M. Amir Turki, PDG du Consortium InterCAUDE : «Une expérience très enrichissante et jusque là positive»


Propos recueillis par Ghada Kammoun


intercaude1.jpgCela
fait bientôt six mois que le premier Consortium d’Architectes et
d’Ingénieurs tunisiens baptisé «InterCAUDE » (International Consortium of
Architecture, Urban Design and Engineering) a vu le jour.


 


La «mondialisation», ce concept qui ne cesse
d’envahir la vie des personnes et des nations, nous a imposé un nouveau
rythme de travail ; ainsi, de nouvelles méthodes d’opérer deviennent
inévitables. 


 


Les membres d’InterCAUDE étant parfaitement
conscients de ce que cette nouvelle donne impose comme règles de jeu ont
décidé, après une longue et profonde connaissance qui les a unis, de réunir
leurs forces et expériences et donner le jour à cette nouvelle alliance…


 


Au cours du dernier atelier de formation organisé
par le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des PME et celui du
Commerce et de l’Artisanat sur la méthodologie de constitution des
consortiums, le jeudi 15 mai 2008 à Tunis, bon nombre de consortiums,
tunisiens et étrangers, ont témoigné de leurs expériences dont «InterCAUDE».


 


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M.
Amir Turki, Président Directeur Général d’InterCAUDE, nous présente dans
cette interview de plus amples informations sur ce groupement récemment né. 


 

 


«InterCAUDE» existe depuis presque six mois, à
quand remonte l’idée du consortium?

 

L’idée n’est pas nouvelle. Je faisais partie, avec
quelques autres architectes et ingénieurs, d’un premier noyau de consortium,
cela fait déjà une bonne dizaine d’années. Après quelques réunions, nous
avons abandonné cette idée, parce que c’était encore trop flou. Ce même flou
était probablement la raison de l’échec dudit consortium.

Il faut dire qu’un noyau a quand même essayé de
terminer l’expérience mais ça n’a, malheureusement, pas réussi.

 

Déjà l’association à deux pose parfois problème,
encore plus à trois, alors que dire d’un consortium où il y a une dizaine de
personnes ou de bureaux.

 

Franchement, à cette époque là, nous avons senti
que nous n’étions pas encore prêts à affronter une telle expérience.

 

Ceci étant, l’idée a toujours persisté dans
l’esprit de la majorité d’entre nous.

Mais je tiens à dire que le fait de créer un
groupement ou un consortium n’est pas une fin en soit, c’est un outil.

 


Qu’est-ce qui vous a amené à penser à la création
de ce consortium ?

 

Il faut dire que la conjoncture internationale a,
en quelque sorte, imposé ce choix : depuis quelque temps, on parle de la
mondialisation, on parle de l’ouverture des frontières, donc
systématiquement le singulier, l’électron libre n’a plus aucune chance
d’exister. Quand on s’attaque à des petits et moyens projets du marché
local, nos chances restent intactes et l’accès à la commande demeure
possible.

 

Mais quand on s’affronte à des mégaprojets à
l’échelle internationale, ou quand on s’attaque à des projets à l’extérieur,
nos structures actuelles ou le fait d’être juste un bureau ou un architecte
ça discrédite en quelque sorte même si on a le talent le plus important du
monde ; de ce fait, les possibilités se réduisent et automatiquement nos
chances seront compromises : les concours et les appels d’offres
internationaux, ce n’est pas de la tarte, il faut être techniquement
compétitif et commercialement agressif.

 

Maintenant, on trouve déjà des consortiums dans
tous les domaines. Quand on s’affronte au marché méditerranéen ou au marché
international, il y a plusieurs domaines là où on ne peut pas s’attaquer à
de grands projets tant qu’on est seul.

 

Nos actions ont, en quelque sorte, devancé même la
création de notre consortium, parce que l’idée germait en quelque sorte mais
nous avons tout simplement un peu accéléré sa concrétisation et c’est bien
parfois de travailler sous pression.

 

On a toujours tendance à faire les choses
lentement, on n’est pas comme les Américains ou les Européens, et on n’est
pas non plus comme le reste des Africains, on est toujours juste au milieu.

 

Mais quand même, aujourd’hui, nous ne pouvons plus
nous situer par rapport aux plus lents ou aux plus pauvres, il faut mettre
la barre très haute donc systématiquement on a passé à la vitesse supérieure
et on a créé le consortium.

 

Aujourd’hui, les commanditaires, les décideurs que
se soit publiques ou privés, savent bien ce qu’ils veulent et exigent la
qualité, cette qualité ne peut être offerte que quand on est solide,
compétent et disponible. 

 


Qu’est-ce qui fait qu’avant, vous n’étiez pas prêt
à créer ce consortium, alors qu’aujourd’hui vous l’êtes ?


