Tunisie – Emploi : Crise ou besoin?

emploi-090712-220.jpgA l’issue du congrès national de l’emploi, qui s’est tenu du 28 au 30 juin dernier, on se demande bien sur la réalité du marché de l’emploi, à l’heure actuelle. Outre la défaillance entre l’offre et la demande, l’employabilité des jeunes est devenue un souci majeur des responsables et instances nationales chargés de formuler des stratégies pour la création de l’emploi.

Durant les six premiers mois 2012, les placements en emploi ont atteint 27.135 postes, soit 13.223 en placement direct et 13.912 en insertion suite à un stage. Des chiffres en hausse par rapport à la même période en 2011, qui a enregistré 23.848 postes en placements, dont 13.450 en placement direct et 10.398 en insertion suite à un stage.

Selon les chiffres de l’Agence Nationale de l’Emploi et du Travail Indépendant (ANETI), les diplômés du supérieur ont une part de 6.886 de ces placements, à fin juin 2012, en majorité des insertions (5.519 postes). De même pour les cadres qui ont 7.425 postes, avec 5.901 insertions.

Situation critique…

Bien qu’on se réjouisse de ces chiffres, ces derniers restent cependant en deçà des objectifs escomptés. Toujours selon l’ANETI, près de 340 mille demandeurs d’emploi se sont inscrits dans les bureaux de l’emploi, à travers tout le pays, à fin juin 2012, dont plus de 69 (mille) nouvelles et plus de 324 mille réinscriptions. Le nombre de cadres dépasse les 200 mille, entre plus de 17 mille nouvelles inscriptions et plus de 190 mille réinscriptions.

Ce chiffre reflète bien la problématique persistante de l’emploi, à tous les niveaux. Mais il y a eu une baisse par rapport aux 6 premiers mois 2011, durant lesquels le nombre d’inscriptions avait dépassé les 460 mille, dont plus de 97 (mille) nouvelles et plus de 370 mille réinscriptions. Le nombre de cadres dépasse les 260 mille.

Un autre chiffre qui révèle la situation critique du marché de l’emploi est celui des demandeurs d’emploi en fin de mois qui ont une longue durée d’attente (2 ans et plus depuis la date de la première inscription). Ils sont plus de 145 mille à être inscrits dans les listes des bureaux d’emploi, au mois de juin 2012, dont plus de 72 mille diplômés du supérieur. Pour les six mois 2012, ce chiffre s’élève à plus de 230 mille, dont plus de 56 mille bénéficiaires de stage et plus de 158 bénéficiaires du programme de recherche active (Amal).

A voir les offres d’emploi, publiées à fin juin 2012, on se rend compte de la grande disparité qui existe dans les demandes citées ci-dessus. Selon l’ANETI, le nombre de postes déposés est de 55.253, parmi lesquels 8.821 postes ont été satisfaits par l’employeur, jusqu’à cette date. Un nombre de 16.123 postes est encore en traitement, alors que 11.222 postes ont été suspendus et 8.487 postes ont été annulés. En faisant le simple calcul, on se rend compte que près de 16% seulement des offres ont été satisfaites. D’ailleurs, le nombre de postes suspendus est supérieur.

Crise?

En voyant ces chiffres, on comprend mieux la «crise» -comme certains aiment à l’appeler– que connaît le marché de l’emploi en Tunisie. Une grande disparité existe entre les offres et les demandes, des offres qui ne sont pas satisfaites, des inscriptions dans les bureaux d’emploi en hausse, un grand nombre de demandeurs d’emploi de longue durée, et surtout un grand pourcentage de diplômés du supérieur.

Mustapha Mansouri, directeur chargé des relations avec les entreprises au sein de l’ANETI, semble désorienté. «S’agit-il vraiment d’une crise ou d’un besoin?», s’interroge-t-il. Selon lui, les opportunités existent, mais ce sont les moyens, et aussi la volonté, pour les mettre en valeur qui font défaut. Il cite le programme national de certification, dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication (TIC), qui a été mis en place, depuis plusieurs années. «Le secteur des TIC a un potentiel de développement énorme. La certification pour les diplômés de la filière est un atout qui leur permettra de trouver plus facilement un emploi en Tunisie ou à l’étranger», estime-t-il.

Une convention-cadre a été signée entre l’ANETI, le Pôle technologique Al Ghazala, la Chambre syndicale des SSII (Infotica) et la chambre tuniso-américaine de commerce et d’industrie (TAAC). Elle stipule la prise en charge par le ministère de l’Emploi de 50% du coût de la formation alors que le jeune diplômé se charge des 50% restants. Le coût de la formation dans les certifications informatiques étant très élevé (allant jusqu’à 5 mille dinars), un accord a été conclu avec une banque de la place pour octroyer des crédits aux jeunes. Mais malheureusement, le programme n’a pas pu être poursuivi puisque cette banque demandait des garanties.

