Faut-il interdire aux banques de spéculer?

Par : Tallel

Séparer les activités de détail des activités de marché —donc interdire aux
banques de spéculer: l’idée ne date pas d’hier mais de l’après-crise de 1929.
Mais elle présente de multiples inconvénients, à commencer par une instabilité
totale pour les “quasi-banques” qui choisiraient les seules activités de marché.
Reversus fait le point.

Souvenons-nous qu’au sortir de la crise de 1929, le régulateur américain décide
par la mise en place du place du Glass-Steagall Act, de mettre fin au principe
de banque universelle qui autorisait le regroupement des activités de détail et
de marchés au sein d’une même entité. Néanmoins, le développement des activités
de financement et d’investissement s’est progressivement traduit par le souhait
de revenir aux principes du passé. L’intérêt des banques d’investissement était
qu’elles pouvaient bénéficier d’une base de dépôt solide et peu volatile pour
financer une partie de leurs activités (la relation est plus complexe que cela
mais je simplifie volontairement). Peu à peu, les séparations législatives
disparaissent pour laisser émerger au début des années 1990 d’imposants
conglomérats financiers.

L’économiste John Kay conçoit de tels conglomérats comme la combinaison d’un
service public (l’activité bancaire quotidienne essentielle à l’activité
économique) et d’un casino (activités de marché et plus précisément le trading
pour compte propre). Les dépôts étant implicitement assurés par l’Etat, ils
permettent un financement bon marché des activités du casino. Cependant, les
pertes de ce dernier peuvent menacer le bon fonctionnement de la branche
«service public».

Toujours selon John Kay, aucune régulation ne saurait résoudre le problème lié
au financement implicitement garanti par l’Etat – l’économiste semble ici
négliger la possibilité d’établir des processus spécifiques de mise en faillite.
Il propose donc d’instaurer un système bancaire restreint (le service public) où
les dépôts garantis seraient utilisés pour financer des activités sûres (crédit
aux PME, achat d’obligations d’Etat…). Le reste du système financier alimenté
par de la dette ou des dépôts non garantis serait en charge des segments
d’activités plus risqués (le casino). Cette séparation supprimerait la menace
que peut constituer le casino pour le service public. Par ailleurs, l’absence de
garantie implicite inciterait les déposants et les créanciers à inclure le
risque de défaut dans leurs exigences de rendement, ce qui en retour limiterait
le gonflement des activités a risque et l’émergence d’entités financières trop
grosses pour faire faillite.

Les risques d’un système parallèle

Un tel retour en arrière n’est pas dénué d’inconvénients. D’abord, cela
signifierait une offre de fonds prêtables réduite pour des activités de long
terme mais plus risquées (les jeunes entreprises, le crédit immobilier, la
couverture des risques au sein des entreprises…). De leur coté, les
investisseurs et les déposants seraient incités à placer leurs fonds auprès
d’institutions plus rentables. Tout ceci laisserait la place à des «quasi
banques», qui ne recenseraient que des activités risquées et seraient sujettes
aux retraits massifs des investisseurs et des déposants. En cas de doute sur la
solvabilité de l’entité, ces derniers préféreront replacer leurs fonds dans les
banques sures, précipitant les quasi banques vers l’insolvabilité et la
faillite.

Par ailleurs, si on suppose que le système bancaire restreint aurait finalement
transféré l’essentiel de ses encours de crédit vers les «quasi banques»,
l’économie réelle serait en dernière analyse touchée encore plus fortement que
dans le cas présent. En bref, les États interviendraient pour sauver les «quasi
banques» ce qui nous ramènerait au point de départ. Pour que la solution du
système bancaire réduit puisse fonctionner, il faudrait interdire la mise en
place de quasi banques, signifiant donc une réduction permanente de l’offre de
fonds prêtables. Les conséquences seraient une moindre croissance potentielle et
donc une capacité d’absorption des nouveaux entrants sur le marché du travail
durablement réduite. La problématique se résumerait alors au choix suivant :
plus de croissance et d’emploi ou plus de stabilité financière ?

Un point de vue moins ambitieux serait de considérer la séparation ou bien une
très forte pénalisation en termes d’exigences de fonds propres des activités les
plus spéculatives –c’est-à-dire le trading propriétaire. De la même manière,
Thomas Philipponsuggérait que ces activités peuvent être assimilées à de la
pollution et pourraient à ce titre être davantage taxées (principe de la taxe
pigouvienne). Ce type de mesure ne résoudrait bien sûr pas l’instabilité
inhérente aux systèmes financiers, mais les excès les plus flagrants seraient
certainement atténués.

Le constat est aujourd’hui largement partagé : la garantie implicite du passif
des banques pose un réel problème tant elle incite ces dernières à devenir
toujours plus imposantes et à utiliser cette caractéristique pour gonfler la
part des activités à risque. Les mesures proposées jusqu’à maintenant pour
supprimer cet aléa moral, qu’il s’agisse de la taxe Tobin ou bien de la
réinstauration d’une sorte de Glass Steagall Act, ne résoudrait que très
imparfaitement l’équation proposée. L’approche pigouvienne, que ce soit sous
forme de taxe ou d’exigence de fonds propres, de même que l’établissement de
système de faillite spécifique aux grandes entités financières, seraient peut
être plus adéquats.

(Source :

http://www.marianne2.fr/Faut-il-interdire-aux-banques-de-speculer_a182630.html?com
)