Les services à garder en service !

Par Khaled BOUMIZA

 

Révolu le
temps où on l’appelait, presque dédaigneusement, le secteur tertiaire !
C’est désormais, le secteur de tous les espoirs et sur lequel on compte pour
booster les exportations, l’un des moteurs de la croissance tunisienne.
Panorama.

 

Le
secteur des services représente (chiffre 2003) actuellement 60% du PIB,
emploie environ 53% de la population active (contre 33,9% pour les
industries manufacturières) et sa valeur ajoutée devrait observer une
croissance de 7,5% par an, soit un rythme plus élevé que celui du PIB. Hors
tourisme, il a exporté 4.331,4 MDT, un chiffre en progression de 21,5% par
rapport à 2002, un montant d’investissements de 4.123 MDT représentant 52%
du total des investissements et a drainé 424 MDT en investissements directs
étrangers.

Faire prendre conscience de la
menace et préparer les négociations

D’après les derniers chiffres de la Banque Centrale de Tunisie (Rapport
annuel 2003), les services marchands ont consolidé leur croissance en 2003
qui s’est située à 6,3% en termes réels contre 3,7% l’année précédente,
suite à la reprise des secteurs des transports et du tourisme et à
l’expansion soutenue de celui des communications. Leur contribution à la
croissance économique globale a ainsi atteint 2,4 points de pourcentage ou
environ 44%. Parallèlement, les investissements engagés dans les services
ont continué à croître, même si à un rythme moins rapide qu’en 2002, soit 2%
contre 4,9%, pour totaliser 3.993 MDT ou 53,1% du total de la formation
brute de capital fixe.

 

Un
secteur cependant, encore fragile et désormais «sous menace» de
mondialisation (encore un autre après celui du textile et le démantèlement
des AMF). On l’a beaucoup retardée chez les Etats membres de l’OMC
(Organisation mondiale du commerce), mais les négociations pour sa
libéralisation débuteront au cours de l’année 2005, dont le mois de mai est
la date butoir pour présenter les listes d’engagements, ou les listes des
activités que chaque pays accepte d’ouvrir à la concurrence étrangère et
donc à l’investissement étranger aussi.

La conscience de ce «danger», n’est pas encore totale, ni unanime, chez tous
les opérateurs. Même si dans l’ensemble, les professionnels des services
sont conscients que le processus de libéralisation est inéluctable, il en
existe qui pensent que la libéralisation devrait être accélérée afin de
permettre la libre circulation des personnes et l’accès à de nouveaux
marchés et d’autres qui craignent que les conditions dans lesquels certains
services évoluent actuellement, ne soient de nature à handicaper les
opérateurs tunisiens, et privilégieraient l’implantation d’entreprises à
capitaux étrangers au détriment des opérateurs locaux comme le souligne
Mondher Khanfir, l’un des experts de l’UTICA qui ont présenté les études
présentées à la journée d’étude et de sensibilisation, tenu mardi 14
décembre par le patronat tunisien. La journée sert aussi, sans aucun doute,
à préparer les négociations et à y faire entendre la voix des hommes
d’affaires et du secteur privé.

Où en est la Tunisie de la
libéralisation des services ?

On aurait tendance, en parlant de ce secteur et des négociations à venir, et
après certaines affaires comme celles relative à l’avortement de
l’implantation d’une marque américaine de restaurant, que le secteur des
services est encore «fermé». Qu’en est-il au juste ?

Comme 95 autres pays, à la conclusion du cycle d’Uruguay, la Tunisie a
soumis une liste d’engagements spécifiques qui contient un certain nombre
d’engagements horizontaux, d’autres sous la rubrique des services financiers
(banques et assurances) et deux engagements sous la rubrique de services
relatifs au tourisme, avec notamment la restauration, les agences de voyages
et au secteur des télécommunication.

 

Cette
liste représente en fait, les activités de services qui seront ouverts ou
libéralisés. «Dans sa liste de 1994, la Tunisie avait inclus peu
d’engagements, 160 au total, soit 13% seulement des 1240 offres théoriques
contenues dans le GATS » commente Mondher Khanfir, l’un des experts de
l’UTICA qui ont présenté les études présentées à cette journée. «De plus,
l’indication «non consolidé», qui autorise un retour en arrière dans les
engagements, est spécifiée dans pas moins de 80 de ses 160 offres, ce qui
veut dire que seule la moitié des offres tunisiennes de 1994 constituent de
véritables engagements fermes. Parmi ces 80 engagements, 58 contiennent la
mention «néant», indiquant l’absence de limitations ou de restrictions
imposées aux fournisseurs de services étrangers en matière d’accès aux
marchés ou de traitement national» ajoute encore M. Khanfir.

