Tunisie : La récession frappe la Bijouterie

Une première. L’étude est comparative, elle dresse un état des lieux de la
réalité du secteur de la bijouterie en Tunisie et celle dans d’autres pays
tels la Libye, la Turquie ou encore l’Italie. Elle a été commandée par
l’UTICA et touche à un secteur qui souffre de maux, notamment celui du
conflit entre industriels et artisans de la bijouterie et commerçants.

Cette mésentente, outre les réglementations et les lois régissant le secteur
et qui freinent son développement et sa croissance, fait perdre au pays des
rentrées importantes en devises. Car comme l’explique Hédi Djilani,
président de l’UTICA dans son discours d’ouverture lors du séminaire sur le
secteur de la bijouterie, les uns et les autres oublient trop souvent que la
Tunisie est visitée chaque année par 6 millions de touristes dont le nombre
est appelé à doubler d’ici à quelques années. La qualité de l’offre
touristique est également en train d’évoluer vers la moyenne et haut de
gamme, ce qui implique des personnes plus dépensières et exigeantes dans le
choix des produits et souvenirs tant au niveau de l’originalité que de la
qualité.

«Il faut que le secteur devienne plus dynamique, qu’il reprenne ses lettres
de noblesse et attire les jeunes. Aujourd’hui, nous avons affaire à une
industrie pauvre minée par des querelles non fondées et altérée par des
pratiques illicites, des comportements immoraux qui nuisent à la profession
et empêchent l’innovation et la créativité», a scandé M. Djilani. Il a, par
ailleurs, exprimé le souhait qu’en Tunisie, on en arrive un jour à
désacraliser l’or et en faire un produit de consommation comme les autres,
que l’on puisse acheter ailleurs qu’à la Banque centrale.

Etat des lieux

Selon l’étude réalisée par Sonia Ben Mrad, du cabinet Omega Conseil, le
secteur de la bijouterie en Tunisie vivrait une crise aiguë depuis des
années. Ceci malgré la présence sur le marché d’artisans hautement qualifiés
et de commerçants compétents et ambitieux.

Il souffre d’une baisse des quantités des bijoux exposés et d’un manque
manifeste d’innovation et de créativité, sans compter l’augmentation
régulière du prix de l’or, ce qui a pour conséquence la hausse des taux de
taxes prélevés sur l’or brut.

Mais il n’y a pas que cela, l’obligation de l’utilisation du poinçon,
pratique totalement révolue dans des pays comme la Turquie et la Libye, où
le secteur de la bijouterie est très développé et a atteint un stade
industriel qui fait faute à notre pays, ne sert pas la cause de la
bijouterie dans notre pays. D’autant plus qu’acculés à utiliser le poinçon,
les aigrefins et escrocs s’adonnent à des pratiques illicites telles la
vente d’articles de bijoux de qualité médiocre ou à des fraudes de tous
genres par l’usage des faux poinçons qui circulent en grand nombre sur le
marché.

D’autre part, le secteur, qui n’arrive pas à décoller, n’a même pas la
capacité de sécuriser les artisans et ouvre la porte grande à la concurrence
déloyale, ce qui les incite à déserter de plus en plus le métier. Plus grave
encore, des spécialités se rapportant à la confection des bijoux
traditionnels sont en train de disparaître, tels les filigranes, spécialité
tunisienne qui est en train de se développer en Libye. Le marché de la
bijouterie, aujourd’hui, reste l’otage de pratiques commerciales illégales
qui lui portent atteinte et touchent à l’intégrité morale des artisans et
industriels du secteur.

Ceci sans parler des problèmes d’ordre pratique qui compliquent
considérablement la pratique du métier de bijoutier telles les quantités
limitées de l’or acheté par les industriels ou les artisans et la machine
sous pression qui facilite leur travail et pour laquelle ils doivent, à
chaque fois, faire appel à une autorisation pour en user.

