Tunisie – Economie : Etranges leçons d’économie

Par : Tallel

Quelqu’un pourrait-il prévenir le ministre de l’Education nationale ? Un étrange
projet s’est glissé sur le site Internet de son ministère. Il s’agit d’un
programme d’économie destiné aux jeunes de quinze ans. Des éditeurs de manuels
l’auraient déjà reçu alors même qu’une consultation des enseignants serait en
cours jusqu’au 12 mars. Pourtant, il ne peut s’agir que d’une erreur. Ledit
programme, censé présenter un enseignement d’exploration en sciences économiques
et sociales, commence par les notions… d’élasticité et de consommation
ostentatoire. Il n’y est nulle part question d’Etat (sauf incidemment à propos
de la lutte contre la pollution) ni d’échange international. Et les thèmes du
pouvoir d’achat et du chômage n’y figurent pas, car ils auraient été jugés trop
brûlants. Non, ce n’est pas possible. A moins que le projet ait été conçu par un
comité d’experts expédiés secrètement sur la Lune pour être à l’abri de tout ce
qui se passe sur notre bonne vieille Terre.

L’histoire avait pourtant bien commencé. L’an dernier, le gouvernement avait
décidé la création d’un enseignement d’économie obligatoire pour les lycéens en
classe de seconde. Il l’a hélas fait… à l’économie, avec seulement une
cinquantaine d’heures. Mais après tout, c’est déjà ça. En cinquante heures, il
doit bien être possible d’explorer quelques voies. De montrer que l’économie
n’est pas seulement un regard sur le monde, mais aussi des raisonnements pour
comprendre ses rouages. De commencer à faire réfléchir les lycéens avec des
outils économiques, en faisant par exemple saisir le rôle que joue le prix dans
l’ajustement entre l’offre et la demande. De faire comprendre pourquoi il existe
des entreprises. Enfin de préciser le rôle de l’Etat, là où il est indispensable
et là où sa présence prête à débats.

Mais ensuite, il faut faire un programme. Et en France, programme rime avec
psychodrame. C’est l’occasion pour les enseignants de s’écharper avec le
ministère puis de publier de longues tribunes vengeresses dans les journaux,
parfois à propos d’une simple formulation qui ne change rien à ce qui se passe
en classe. En économie, c’est encore plus inextricable, car les experts, et les
patrons via l’Institut de l’entreprise, sont entrés dans le débat. Pour tenter
d’y voir clair, le ministère avait demandé un rapport, publié il y a deux ans.
La commission, pilotée par Roger Guesnerie, y proposait un enseignement fondé
sur les «outils conceptuels» de la discipline tout en rappelant que
«l’enseignement doit aussi introduire aux problèmes économiques et sociaux
contemporains et il doit être pédagogiquement attractif». Une vraie ligne
directrice ! Dommage que le programme venu de la Lune a oublié les problèmes
contemporains, l’attractivité pédagogique et les outils conceptuels développés
depuis un siècle…

Face à cette impasse, que peut faire le ministre ? A vrai dire, ce n’est pas
très compliqué. D’abord, remercier chaleureusement son comité lunaire avant
d’abandonner son programme. Ensuite, jeter un coup d’œil sur le contre-programme
élaboré par l’Association des professeurs en sciences économiques et sociales (Apses)
pour s’aérer l’esprit avec des thèmes comme l’emploi ou les relations sociales
en entreprise. Enfin, repartir d’un autre programme destiné aux classes de
seconde, celui qui porte sur les «principes fondamentaux de l’économie et de la
gestion». Il n’est certes pas parfait (il a d’ailleurs été critiqué par
l’Association des professeurs de communication, gestion et économie). Mais il
constitue une base de départ plus intéressante, à condition d’y réinjecter les
fameux «outils conceptuels». Il commence par le principe de rareté, continue par
l’échange, reconnaît le rôle de l’Etat, évoque la valeur ajoutée et la
concurrence. On a au moins ici l’impression d’être dans la vraie vie économique.

Bien sûr, il peut paraître étrange de consacrer tant de temps à ce qui peut
sembler relever de la vaine polémique au moment où nous vivons une crise sans
précédent. Il y a pourtant là un enjeu essentiel. Car l’une des plus grandes
faiblesses de l’économie française, c’est la faiblesse des Français en économie.

Jean-Marc Vittori est éditorialiste aux “Echos” depuis cinq ans. Il commente
aussi régulièrement l’actualité sur les ondes (France Info, BFM…). Il a
auparavant travaillé en presse magazine économique (Le Nouvel Economiste,
Challenges, L’Expansion dont il est directeur de la rédaction en 2001-2002). Il
a notamment suivi les questions de politique économique et de conjoncture, en
France et dans les grands pays industrialisés. Son premier livre, “Dictionnaire
d’économie à l’usage des non-économistes”, est paru début 2008 chez Grasset.


http://www.lesechos.fr/info/analyses/020379622682-etranges-lecons-d-economie.htm