Yves Gauthier : “Tunisiana est prête à investir, il faut juste qu’on nous en donne la possibilité”

Par : Tallel

Tunisiana fête, le 27 décembre 2008 son 6ème anniversaire.
Nous avons saisi cette occasion pour rencontrer son directeur général, M. Yves
Gauthier, nommé à la tête de l’entreprise il y a plus d’un an. Dans cette
interview qu’il nous a accordée, nous avons évoqué avec lui, notamment, des
questions portant sur la licence 3G, la tarification, le climat social …

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Webmanagercenter
: Un peu plus d’une année après votre arrivée dans notre pays, comment
jugez-vous aujourd’hui le marché des télécoms en Tunisie ?

Yves Gauthier : Le marché des télécoms tunisien est tout à fait
comparable à ce qu’on voit sur les autres marchés, c’est-à-dire les mêmes
difficultés, les mêmes attentes du public, les mêmes technologies…. Sauf que
pour le fixe, il n’y a pas de concurrence, pour l’instant.

Comment vivez-vous cette expérience tunisienne, avez-vous été amené à
adapter le management de l’entreprise aux spécificités du marché
(réglementations, institutions, rôle de l’Instance de régulation)?

Ce n’est pas nous qui faisons le cadre réglementaire ; par contre, nous
sommes obligés d’opérer dans le cadre établi par le législateur ou imposé
par la loi. Ceci dit, il est vrai que, parfois, on a des points de vue
différents avec l’INT (Instance nationale des télécommunications), mais on
s’explique et on a toujours fait valoir notre point de vue avec elle. Avec
le ministère (des Technologies de la Communication), c’est pareil. Je dirais
que, pour notre part, nous entretenons de bons rapports avec les instances
même si l’on n’a pas toujours les mêmes avis…

C’est-à-dire qu’on vous écoute…

Oui, on nous écoute ; comme je viens de le dire, des fois on n’est pas du
même avis, mais au moins on peut exprimer notre point de vue. C’est déjà
bien.

Toutefois, je pense que le régulateur est en train de trouver sa place
dans un marché concurrentiel, et avec l’arrivée d’un troisième opérateur, il
est certain que ça va encore évoluer. En tout cas, je puis vous dire que
tout se passe bien pour nous…

Est-ce qu’il faut comprendre par-là que vous êtes traités de la même
manière par l’Instance nationale des télécommunications… ?

Je ne peux parler que pour moi, car je ne sais pas comment sont traités
les autres ; et je crois que le régulateur est en train de faire son
travail. Mais le problème du régulateur, c’est qu’il y a monopole sur le
fixe et concurrence sur le mobile, et Tunisie Télécom opère à la fois dans
le fixe et le mobile. Et du fait que Tunisie Télécom soit à 65% une
entreprise d’Etat, cela ne rend pas facile la tâche du régulateur.

Mais réellement, je pense qu’en ce qui concerne l’activité mobile, le
régulateur essaie d’être équitable entre Tunisiana et Tunisie Télécom.

Cependant, le régulateur est comme un arbitre sur un terrain de foot :
s’il voit une faute, il la siffle, maintenant je me demande s’il voit toutes
les fautes.

Parlant justement d’arbitre, nous constatons des différences dans les
chiffres publiés sur les parts de marché. Ce n’est pas le rôle du régulateur
de siffler contre l’une ou l’autre entreprise ?

En fait, ça vient de la façon dont on compte les clients. Dans les
chiffres publiés par nos actionnaires concernant la part de marché, on parle
souvent de clients actifs et de clients dormants. Donc, tout dépend comment
on compte ces clients ; un client qui n’a pas activé sa carte SIM pendant
un, deux ou trois mois peut-il entrer dans les statistiques de part de
marché ?

Alors, même si la mesure n’est pas juste à cent pourcent, ce qu’il faut
bien regarder, c’est la progression, car celle-ci est juste. Par exemple
Orascom, qui publie nos chiffres, regarde les clients actifs pendant les 90
derniers jours, autrement dit, un client qui n’a pas d’activité au cours des
trois derniers mois n’est pas inclus dans nos statistiques de part de
marché.

Franchement, ce qui compte pour moi c’est comment on évolue, le reste
n’est pas si important… Vous savez, il n’y pas deux opérateurs au monde qui
comptent leurs clients de la même façon…

On a souvent parlé de distorsions dans la concurrence, vous avez,
vous-même, déclaré un mois après votre arrivée chez Tunisiana, qu’on doit
pouvoir jouer tous le même jeu. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il est clair que, aujourd’hui, sur la partie mobile, Tunisiana et Tunisie
Télécom jouent le même jeu, mais demain, avec l’entrée d’un troisième
opérateur, cela ne sera pas le cas, parce que celui-ci aura accès à des
technologies auxquelles nous on n’a pas accès.

La tutelle a voulu donner un avantage concurrentiel au nouvel entrant
parce que sans cela il n’arrivera pas à pénétrer le marché. Je ne peux
qu’accepter parce que je n’ai pas de choix, mais j’espère que le temps
durant lequel on n’aura pas accès à ces technologies sera le plus court
possible. On parle déjà d’une année.

