Tunisie – Développement économique : Le Cercle Kheireddine appelle l’Etat à garder la main

relance-economique-tunisie-wmc.jpgFaire converger les régions est une affaire de politique publique volontariste. Et, de réallocation avisée de l’investissement public. Celui-ci n’ira plus dans le productif mais dans l’environnement de l’entreprise. C’est une indication de cap de bonne fortune. Et, de bonne espérance?

Rarement gouvernement se sera auto-piégé pour raison de déficit de communication. Le gouvernement n’est pas prolixe et son mutisme n’est pas payant. Ajouter qu’en fait de développement régional, à titre d’exemple, ses résultats ne sont pas tout à fait parlants. Faut-il préciser que les régions sont de véritables poudrières et qu’elles attendent une inflexion significative.

Dans ce climat d’expectative ambiante, les think tank du pays se mettent en état d’effervescence pour proposer du prêt-à-conseiller. Dernier en date, le Cercle Kheireddine, a réalisé,  samedi 5 mars, une consultation, avec membres et sympathisants, à l’effet de réfléchir sur la manière de hâter le déclic en matière d’emploi et d’investissement dans les régions. Ce format est inédit, car sitôt cet effort de “Crowd advisoring“ terminé, les recommandations ont été câblées aux ministres concernés. Le Cercle se met en posture de “shadow cabinet“. Il s’agit bien, on l’aura compris, d’un élan citoyen et d’une démarche patriotique.

L’état des lieux : Une Tunisie à deux vitesses

La géographie économique de la Tunisie est désolante. D’un côté, le littoral, et au fond, l’intérieur du pays. Et on peut même parler d’un arc de littoral car la partie dynamique commence à Bizerte et finit à Sfax. Il y a une Tunisie de façade et une Tunisie d’en bas. Cela nourrit bien des ressentiments. Il est courant d’entendre dire que les régions ont vu leurs richesses naturelles et leurs ressources humaines siphonnées par le littoral et le Centre côtier. Quoi de plus normal que le sentiment d’injustice face à un déséquilibre flagrant créant une telle disparité spatiale et matérielle.

Certains iront jusqu’à dire qu’au bout du compte, l’Etat de l’indépendance n’a fait que reproduire le schéma du pouvoir colonial. Des régions entières, pourtant bien nanties, se dépeuplent. N’y restent que les deux extrémités de la pyramide des âges, et le gros du bataillon déserte à la recherche du travail. Et en se dépeuplant, elles se désarticulent. L’agriculture est abandonnée et les entreprises industrielles boudent ces régions.

Les vieux et les ados n’ont aucune emprise sur la chaîne de création de valeurs et de richesses et accentuent l’état de dépendance de ces zones.

Voir dans la migration une prédisposition à la mobilité du travail, c’est une façon poétique de regarder la réalité, il faut bien en convenir. Le sabordage démographique plombe encore les chances du redéploiement de ces contrées.

Et en face, les villes côtières, prédatrices, baignent dans l’irrationalité. Elles ont grandi trop vite, du fait, dit-on, de la mondialisation qui privilégie l’export favorisant les villes portuaires. N’étant pas maîtresses de leur expansion, elles se retrouvent, avec un aménagement anarchique et une infrastructure saturée, impuissantes à se muer en pôles de développement.

On ne peut pas dire que le maillage économique du pays soit optimisé ni qu’il soit générateur d’une dynamique d’ensemble. Avec lyrisme on peut tenter de se consoler en voyant que la Tunisie est le pays le plus urbanisé du Maghreb avec 70% de la population qui réside dans les villes. Cependant, si rien n’est fait, pour contrer le phénomène, on peut dans 20 ans se retrouver avec un partage à 80%/20%, ce qui serait intenable. Comment en sommes-nous arrivés là?

