Qui investira en Tunisie?

capital-invest-680.jpgLe rapport des Nations unies pour 2013 sur l’investissement dans le monde montre que la reprise de l’investissement tarde à se confirmer en raison de la fragilité économique et des politiques incertaines. Selon le rapport, les pays en développement sont à l’origine d’un tiers des sorties des investissements avec un rythme ascendant et régulier. Dans ce contexte, la Tunisie comme plusieurs pays africains fait face à nombreux défis liés notamment à l’orientation industrielle des politiques d’investissement et le développement d’un commerce international régi par les chaînes de valeur mondiales.

Sur ce plan, les investissements directs étrangers (IDE) ont atteint, dans notre pays, fin décembre 2013, un encours de 18,47 milliards de dinars. Cependant, en termes de flux, ceux-ci ne cessent de se dégrader suite, essentiellement, à la baisse de la réalisation des opérations de création et d’extension et au décroissement de l’investissement déclaré dans l’industrie qui a atteint 19,1% à fin juillet 2014.

Dans les jours qui viennent, une conférence internationale sur le thème «Investir en Tunisie: start-up democracy» sera organisée dans l’objectif de booster les opportunités d’investissement en Tunisie dans les secteurs de l’industrie, de l’énergie, de l’agriculture, du commerce ainsi que des nouvelles technologies afin de permettre une levée de fonds vitale pour l’économie nationale mais surtout pour rétablir la confiance des investisseurs nationaux et étrangers.

IDE : Les dilemmes de l’attractivité tunisienne

Les objectifs de la grande conférence des amis de la Tunisie voulant donner un nouvel élan à l’investissement sont très ambitieux. Néanmoins, le succès de telle rencontre dépendra largement de la qualité des projets qui seront présentés aux partenaires mais surtout de la pertinence des programmes et des objectifs qui seront exposés pour répondre aux attentes des parties prenantes à la manifestation de haute valeur.

Toutefois, on constate aujourd’hui un déficit flagrant de communication au sujet de l’événement, dans son ensemble, notamment en ce qui concerne les détails de l’organisation, le contenu des travaux des commissions de préparation et le choix du timing de l’évènement.

“On constate aujourd’hui un déficit flagrant de communication au sujet de l’événement, dans son ensemble…“.

Attirer les IDE est depuis longtemps un objectif incontournable des autorités tunisiennes. En dépit des modifications apportées durant des décennies aux différentes lois sur l’investissement étranger, il est possible de trouver un certain nombre d’objectifs constants qui s’articulent autour du renforcement des exportations, la création d’emplois, le transfert de la technologie, la participation à un aménagement plus harmonieux du territoire et la contribution au développement industriel.

Pour obtenir ces résultats, un régime d’incitations réglementaires a été établi, spécialement pour les investissements au statut de «points francs» tournés vers l’exportation. Il a été considéré par plusieurs spécialistes comme étant très généreux et à faible rendement pour le pays; les déductions ou exonérations brutes, à ce titre, se sont élevées en moyenne au cours des dix dernières années à 1,62 milliard de dinars.

La non adoption par la Tunisie des normes d’évaluation des stratégies d’incitations à l’IDE, mises en place par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en avril 2003, ne permet pas de juger, de manière précise, l’efficacité des programmes de l’Etat tunisien sur ce plan.

“On peut parler d’un paradoxe pour désigner l’écart entre l’effort de promotion, son ancienneté… et la création de la FIPA, et le montant actuel des IDE“

L’économie tunisienne tente de remplir la plus grande partie des conditions nécessaires pour figurer sur la liste sélective des investisseurs étrangers. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Les meilleures performances des IDE notées durant les dernières années s’expliquent presque entièrement par des opérations importantes de privatisation.

Il apparaît aussi que l’IDE, hors énergie et privatisations, est faible. C’est pourquoi il est possible de parler d’un paradoxe pour désigner l’écart entre, d’une part, l’effort de promotion, son ancienneté, son renforcement constant à travers l’adoption d’une loi sur l’investissement et la création de la FIPA et, d’autre part, le montant actuel des IDE qui, bien qu’en relative hausse par rapport au début des années 90, reste largement en deçà des potentialités du pays.

Vue globale sur l’encours des IDE entrants en Tunisie au terme de l’année 2013

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Source : Rapport des IDE 2013 et perspectives 2014 – L’Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur – FIPA-Tunisia

Les politiques nationales relatives à l’intégration économique, à la dynamisation de la compétitivité et au soutien des capacités d’innovation et de création sont largement freinées par les spécificités du climat d’investissement et du cadre institutionnel. Les mesures et les mécanismes mis en place pour promouvoir l’entreprenariat et stimuler l’initiative privée ne permettent pas de répondre aux besoins de l’économie et de s’adapter aux objectifs du développement économique.

Le système tunisien d’incitation à l’investissement repose sur une panoplie large et complexe d’impositions se référant dans leur application à plusieurs régimes (taux différenciés, diverses assiettes…) rendant le système assez confus et difficile à gérer. Le projet du nouveau dispositif de gouvernance de l’investissement souffre à son tour de plusieurs lacunes à tel point qu’il a été rejeté aussi bien par l’Assemblée constituante que quasiment par l’ensemble des acteurs économiques majeurs du pays.