Vous n’aurez donc pas la possibilité d’aller chercher d’autres relais de
croissance dans le fixe et la 3G. Comment dans ce cas envisagez-vous
l’avenir de Tunisiana, qui se retrouvera demain face à deux opérateurs
télécoms globaux ?

Voyez-vous, même si l’on n’est pas sur la partie fixe, ce n’est pas une
catastrophe ; par contre, si on ne peut pas aller sur la 3G, ce sera grave.
Tout ce que j’espère, c’est qu’à la fin de l’année 2010, on puisse accéder
aux technologies 3G, c’est-à-dire pouvoir lancer le réseau 3ème génération.

En Europe, les opérateurs font de la croissance sur l’accès data à partir
du mobile. En clair, si l’on n’a pas accès à ces technologies, il nous sera
difficile de faire de la croissance.

Avez-vous la garantie ou du moins la certitude qu’au bout d’une année, ce
sera possible pour vous d’accéder aux technologies 3G ?

On espère qu’au bout d’une année on aura une licence nous permettant
d’opérer dans les technologies 3G. Mais il est vrai qu’il n’y a pas
d’engagement, le cahier des charges indique seulement qu’au bout d’un an
environ des nouvelles licences 3G seront mises en vente. C’est un peu
dommage d’ailleurs, parce que nous, on a besoin de nous préparer pour des
nouveaux investissements…

Il n’y pas d’autre alternative, comme par exemple dans le WiMax…

Non, c’est pareil dans le WiMax, on n’y a pas accès, on a juste accès au
GSM. Tout ce que l’on peut faire aujourd’hui, c’est de faire évoluer le Edge,
et même avec cette évolution du Edge, nous n’arriverons pas à atteindre les
objectifs qu’on voudrait atteindre.

En fait, ce que j’aurais souhaité c’est qu’on nous permette d’investir
dans la 3G au lieu de distribuer des dividendes, mais si je n’ai pas cela,
que voulez-vous que je fasse… ! Je ne peux tout de même pas investir dans un
hôtel…, notre métier c’est de développer les télécoms, mais pourvu qu’on ait
l’opportunité de le faire.

Bon, le gouvernement a pris la décision de libéraliser les technologies
3G et de donner un avantage concurrentiel au nouvel entrant, mais à mon avis
ce serait un mauvais choix de le faire pendant très longtemps, car
effectivement ça ralentirait les investissements qu’on peut faire dans le
secteur et les possibilités de croissance, à la fois pour Tunisie Télécom et
pour Tunisiana.

Avec un taux de pénétration actuel de la téléphonie mobile de plus de
80%, comment Tunisiana va-t-elle pouvoir maintenir un niveau satisfaisant de
croissance?

Il y a encore quelques poches de croissance dans la pénétration ; vous
avez aujourd’hui des pays à 160% de taux de pénétration…

La meilleure chose qu’on souhaite, ce serait une croissance économique
forte pour la Tunisie, car ça engendre une croissance pour les télécoms.
Pour 2009, il restera des points à gagner dans les taux de pénétration.

C’est surtout 2010 qui risque d’être difficile, puisqu’on n’aura pas la
3G, mais on aura en plus un nouveau concurrent sans possibilité d’aller
chercher de la croissance sur d’autres créneaux.

L’Internet mobile semble évoluer timidement…

Si vous voulez, on a aujourd’hui environ 10.000 personnes qui accèdent
régulièrement à Internet à partir du téléphone mobile ; pour nous, c’est
beaucoup. Et si vous prenez l’iPhone, on a plus de 3.000 personnes sur le
réseau alors qu’il n’est pas commercialisé en Tunisie… A terme, nous
estimons le marché de l’Internet mobile autour de 500.000 voire 1 million de
clients.

Les tarifs de l’Internet restent élevés…

On a récemment lancé des forfaits qui ont bien fonctionné. En fait, ce
n’est pas la tarification qui est importante, car j’estime qu’on a une
tarification qui est quand même raisonnable…

A mon avis, ce qui va encore accélérer la progression de l’utilisation de
l’Internet à partir du mobile, ce sont les smartphones,… On s’aperçoit
notamment en Europe de l’Ouest que ce sont généralement les jeunes qui
achètent ces téléphones, parce qu’ils leur permettent d’aller sur Google,
Facebook, MSN…

Ne faudrait-il pas développer un contenu spécifique pour le mobile ?

Il faudrait surtout poser deux questions : est-ce qu’il y a un contenu
spécifique pour le mobile ? Ou bien est-ce que c’est le contenu web qui est
utilisé sur le mobile ? Jusqu’à maintenant, le contenu purement mobile n’a
pas vraiment fonctionné même en Europe de l’Ouest. Maintenant, est-ce qu’il
faudrait que Google ou MSN aient leurs serveurs en Tunisie ? Probablement,
parce qu’aujourd’hui tout le trafic est dirigé vers la France.