 

Ce qui
fait que seules 34 offres figurant sur la liste des engagements spécifiques
de 1994 représentent des engagements de libéralisation totale dans le sens
où ces engagements garantissent aux fournisseurs de services étrangers un
accès sans conditions ni limitations pour une activité de services donnée
(c’est à dire les cas où la mention «néant» figure à la fois dans la colonne
de l’accès aux marchés et celle du traitement national pour un sous-secteur
de services et un mode de fourniture donné). Ces 34 offres représentent 2,8%
de l’ensemble des offres possibles, une proportion extrêmement faible qui
indique que la liste de la Tunisie contient un très faible engagement pour
une libéralisation totale. En définitive, la Tunisie ne garantie aux
fournisseurs de services étrangers une libéralisation totale d’une ou
plusieurs activités que pour neuf (09) sous-secteurs de services (sur un
maximum de 155). En résumé, la liste d’engagements spécifiques soumise par
la Tunisie en 1994 reflète un degré minime d’engagement par rapport à son
niveau de libéralisation réelle.

Ceux qui détournent la loi et une
loi qui n’est pas claire !

Le décret-loi n°94/492 du Code des Incitations à l’Investissement , est
pointé du doigt par les professionnels comme acte de libéralisation
unilatéral. Il permet en effet à certains étrangers de s’installer et
d’exercer librement une activité de services. Il permettrait ainsi, aux
dires des experts du patronat, de «détourner les dispositions du décret loi
n°14 datant de 1961 régissant l’exercice du commerce par des étrangers en
Tunisie». M.Mondher Khanfir en démonte le mécanisme. Cela consiste, selon
lui, à créer une société dont l’activité est prévue par le décret n°94/492
en procédant au dépôt d’une déclaration auprès de l’API (sous la rubrique
assistance et études techniques par exemple). Ensuite, ladite société
procède, en association avec un partenaire tunisien, à la création d’une
société commerciale ayant pour objet l’importation et la vente de matériel
en Tunisie. Les bénéfices éventuels pouvant même transiter par la société
régie par le code d’incitation aux investissements. Ainsi, ces étrangers
échappent à la procédure relative à l’obtention de la carte de commerçant.

Certains étrangers, comme n’a cessé de le crier M.Lassaad Dhaouadi, un autre
représentant du patronat tunisien, déposeraient des déclarations
d’investissement auprès de l’API sous les titres prévus par ledit décret,
alors qu’ils sont en train d’exercer illégalement des activités
réglementées, telles que le transitaire, le commissionnaire en douane, les
transporteurs ou les agents maritimes. «Ainsi, des entreprises seraient
entrain de violer les dispositions de plusieurs restrictions horizontales,
dont celle limitant le nombre d’employés étrangers à quatre par entreprise
et font perdre au trésor public la retenue à la source sur salaire» note M.
Khanfir.

Des discussions avec des responsables du ministère du commerce pour savoir
si certaines de ces activités sont libres ? La réponse n’a jamais été
claire, d’autant que certaines de ces activités, ne sont pas encore
totalement réglementées.

«Jouez sur les niches et ne cherchez
pas les chimères»

En attendant, les Tunisiens s’organisent et se préparent aux négociations.
Dans son allocution d’ouverture, le ministre du commerce et de l’artisanat
M. Mondher Znaïdi, balise et précise que «la libéralisation ne signifie pas
l’annulation des réglementations» et insiste sur le caractère progressif de
cette libéralisation, ainsi que sur des préalables de la réglementation, de
la mise à niveau et le souci de préserver les acquis et de les développer.
Le Président du patronat tunisien, M.Hédi Djilani abonde dans ce sens et
insiste sur la «refonte des réglementations régissant le secteur des
services pour l’adapter et aux réglementations mondiales et à l’évolution
rapide que connaît ce secteur dans d’autres pays». Il demande aussi «une
plus grande implication des professionnels dans la préparation des
négociations» et prévient que «à moins de nous organiser, cette situation
risque d’exposer ce secteur à une concurrence incontrôlable» en évoquant les
demandes, américaine et européenne d’une ouverture quasi-totale.

Dans les documents distribués lors de ce séminaires, on lit que «les
professionnels réclament la constitution d’un Conseil Supérieur des
Services, jouissant d’une certaine indépendance, regroupant les
professionnels des services et les ministères de tutelle, et qui aura pour
mission la définition de stratégies sectorielles dans un contexte marqué par
la mondialisation, le développement et la mise à niveau du secteur des
services, ainsi que la préparation et la participation aux négociations au
sein de l’OMC ».

Plus pragmatique, Jean Marc Fortin, expert auprès de l’OMC, conseillera les
Tunisiens de «jouer sur les niches de marchés et de ne pas chercher les
chimères». «La formation est un atout en Tunisie et c’est un plus sur lequel
vous pouvez jouer», conseille-t-il en exemple !

 

 

15 – 12 – 2004 ::
07:00

 ©webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies
– Magazine en ligne