Un besoin d’évaluation…

Pour relancer le programme, l’ANETI a proposé de prendre en charge les 50% que devaient s’acquitter les jeunes diplômés. L’agence s’engageait, selon l’accord, à mettre à disposition de l’Infotica sa base de données des demandeurs d’emploi. Le pôle Al Ghazala est chargé de satisfaire le côté logistique, par la mise en œuvre de l’opération, faire les tests avec les entreprises. Celles-ci feront la sélection avec les bureaux d’accréditation, comme Microsoft.

«Nous avons demandé à la Chambre d’identifier les besoins du secteur et donner un profilage des compétences qui manquent. Mais nous attendons toujours. Nous avons eu des propositions de candidats qui sont déjà en entreprise. Il y a eu une mauvaise compréhension du programme», regrette M. Mansouri. Il ajoute que l’ANETI veut créer des emplois et faciliter l’intégration des jeunes en chômage. «Avec ce programme, nous pouvons créer une plateforme informatique digne des pays développés. Il faut différencier entre crise et besoin. S’il y a un besoin, il faut le satisfaire. Mais s’il y a une crise, il faut attendre qu’elle passe», lance-t-il.

D’un autre côté, il s’avère qu’il y a un besoin réel d’évaluation des programmes d’emploi, qui ont été mis en place, depuis des années, et sont toujours opérationnels. A n’en citer que le fameux SIVP (Stage d’Insertion à la Vie Professionnelle). A fin juin 2012, près de 24 mille nouveaux contrats ont été conclus, plus de 33 mille sont en cours, plus de 6 mille sont résiliés et plus de 5 mille stagiaires sont insérés.

Malgré les avantages qu’il présente, le contrat SIVP est contesté par certains. On reproche essentiellement l’exploitation des jeunes diplômés par les entreprises. M. Mansouri affirme que ce contrat n’est qu’un passage pour l’insertion. Il estime qu’il serait souhaitable qu’il soit généralisé aux institutions semi-étatiques, qui ont un statut particulier. Ceci permettra, selon lui, de donner plus de chance d’insertion pour les jeunes et aussi créer une sorte de concurrence sur le marché de l’emploi entre secteur privé et institutions.

Fardeau…

Une lacune que relève M. Mansouri est celle d’absence de continuité dans le travail des différentes structures dépendant du ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi. «Il n’y a pas une direction étude et développement au sein du ministère. Cette direction, qui existait auparavant, devrait être chargée de faire des recherches, des études et des enquêtes sur le marché de l’emploi, faire des évaluations et proposer des solutions. Auparavant, cette direction était composée d’une équipe permanente du ministère mais aussi d’experts universitaires qui ont une vision différente et un apport différent», précise-t-il.

M. Mansouri estime aussi que les programmes d’emploi constituent un fardeau énorme sur l’ANETI, qui se trouve éloigné de sa mission essentielle, celle de l’amélioration de l’employabilité des jeunes. Le programme Amal a coûté, à lui seul, en 2011, près de 350 mille dinars, sans donner des résultats vertigineux. A fin juin 2012, on compte plus de 39 mille nouveaux inscrits au programme, plus de 49 mille inscriptions en cours, plus de 117 inscriptions achevées, plus de 16 mille inscriptions résiliées et seulement 33 stagiaires insérés. Il a été reconduit, actuellement, par un autre programme qui s’appelle «Travail» (Amal), et qui concerne les demandeurs d’emploi de longue date.

Intégration professionnelle…

A la place de ces programmes, M. Mansouri propose l’établissement d’un contrat-type assisté par l’Etat, permettant en même temps l’amélioration de la législation de travail. Ce contrat pourra être testé sur cinq ans afin d’évaluer son efficience. «On pourra l’appeler Contrat d’Intégration Professionnelle. Il peut être un CDD ou un CDI, mais qui respecte la convention collective et préserve respectivement les droits de l’employeur et de l’employé», suggère-t-il.

Ce contrat se base sur l’intervention de l’Etat dans l’exonération des charges patronales, pendant sept ans ainsi que sur un prélèvement de l’impôt sur les bénéfices pour les entreprises, sur chaque contrat conclu, pour une fourchette bien déterminée. «Ceci encouragera les entreprises à déclarer ses contrats», indique-t-il.

M. Mansouri estime qu’il s’agit aussi de reconduire les avantages pour chaque nouveau contrat signé par l’employé. Ainsi, ses avantages deviennent un critère de choix pour l’employeur, et permet à l’employé une mobilité lui procurant un gain d’expérience inégalable, selon le responsable à l’ANETI.

Il ajoute que ceci permettra à l’agence de réadapter sa mission première, celle du conseil en recrutement, du suivi des offres et de l’amélioration de l’employabilité des diplômés. L’aspect administratif étant celui qui domine les activités de l’agence et surtout la gestion des programmes d’emploi que M. Mansouri estime ne sont pas parvenus à trouver des solutions pérennes à la problématique du chômage mais à l’aggraver davantage.

Une telle proposition d’un responsable à l’ANETI, qui a une expérience de longue date avec les problématiques de l’emploi, est tout à fait envisageable. Reste que dans l’état actuel des choses, on se demande si l’on pourra se hasarder à proposer des solutions de rupture. «Le hasard est constructif», dira-t-on; mais le risque peut aussi être destructeur. A vous de juger…