L’audit des politiques passées

Il n’y a pas eu processus programmé de marginalisation des régions, mais c’est tout comme. La politique publique en matière de développement régional n’a pas brillé par sa cohérence ni même par son efficacité. Sur les 20 dernières années, les 14 gouvernorats les plus pauvres ont reçu 20 milliards de dinars. Mais l’essentiel de ces investissements sont allés vers l’infrastructure et le social. Il faut reconnaître que cela n’a pas suffi à niveler les disparités. A titre d’exemple, le gouvernorat de Kasserine a reçu deux fois plus d’investissements publics par tête d’habitant que le gouvernorat de Monastir. Ce dernier, plus attractif, a en revanche accueilli quatre fois plus d’investissements privés. On peut spéculer à l’infini sur l’aiguillage, discret mais forcé, de l’investissement privé. Il y a bien eu un effort de favoritisme et de téléguidage de l’investissement privé mais cela n’explique pas tout.

Cependant, il faut finir par admettre que l’attractivité d’un site, en soi, est une donnée réelle. L’ennui est que dans son élan de volontarisme, l’Etat s’est comporté comme un investisseur privé. Ses investissements productifs ne sont pas allés là où ils peuvent générer une dynamique mais là où ils peuvent être rentables. Tout est à revoir et un schéma directeur peut être trouvé.

Comment impulser l’investissement et l’emploi

Sans se perdre dans les détails, c’est l’Etat qui tient la solution. Un nouveau souffle de volontarisme public est nécessaire. C’est l’Etat qui doit envoyer un signal fort. Il doit se mettre en intelligence avec le secteur privé, pour le préparer à changer la donne. Cette fois l’Etat est appelé à investir non plus dans le productif mais dans l’environnement de l’entreprise. Quitte à défalquer le Titre II du budget en deux catégories de sorte à individualiser les dépenses d’infrastructure et celles novatrices destinées à relever l’environnement de l’entreprise.

La démarche est recevable, cela ne fait pas de doute. Et la réallocation des ressources serait opportune. Et, pourquoi ne pas jouer la carte de la discrimination positive au maximum? Des incitations à-tout-va et un déplafonnement des salaires, autant d’effets d’appel pour créer une prime à la délocalisation autant pour les entreprises que pour les individus.

Il s’agit de restaurer l’attractivité des régions et de relever leurs capacités productives. Du pain et des jeux, pour faire court. C’est-à-dire des zones industrielles et des espaces de culture, de loisir et de divertissement. Il semble que les villes de l’intérieur s’y prêtent bien. Kairouan, Kasserine, Gabès et Jendouba ont fait le saut salvateur. Avec des populations voisines de 100.000 habitants et une certaine infrastructure, elles ont acquis cette taille critique qui les prédispose à devenir des pôles de développement.

Des propositions pertinentes et quelques lacunes

Le Cercle sait faire vite sans tourner en rond. Ses recommandations sont d’ordre méthodologique. Le Cercle a mobilisé le plus large spectre de sensibilités et d’expertises. Quadras et Nonas ont donné le meilleur d’eux-mêmes. La Tunisie dans son infinie diversité était là et a répondu présent à l’appel. Cet agora vient souligner le trait d’exception de la Tunisie que Jean Daniel présentait comme “Cette autre Grèce“. Ce quick business plan est utile.

On regrette toutefois que le Cercle reste fermé. Il n’a pas tenu compte du plan ATLAS suggéré par l’IACE. Ce dernier dit notamment qu’il faut toujours donner de l’aire aux régions et envisager de les préparer à se raccorder à leurs prolongements transfrontaliers. Il n’a pas pris en considération l’appel conjoint du Forum du Futur et de l’ASECTU qui plaident ensemble pour un investissement capitalistique, seul capable d’offrir des emplois de qualité pour les diplômés du supérieur.

Comment ne pas envisager la promotion de la finance alternative au secours des promoteurs dans ces régions? Ne pas insister sur l’effet d’appel en direction des IDE et négliger l’orientation SMART CITIES qu’il faudra donner à ces villes pour doper leur attractivité pour cette catégorie d’opérateurs est de notre point de vue une lacune. Et, pourquoi ne pas envisager de transférer le pouvoir de planification aux régions? Ce serait une façon de les aider à s’émanciper et à se prendre en mains.