 

Parce qu’avant le consortium était conçu de telle
façon, comme si c’est un dédoublement de personnalité : c’est-à-dire un
architecte s’associe avec 2, 3, 4, 5, 6 architectes pour faire la même
chose. Dans ce sens on ne pouvait pas réussir, tout comme les Ingénieurs
c’est la même chose. Par contre quand nous prenons des Architectes de
profils plus ou moins différents et complémentaires et que nous prenons des
Bureaux d’études pluridisciplinaires ou des Ingénieurs qui sont tout à fait
complémentaires (de structure, de fluides, d’électricité…), ceci ne peut
être que bénéfique et très important pour nous tous et pour notre groupement
par voie de conséquent.

 


Comment est composé «InterCaude» ?


 

Notre consortium est un groupementde 3 bureaux regroupant 5 architectes-urbanistes d’expérience
variant de 7 à 27 ans : MM. Mouldi Chaabani, Omar Bouden, Mohamed
Chikhrouhou, Mohamed Ali Tayech et moi-même, ainsi que de 2 bureaux
pluridisciplinaires d’études techniques et de pilotage, regroupant plusieurs
ingénieurs expérimentés, soient Med Consulting et EPR (Etude Pilotage et
Réalisation).

 

Donc le consortium est composé de 7 actionnaires,
de 7 membres : 2 Bureaux d’études pluridisciplinaires et 5 architectes.

 

2008, c’est l’année de l’ouverture des frontières
et on a pensé à nous mettre au diapason. La création réelle avec toutes les
pièces juridiques a eu lieu le 12 décembre 2007. Bien
sûr, nous avons commencé le référencement par rapport aux autorités et par
rapport aux structures concernées comme le FAMEX où on a déposé notre plan
d’exportation pour subvention qui a été approuvé.

 


Le relationnel a -d’après ce que nous avons
compris- une influence très positive sur le bon déroulement du travail au
sein de votre consortium…

 

Certainement oui. Comme je vous ai déjà dit,
l’idée en soit existait déjà, le groupe aussi. On a eu la chance de
travailler ensemble, et ce depuis l’an 2000, mais nos relations remontent à
plus.

Les architectes, nous nous connaissons que ce soit
de l’école de l’architecture ou professionnellement. Il y a des liens
d’amitié très forts qui existent entre nous. C’est une équipe rodée sur le
plan humain et sur le plan professionnel. Pour les bureaux d’études aussi,
beaucoup de projets nous ont déjà réunis. Nous nous connaissons très bien et
nous étions donc directement opérationnels, comme cela était quand le Cepex
a co-organisé le salon international des services à l’exportation en Libye
(en 2007) et auquel nous avons brillamment participé. C’est une
manifestation très importante. La présence tunisienne était très importante
et je pense que nous étions parmi les bureaux et les sociétés qui ont honoré
notre secteur.

 

Après cette participation, on s’est attaqué à un
concours international en Algérie, un concours qui porte vraiment la
dimension internationale. Il y avait des Canadiens, Français, Américains,
Allemands, Espagnoles, Egyptiens, Algériens, Libanais et autres.

 

Un projet de 300.000 m2 couvert (la création d’une
ville universitaire) ne peut pas se faire dans un seul bureau ou par une
seule personne, quelle que soit sa qualification.

Mais en étant un groupement, la mission devient
possible. Même notre groupement s’est allié avec d’autres personnes très
importantes dans le domaine de l’architecture pour pouvoir affronter un
projet pareil. Si c’était un seul architecte, il lui faudrait minimum un an,
voir plus, pour faire le projet, alors que pour notre cas, ça s’est fait en
moins de deux mois.  

 

Je pense que le consortium c’est déjà un rêve qui
se réalise, cependant, il n’est pas suffisant, ce n’est pas une fin en soit
mais aujourd’hui il nous permet d’entrevoir de nouveaux horizons.

 


Où en est votre prospection des marchés ?


 

Depuis la création du consortium en décembre 2007,
nous avons commencé la prospection. Maintenant, nous sommes à notre
troisième mission de prospection et la quatrième sera pour bientôt.

 

La première c’était en Libye, à Tripoli en
décembre 2007 ; la deuxième et la troisième étaient plus ou moins jumelées,
c’était à Bamako au Mali et à Abidjan en Côte d’Ivoire au mois d’avril 2008.
Début juin 2008, précisément les 3 et le 4 juin, nous avons assuré une autre
mission de prospection à Nouakchott en Mauritanie.

 

C’est vrai que notre expérience est plus ou moins
embryonnaire, sur le plan juridique et pratique ; cependant,
professionnellement, nous avons un CV très riche et très développé, et c’est
ce qui nous a permis d’être assez agressifs commercialement quand on a été
au Mali ou en Côte d’Ivoire. Agressifs, dans le sens où la concurrence
internationale ne nous fait pas peur. Nous avons des potentialités, nous
avons des compétences, nous avons présenté notre CV graphique et ça nous a
permis d’attirer pratiquement toute l’attention vers nous. Ça nous a permis
de nouer des alliances avec des partenaires, de signer quelques conventions
de partenariat, de signer également quelques protocoles d’accord avec des
promoteurs, avec des opérateurs principalement privés mais également avec l’Etat.
C’est à la fois des alliances stratégiques, dans le sens où nous avons signé
quelques conventions de partenariat avec nos homologues africains, c’est
important, parce que pour les projets en Afrique, on ne peut pas voyager
tous les jours, on ne peut pas assurer un parfait pilotage ou un suivi au
quotidien, sur ce plan là, nous sommes presque obligés à s’associer avec des
groupements sur place, qui seront nos partenaires en amont et en aval. Ils
vont nous donner des idées sur le marché africain, sur les caractéristiques
de leur architecture, sur leurs techniques de construction, etc.

