers. Il s’agit là de marketing. Ce que nous ambitionnons, en ce qui nous concerne, est de changer la perception du client, répondre aux exigences d’une catégorie de clientèle qui apprécie les belles choses et a les moyens de se les offrir.

Qui sont vos fournisseurs en Tunisie, l’Office de l’Artisanat ou plutôt des fabricants privés?

Ce sont des particuliers que nous choisissons avec l’aide de l’Office de l’Artisanat. Ils ont déjà vendu pour 7.000 € et ça n’est que le début. Ensuite, à mesure que le design sera meilleur, il y a plus de chance que la demande augmente et que les produits s’imposent sur les marchés internationau

Quelle chance pour qu’un tel programme marche dans nos pays ?

Nous estimons que nous avons déjà réussi. Comment mesurons-nous notre succès? Eh bien, prenons l’exemple du couffin reconçu pour la commercialisation à l’international, il a nécessité tout juste 10 heures de travail y compris la logistique, la chaîne de valeurs et tout le nécessaire. Nous espérons avoir une commande de trois mille pour le même produit au bout de 30.000 heures de travail. Donc, nous créons des emplois qui n’auraient peut-être pas existé si nous n’étions pas intervenus.

Pourquoi les Nations unies se soucieraient-ils autant de créer des emplois dans nos pays? En fait, c’est le rôle des gouvernements eux-mêmes de l’assurer n’est-ce pas?

Les Nations unies travaillent en général sur le développement qui peut se faire en investissant dans les infrastructures, l’éducation, et la réduction de la pauvreté aussi. Nous pouvons illustrer la pauvreté par une famille qui retire son enfant de l’école pour qu’il travaille et aide à subvenir à ses besoins et à son bien-être. Ceci éventuellement parce que ses parents n’ont pas d’emploi alors qu’il est sensé, pour sa part, poursuivre ses études. Si en tant que Nations unies, nous œuvrons à créer des emplois, c’est pour donner l’opportunité à ces familles d’assurer les besoins de leurs progénitures afin qu’elles puissent terminer leurs études. Nous leur donnons la possibilité d’améliorer leur niveau de vie. C’est en créant des emplois que nous arrivons à créer des richesses.

Pourquoi avez-vous démarré ce projet au Maghreb?

C’est une exception. En ce qui nous concerne, nous travaillons dans 110 pays en développement. Normalement, les financements accordés par les bailleurs de fonds sont destinés à l’Afrique subsaharienne parce que c’est là-bas que se trouve la plus grande pauvreté. Nous avons choisi le Maghreb pour mettre en place un modèle qui marche et que nous pouvons transposer dans d’autres régions. C’est plus facile de réussir dans cette région, le potentiel existe.

Si nous reprenons l’exemple du couffin fabriqué en Tunisie à destination du marché japonais, nous devons reconnaître que nous avons procédé à quelques ajustements, les critères de base étaient déjà là. Notre objectif ultime est bien entendu la création de l’emploi à travers l’exportation. Car imaginez que nous ne soyons pas là, les jeunes ont affaire à un marché lambda alors que lorsque nous les aidons à fabriquer un produit en y ajoutant les formes et en y intégrant les vœux de clientèles dont ils ne cernent pas les profils, nous les aidons à vendre leurs produits aux meilleurs prix.

Quels sont vos partenaires en Tunisie?

En tant qu’ONU, nous sommes signataires d’un accord avec le ministère du Commerce. Nous travaillons avec des institutions telles que le CEPEX et bien sûr les entreprises. Car ce sont elles qui gèrent les activités destinées à l’export. Ce n’est pas nous, ce n’est pas non plus les Etats. Bien sûr, nous travaillons avec des entreprises désignées par des organismes comme le CEPEX ou l’ONA. Nous sélectionnons celles dont les produits correspondent le mieux aux marchés internationaux et qui peuvent participer à des salons comme «Maisons et Objets» ou «Macef» en Italie et «Ambiente» à Francfort, par exemple. Le choix des Salons est fait au niveau de l’ONA. Pour notre part, nous préparons les produits, les stands et nous effectuons les retouches nécessaires pour garantir le succès des produits exposés et destinés aux grossistes. Bien qu’il soit difficile de produire de grandes quantités dans l’artisanat, d’où la nécessité de constituer des consortiums pour répondre à la demande.

Comment réussissez-vous à convaincre les artisans de fabriquer pour l’export?

Il n’y a pas de formules idéales. Les artisans ne sont pas très versés dans le commerce. Ils vous disent, par exemple, «je peux fabriquer 2 ou 3 articles par semaine et je les vends à 35 €». C’est trop peu, mais ils fonctionnent comme ça, il faut presque des «regroupeurs», des personnes qui possèdent le sens du commerce, qui vont chez les artisans et qui organisent l’opération de fabrication d’un objet suivant les mêmes standards ainsi que leur commercialisation.

L’artisanat occupe tout juste 15% de nos activités mais pour nous, il est très important. Nous faisons en sorte de les sensibiliser à l’importance de s’exporter mais nous avons l’impression que l’artisan tunisien n’y est pas intéressé car il s’en sort grâce au tourisme. S’ils savaient ce que les marchés internationaux leur importent, ils devraient se constituer en consortiums. Nous pourrions, pour notre part, dénicher des fonds pour former des jeunes diplômés dans les métiers de l’export et du marketing destinés au secteur artisanal.

Nous tenons à créer des opportunités pour répondre aux tendances de consommation à l’international, ce qui aura pour résultat l’accroissement des capacités d’exportation et le développement du commerce.

Ceci est le rôle des conseillers à l’export, n’est-ce pas?

C’est un peu ce profil mais les conseillers à l’export sont formés pour des entreprises un peu plus organisées et plus importantes en taille, telles celles évoluant dans l’agroalimentaire, l’électronique, les composantes automobiles et autres. Avec l’artisan, c’est beaucoup plus délicat, c’est de la micro entreprise.

Et quelles sont vos actions avec le ministère du Commerce et de l’Artisanat?

Nous sommes partenaires avec le ministère et nous travaillons aujourd’hui à la mise en place d’un observatoire de commerce pour lui permettre de faire des prévisions et d’anticiper les tendances à l’international.