L’Internet mobile enregistre une forte croissance partout, et la tendance
devrait être la même en Tunisie. C’est pourquoi il faut ouvrir le réseau 3G,
car si vous attendez un quart d’heure pour accéder à votre messagerie, vous
arrêtez avant. C’est donc certain qu’il faut investir, et nous on est prêt à
le faire, mais encore une fois il faut qu’on nous en donne la possibilité.

En dépit d’une concurrence exacerbée entre les deux opérateurs, on n’a
pas l’impression qu’en 6 ans il y ait eu une révolution dans les modes de
calcul et la tarification des services mobiles ?

En fait, si vous regardez comment les offres évoluent, vous constaterez
qu’il y a de plus en plus de promotions, de plus en plus de bonus. Certes,
le prix de référence à la minute ne change pas beaucoup, mais en donnant des
bonus à ceux qui consomment, cela fait baisser les prix pour ceux qui
consomment beaucoup. Ce qui fait que, si vous regardez l’évolution des prix
moyens à la minute au cours des dernières années, vous verrez que ça baisse
globalement de plus de 50%.

Notre logique commerciale, c’est de faire en sorte que ceux qui
consomment beaucoup paient moins cher que ceux qui consomment moins.

Par exemple, on a mis une offre de 1,5 dinar pour 100 sms, ce qui donne
un sms à 15 millimes, il n’y a pas un endroit en France où un sms coûte
moins cher qu’ici.

C’est ça qu’il faudrait analyser. Alors, quand les gens disent que le
prix ne baisse pas, c’est faux, car les prix ne baissent pas de façon
égalitaire pour tout le monde, les prix évoluent en fonction de la
consommation ; c’est ce que j’essaie d’expliquer à tout le monde, y compris
au législateur.

Pourquoi ne pas passer à la facturation à la seconde ?

En fait, si on passait à la facturation par palier à la seconde pour le
prépayé –qui représente 98% de notre clientèle-, on aurait eu tellement
d’appels qui sont très courts que le système ne tiendrait pas la charge.
Donc, passer brusquement à la facturation à la seconde pour le prépayé, cela
engendrerait des coûts relativement énormes, pas seulement financiers mais
de capacité du système. Mais les choses vont évoluer petit à petit.

Comment gère-t-on au quotidien une entreprise comme Tunisiana avec ses
1.500 personnes, surtout qu’on parle en ce moment de tensions sociales, de
problèmes avec le syndicat et de problèmes de relation avec la direction de
l’entreprise ?

Je commence par la dernière partie de votre question. Voyez-vous, pour
moi ce qui a été dit et/ou écrit sur cette soi-disant affaire avec le
syndicat, c’est à la limite diffamatoire. A partir de là, à la question de
savoir s’il y a des tensions au sein de l’entreprise, je réponds que non.

Donc pas de tensions sociales ?

Pour moi il n’y a pas de tensions sociales. D’ailleurs, si l’on regarde
Tunisiana en termes de gestion des employés, on est parmi les compagnies qui
traitent le mieux ses employés en termes de salaire, de couverture sociale,
de conditions de travail… Enfin, tous les bénéfices qu’il y a autour.
Maintenant qu’il y ait des insatisfaits, je le comprends, et si vous
demandez aux 1.500 employés de l’entreprise s’ils sont contents de leur
salaire, ils vous répondront que non, parce que chaque salarié espère
toujours en gagner plus. Donc, à mon avis, il n’y a pas de malaise social au
sein de l’entreprise.

Ceci m’amène à la première partie de votre question. Je dois dire que
notre management est un management convivial mais exigeant ; ce n’est pas
autocratique, mais on est exigeant sur le plan travail, sur les
performances, sur la qualité de travail et de service qui est fait… parce
que cette exigence sera mise au bénéfice des clients.

Je reviens sur le problème avec le syndicat. En fait, je n’ai pas de
problème avec le syndicat, mais j’ai eu un problème avec la présidente du
syndicat, ce qui est totalement différent. Alors, on a transformé ce
problème de personnes en problème avec une institution, ce qui est
complètement faux.

Ca ne vous inquiète pas outre mesure…

Non, ça ne m’inquiète pas, même si j’aurais souhaité ne pas avoir ce
genre de problème. Le point de départ de tout ça, c’est qu’il y avait des
gens qui avaient consulté des données personnelles de leurs collègues ou
celles de leurs voisins. Pour moi, s’il y a un point sur lequel je suis très
strict, c’est l’éthique. On manipule des données extrêmement sensibles,
notamment des données personnelles des clients ou des collègues, autrement
dit on rentre dans la vie personnelle des gens, alors on se doit d’être
d’une confidentialité exemplaire.

Les actionnaires et la direction de l’entreprise sont-ils satisfaits de
l’évolution des résultats de l’entreprise, de sa part de marché ?

Eh bien, s’ils n’étaient pas satisfaits, ce serait très difficile à
gérer… (Rire). Effectivement, je pense que Tunisiana, en tant que compagnie
mobile, est une réussite sur le marché. Vous savez, un opérateur qui prend,
en seulement six années d’existence, 50% de part de marché, il faut avouer
que c’est une belle réussite.

Sur le plan financier…

Sur le plan financier, on est largement au-dessus des plans initiaux, par
rapport à ce qu’attendaient les actionnaires.