«La Turquie nous a supplanté»

«Il y a une vingtaine d’années, les Turcs étaient au même point que nous.
Seulement, eux, ils ont décidé d’agir pour améliorer leurs prestations et la
qualité de leurs produits, c’est ce qui fait de la Turquie aujourd’hui, le
deuxième exportateur des produits de bijouterie de par le monde», assure
Sonia Ben Mrad.

La raison en est très simple, le marché turc est ouvert, la vente de l’or,
assurée par Istanbul Gold Exchange (IGE), un organisme étatique, est libre.
En Turquie, dès le moment que l’industriel exprime ses vœux d’acheter même
pour deux cents kilos d’or, il est satisfait. «Ce qu’il en fait par la suite
? Ce n’est pas notre problème, dès le moment que nous sommes payés», assure
Saliha Assansiou, directrice de l’IGE.

En Turquie, précise Sonia Ben Mrad, le marché est organisé, il y a les
grossistes et les vendeurs en détails et personne ne marche sur les
platebandes de l’autre. Des formations sont dispensées aux jeunes artisans
bijoutiers dans des salles de cours aménagées spécialement par la Chambre
turque des professionnels de la bijouterie. Pas de poinçon, c’est
l’industriel lui-même qui appose sa griffe sur ses produits, il est
également le garant de sa qualité. Le marché est organisé de telle manière
qu’il s’est régulé par lui-même. Il éjecte tous ceux qui s’aventurent à lui
causer du tort. <

En Turquie tout comme en Libye, il n’existe pas de taxes sur l’or ou les
pierres précieuses, ce qui fait de l’industrie des bijoux un secteur
attractif pour ceux qui veulent y développer des métiers et, puisque libre,
ferme la porte à toutes pratiques illicites.

Quelles sont les chances de la Tunisie de se mettre à niveau et de
développer le secteur ?

Des solutions simples pour un secteur compliqué

Les réponses sont très simples, nous dit Sonia Ben Mrad : première chose à
faire, et elle rejoint en la matière Hédi Djilani, mettre fin à cette guerre
«fratricide» entre industriels, artisans et commerçants, les frères ennemis
si l’on peut s’exprimer ainsi. Ensuite, baisser les taxes sur les prix de
l’or de 21% à 6% et sur les pierres précieuses de 90% à 20% même s’il paraît
plus logique de les enlever carrément, et permettre à l’artisan d’acheter
l’or selon ses besoins et sans limites de quantités.

Sur un tout autre volet, il serait temps de permettre aux bijoutiers
d’utiliser l’or usé sans poinçons et de la même manière que l’or frappé et
d’éliminer carrément l’usage du poinçon traditionnel et le remplacer par les
poinçons de maître et de titre. Au cas où il ne serait pas possible de
retirer le poinçon, il serait préférable de supprimer sa valeur monétaire et
permettre aux artisans d’en user gratuitement.

D’autre part, et pour faciliter le travail des artisans, il serait
souhaitable de les autoriser à utiliser la machine à pression quand bon leur
semble comme cela se passe partout dans le monde, et d’ouvrir le secteur sur
les marchés extérieurs. Enfin, créer le Conseil de la bijouterie tunisienne
sous l’égide de l’UTICA, simplifier le cahier des charges proposée dans le
cadre de la loi de juillet 2006, organiser des salons internationaux dans
les métiers de bijouterie et mettre en place une stratégie gouvernementale
pour le développement du secteur.

La Tunisie a hérité d’un grand patrimoine dans le secteur de la bijouterie.
Les bijoux berbères, puniques, carthaginois, turcs, arabes et autres qui
devraient inspirer nos artisans, risquent de disparaître si l’on ne prend
pas soin de préserver leurs spécificités et de les perpétuer par la création
de modèles originaux qui valorisent notre histoire et la préservent. Dans
l’étude réalisée par l’UTICA, on lève le voile sur les maux du secteur et on
propose des solutions pour une activité appelée à se développer, une
activité très exigeante en matière de main-d’œuvre.

La balle est dans le camp des pouvoirs publics.