 

Nous allons, quant à nous, certainement apporter
nos compétences techniques pour la conception des projets. Après, il y a
automatiquement la phase de suivi où notre présence pourrait être
périodique, sauf que parfois nous avons besoin d’un pilotage, d’un suivi
très collé au projet et ça sera assuré par nos homologues africains sur
place.

 

Donc au cours de ces missions, nous n’avons pas
cherché uniquement des clients potentiels mais aussi des partenaires
stratégiques.

 

Notre consortium est pour le moment un consortium
tuniso-tunisien, dans le sens où tous les membres sont des Tunisiens, mais
qui est appelé à faire des partenariats avec plusieurs autres consortiums et
groupements dans d’autres pays. Cette fois-ci, nous avons entamé le marché
de l’Afrique sub-saharienne, il faut dire que là il n’y a pas un seul pays,
il y a plusieurs pays et les frontières sont beaucoup plus faciles, beaucoup
plus ouvertes que chez nous, il faut le reconnaître.

 


Quels sont vos principaux marchés cibles ?


 

C’est essentiellement les pays du Maghreb et ceux
de l’Afrique subsaharienne. Il faut dire que c’est très difficile pour qu’un
groupement tunisien ait une place par exemple en Egypte, un pays de 80
millions d’habitants où il y a l’une des plus grandes concentrations
d’architectes au monde (près de 100.000 architectes). En Tunisie, nous
sommes 2.000 architectes, entre secteur privé, secteur public, enseignants,
employés et chômeurs… L’Egypte est donc un marché tout à fait saturé, tout
comme d’autres pays.

 

L’Algérie, par contre c’est un marché où il y a
plusieurs Architectes mais qui n’ont pas l’expérience de la production. Pour
le secteur de la promotion immobilière en Algérie, il y a quelques petites
années où on a commencé à donner à des promoteurs privés la possibilité de
construire des projets d’habitat, alors que c’était depuis des dizaines
d’années pris par l’Etat.

 

Donc pour récapituler, nous visons la Libye,
l’Algérie, puis il y a la Mauritanie, là où nous devrons avoir notre place.
Sinon, c’est l’Afrique subsaharienne, en premier temps.  

 


Au cours du dernier atelier de formation, sur la
méthodologie de constitution de consortium, tenu le 15 mai 2008 à Tunis,
vous avez témoigné de votre expérience et vous avez certainement tiré profit
de celles des autres…


 

Oui, tout à fait. C’est très important d’avoir une
idée sur ce qui se passe ailleurs. Nous avons assisté au séminaire
sur «la mise à niveau des entreprises : un outil de développement de la
compétitivité» tenu le 14 mai 2008 et à l’atelier
de formation du 15 mai 2008, sur la méthodologie de constitution de
consortium.

 

Il y avait des Espagnoles, des Italiens, des
Français, des Marocains, qui nous ont fait part de leurs expériences. Le
concept du consortium n’est pas un concept tout à fait récent, sauf que
l’expérience en Tunisie n’est pas très développée.

 

Ce séminaire s’insère parfaitement dans cette
vision de la Tunisie de s’ouvrir sur l’extérieur et de permettre aux
Tunisiens d’avoir une place dans ce monde.

 


Après 6 mois d’activité, comment avez-vous trouvé
cette expérience ?


 

Très enrichissante et jusque là positive. Nous
trouvons tous nos comptes dans cette expérience et pas forcément des comptes
exprimés en dinars, dollars ou euros uniquement.

 

Je tiens à préciser que le consortium est un
groupement de structures qui fonctionnent déjà, ça diffère de la création
d’une société ou d’une association dans l’absolu.
Chacun d’entre nous a son bureau, il a sa
structure qui fonctionne normalement, mais tout simplement lorsqu’il y a un
projet de grande envergure on s’y met tous ensemble.

 

Il y a une chose très importante qui se crée,
c’est la synergie du groupe : par exemple, personnellement je connais
beaucoup d’Architectes et d’Ingénieurs, quand j’aurais la chance de
m’associer dans un projet avec quelqu’un, je le ferai avec ceux qui
appartiennent au consortium, la même chose pour tous les membres d’ailleurs.

 

Nous essayons de présenter un excellent travail
qui nous honore tous.

Mais il faut aussi que cette structure soit
pérenne, durable. La pérennité d’une structure ne se crée pas par un seul
projet mais par le fait que les composantes de cette structure soient à
l’aise et travaillent en étroite collaboration. Les consortiums dans
l’absolu, ce n’est pas des créations qui sont faites pour un projet, ce
n’est pas un phénomène ponctuel, ce sont des alliances stratégiques faites
pour une durée minimales de trois ans, parce qu’on ne peut pas commencer à
récolter le fruit de cette alliance là en moins de trois ans.