Tunisie – Afrique : La conquête du marché africain, c’est un métier !

marche-afric-680.jpgAu commencement, trois constats. Le premier consiste en les campagnes de publicité menées, ces temps-ci, en Tunisie par les compagnies Turkish Airlines, Royal Air Maroc et EgyptAir, pour promouvoir, auprès des Tunisiens, leurs dessertes en direction des capitales africains.

Le second a trait à la tournée que vient d’effectuer, dans certains pays africains, le souverain marocain, Mohammed VI, à la tête d’une importante délégation d’hommes d’affaires, visite sanctionnée par la signature de juteux contrats.

Le troisième est la décision de la chaîne tunisienne El Hiwar de diffuser des documentaires sur les visites officielles qu’avait effectuées, durant les années soixante, le président Bourguiba dans plusieurs pays africains et au cours desquelles le chef d’Etat tunisien avait inauguré plusieurs succursales de banques, des centres culturels et des maisons de Tunisie.

En recoupant ces trois constats, tout Tunisien averti ne peut qu’éprouver une grande amertume, voire une grande frustration, de voir la Tunisie rater, durant presque cinq décennies, ce marché alors qu’elle avait, depuis 1966, tous les atouts pour s’y implanter avec succès.

Zoom sur les exigences de conquête d’un marché porteur .

Est-il besoin de rappeler que des pays concurrents comme la Turquie et le Maroc n’ont commencé à s’intéresser à l’Afrique que, respectivement, en 2003 et en 2000?

Les stratégies mises au point par ces deux pays pour conquérir l’Afrique se sont avérées payantes et ont abouti à des résultats spectaculaires.

En 2011, La Turquie a exporté sur ce continent pour une enveloppe de 12 milliards de dollars contre 2 milliards de dollars en 2003.

Au cours de la même année, le Maroc a vendu pour 7 milliards de dollars contre 0,4 milliard de dollars, seulement, pour la Tunisie.

Cet intérêt pour l’Afrique n’est pas fortuit. Ce marché est fort porteur dans la mesure où il a importé en 2012 pour 450 milliards de dollars. Son potentiel, selon les agences spécialisées onusiennes, est énorme. Il croît à un taux moyen de 6%, soit deux fois le taux en Afrique du Nord et trois fois dans les pays industrialisés. Il représente 12% des réserves en pétrole, 40% des mines aurifères, 80 à 90% des mines de platine et de chrome, 52% des terres arables du monde et une population jeune de 950 millions de personnes sous-équipées et au fort besoin en tous genres de produits et infrastructure.

L’exploit des Turcs et des Marocains

Pour Abdelkader Boudriga, vice-président du Cercle des financiers tunisiens et spécialiste du marché africain, la grande percée des Turcs et des Marocains a été possible à la faveur de deux facteurs: un engagement ferme des plus hautes autorités de ces pays à s’implanter, progressivement, sur ce marché et la mise à la disponibilité des hommes d’affaires (les conquérants) des moyens financiers et de la logistique requise.

Les stratégies mises en place diffèrent, toutefois, d’un pays à un autre. Pour le cas de la Turquie, Abdelkader Boudriga, qui s’exprimait sur les ondes de Radio Express Fm, a indiqué que ce pays a axé cette stratégie sur le renforcement de sa présence au niveau diplomatique (multiplication des ambassades turques en Afrique et des représentations diplomatiques africaines en Turquie) et de sa représentativité au sein des institutions africaines telles que l’Union africaine et la BAD…), l’organisation de missions sectorielles conduites par le Premier ministre turc en personne, l’octroi, annuellement, de pas moins de 2.000 bourses à des étudiants africains, l’intensification des liaisons aériennes (24 lignes) et de l’aide financière (700 millions de dollars pour la seule année 2011), outre l’organisation régulière de forums d’affaires turco-africains et la création d’écoles enseignant le turc dans une trentaine de pays africains.

Quant aux Marocains, ils ont renforcé leur implantation en Afrique en encourageant les hommes d’affaires à s’implanter dans les pays africains et à y investir dans des créneaux tels que les banques, le leasing, les assurances, les liaisons aériennes, les télécommunications, les mines.

Le Maroc, qui compte 23 ambassades en Afrique et 34 représentations diplomatiques africaines au Maroc, s’est fixé pour 2018 l’objectif de réaliser 20% de ces exportations sur l’Afrique.

A noter également que le roi du Maroc se déplace personnellement à la tête de délégations d’hommes d’affaires pour faire du lobbysme et grignoter des parts de marché, comme cela a été le cas, récemment, au Mali.

La Tunisie peut se rattraper…

Concernant la Tunisie, Abdelkader Boudriga a tenu à rappeler que notre pays dispose de plusieurs atouts pour conquérir le marché africain, et au nombre desquels il a cité: le positionnement géostratégique de la Tunisie (proximité des pays africains), le capital sympathie généré par l’héritage historique légué par Bourguiba, le rayonnement du football tunisien en Afrique, le partage de la même langue et de la même religion avec plusieurs pays africains, la disponibilité en grand nombre de bureaux d’études tunisiens en Afrique…

Pour valoriser l’ensemble de ces atouts, il propose, d’abord, la même stratégie adoptée par les Turcs et les Marocains, en l’occurrence un engagement politique clair pour la conquête du marché africain, la mise au point, à cette fin, d’une stratégie nationale cohérente, et la mobilisation des moyens financiers et logistiques requis.

Concrètement, il s’agit, pour lui, de prévoir un budget spécial pour la conquête de l’Afrique, de subventionner, dans une première étape, les liaisons aériennes et maritimes, de valoriser l’effet par ricochet de l’apport des communautés estudiantines africaines en Tunisie, de multiplier les représentations diplomatiques africaines en Tunisie et tunisiennes en Afrique, de quadrupler, au moins, le nombre des bureaux du Centre de promotion des exportations (Cepex) en Afrique. Le centre ne compte qu’une seule représentation à Abidjan (Côte d’Ivoire).

A court terme, il a proposé l’ouverture d’une dizaine de nouvelles ambassades en Afrique (la Tunisie ne compte que 12 ambassades en Afrique), l’encouragement des banques tunisiennes à se délocaliser et la mise à la disposition des hommes d’affaires et exportateurs tunisiens de lignes de crédit.

Haro sur la diplomatie économique tunisienne

Par delà ces propositions et cette prise de conscience du potentiel du continent africain en tant que débouché pour nos produits, tout Tunisien de bon sens ne peut que s’interroger sur l’incompétence de la diplomatie économique du pays et sur son incapacité à disposer d’une stratégie cohérente pour la conquête du marché africain.

Jusqu’ici, les structures d’appui, le patronat et le gouvernement œuvraient en rangs dispersés et n’ont hélas aucun plan cohérent pour explorer le marché africain.

A déplorer également la tendance fâcheuse des deux têtes de l’exécutif (président provisoire et chef du gouvernement provisoire) à sous-estimer l’Afrique, à bouder les sommets africains et à ne pas utiliser ces instances pour faire du lobbysme.

Pour mémoire, la Tunisie était sous-représentée au dernier Sommet africain alors que les enjeux étaient énormes en ce sens qu’elle avait à négocier avec l’Union africaine le manque à gagner généré par le retour en Côte d’Ivoire de la Banque africaine de développement (BAD) et sa compensation par une décision devant lui permettre d’abriter au moins deux institutions régionales: l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle et de l’Institut africain des statistiques.

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