“Il existe toujours un large écart entre l’évaluation régulière du rendement du cadre institutionnel par rapport aux normes internationales“.

On évoque, à cet effet, le manque de garanties aux investisseurs, l’absence de mécanismes facilitant l’accès aux marchés, la complexité persistante du système des déductions fiscales et financières, la vision équivoque de l’intégration régionale et l’absence de dispositions adéquates pour le développement des ressources humaines.

La question de l’évaluation régulière du rendement du cadre institutionnel présente toujours un large écart par rapport aux normes internationales.

Vers une nouvelle stratégie d’action pour l’investissement

Une stratégie appropriée pour l’investissement permet de le mobiliser au service d’une croissance régulière et d’un développement soutenu. La Tunisie est appelée actuellement à rétablir la prospérité et lutter efficacement contre la pauvreté. S’appuyant sur les bonnes pratiques adoptées à l’échelle internationale, le pays doit tirer profit des effets positifs économiques et sociaux des politiques d’appui à l’investissement privé, national ou international, sous ses nombreuses formes depuis les biens matériels jusqu’au capital intellectuel.

Ces effets positifs peuvent grandement contribuer au développement et à l’éradication de la pauvreté.

L’investissement augmente les capacités productives, stimule la création d’emplois et la croissance des revenus et, dans le cas de l’investissement international, permet la diffusion de l’expertise technologique et des savoir-faire.

“L’investissement augmente les capacités productives, stimule la création d’emplois et la croissance des revenus, et permet la diffusion de l’expertise technologique et des savoir-faire“

Deux éléments essentiels doivent être pris en compte par les autorités nationales pour créer un environnement propice à l’investissement: un effort constant de renforcement des politiques nationales et des institutions publiques, et la coopération internationale. Une stratégie adéquate pour appuyer l’investissement doit proposer une liste de questions importantes qui doivent être examinées pour créer un environnement favorable aux investisseurs et faire en sorte que la société, et surtout sa population pauvre, recueille davantage les fruits du développement.

Partage de la valeur ajoutée et régulation institutionnelle de l’investissement

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Source : Politiques conjoncturelles et cadre d’investissement, Jean-Pierre Malrieu, juin 2010.

A cet égard, plusieurs spécialistes et organismes internationaux œuvrent pour mettre en exergue le rôle crucial de l’investissement dans les stratégies efficaces du développement, renforcer l’environnement international et national de l’activité d’entreprise et soutenir les initiatives de promotion de la transparence et du partage approprié des missions et responsabilités entre les gouvernements, les entreprises et les autres acteurs qui réalisent les programmes de développement et de la lutte contre la pauvreté, et ce en s’appuyant sur les valeurs universelles de la démocratie et du respect des droits de l’homme, y compris les droits économiques et sociaux.

Un cadre convenable pour l’investissement se base sur la stabilité macroéconomique, la prévisibilité politique, la cohésion sociale et le respect de l’Etat de droit, conditions préalables à un développement durable. On retient, de ce fait, différents domaines d’action à la lumière d’une évaluation de l’intensité des interactions entre chacun d’eux et l’environnement de l’investissement. Les points forts des domaines en question sont inspirés des bonnes pratiques admises à l’échelle mondiale.

“Un cadre convenable pour l’investissement se base sur la stabilité macroéconomique, la prévisibilité politique, la cohésion sociale et le respect de l’Etat de droit…“

Ils couvrent des aspects principaux, à savoir la politique d’investissement, la promotion et la facilitation de l’investissement, la politique commerciale, la stratégie de la concurrence, la réglementation fiscale, le gouvernement d’entreprise, les actions en faveur d’un comportement responsable des entreprises, la mise en valeur des ressources humaines, le développement des infrastructures et du secteur financier et gouvernance publique.

D’autres questions, notamment l’environnement, l’énergie, le développement rural, l’innovation, l’entrepreneuriat féminin et la parité homme-femme, influent également sur l’environnement des entreprises.

La prochaine conférence sur les investissements en Tunisie qui est une première en son genre illustre l’enracinement des relations d’amitié et de convergence entre notre pays, la France et un grand nombre de nos partenaires stratégiques.

“Il était judicieux qu’un évènement de telle importance pour la Tunisie soit précédé par un dialogue national fédérant toutes les parties prenantes autour de la question de l’investissement“

Par ailleurs, évoquer en ce moment où le gouvernement actuel s’apprête à sortir à la fin de cette période de transition, la volonté d’asseoir un nouveau modèle économique et politique pour la dynamisation de l’investissement constitue un objectif surdimensionné compte tenu des marges de manouvre limitées des actuels gouvernants.

Il était judicieux qu’un évènement de telle importance pour la Tunisie -qui est appelée aujourd’hui et plus que jamais à s’insérer fondamentalement dans son contexte d’échange régional et mondial- soit précédé par un dialogue national fédérant toutes les parties prenantes autour de la question de l’investissement, et ce dans le but de préparer de façon minutieuse les échéances de partenariat à venir tel que l’accord d’Association de libre-échange complet et approfondi avec l’Union européenne et d’autres protocoles de coopération internationale d’importance capitale pour le pays.