Tunisie – Débat : A chaque société sa culture !

stop-violence-1.jpgL’article consacré à la campagne menée tambour battant contre Nessma TV a cédé le pas à un autre débat, nourri par nos lecteurs, portant sur ‘‘les valeurs universelles’’, ‘‘l’intellectuel tunisien’’ et ‘‘la culture tunisienne’’. Si nous redonnons, sur le même sujet, la parole à Mohamed Bouamoud, ce n’est pas tant pour l’amener à se justifier que dans un souci de faire de WMC ce forum de débats qu’il a toujours voulu être justement.

Ce qui ressort du courrier de nos lecteurs à propos de la campagne tapageuse contre la Chaîne Nessma, c’est que certaines réactions renferment des réponses aux autres, c’est-à-dire que, ce qu’infirment les uns, les autres le confirment plutôt. Je passerai, ici, très vite en revue certains points qui ne me semblent pas de toute première importance.

Au lecteur qui me rappelle le cas de ‘‘Asfour S’tah’’, je précise que ce film n’a à aucun moment filmé une scène d’amour; il est vrai qu’il était le tout premier film tunisien à avoir fait 200 mille entrées, mais son succès tient en ceci qu’il s’est fait fort de filmer beaucoup de femmes à moitié nues dans un bain maure. Il fallait compter au moins 150 mille adolescents désireux, à l’époque, de découvrir une femme partiellement nue. Tout simplement.

Au lecteur qui avance que les artistes ne sont pas des intellectuels, je demanderai tout simplement la définition du mot intellectuel. Tout simplement.

Et au monsieur qui prétend que le ‘‘peuple tunisien est dans sa majorité ignorant’’, je tiens à dire la chose suivante: SVP, qu’on ne trahisse pas Bourguiba dans sa tombe! … La généralisation de l’enseignement, dès l’aube de l’indépendance, a donné lieu à des centaines de médecins et de pharmaciens, des milliers d’enseignants, des dizaines de penseurs, des centaines d’ingénieurs et d’architectes, des historiens, des philosophes, des cinquantaines d’universitaires, des chercheurs, des tas de cadres supérieurs, des informaticiens, des magistrats hommes et femmes, des écrivains, des poètes, etc., et des hommes comme … vous, Monsieur, qui prenez volontiers votre plume pour prendre part à des débats de ce genre. SVP, ne soyons pas ingrats en direction de Bourguiba. Cela étant, oui, c’est vrai: à Sidi Bouzid, par exemple (avec ses 12 localités), le taux d’analphabétisme est autour de 74%, et c’est presque la même chose dans certaines localités du Nord-ouest du pays. C’est malheureux et c’est inhumain. Que voulez-vous? Le fameux 26-26 avait promis d’éradiquer l’analphabétisme dans ces contrées-là. Et puis voilà! Oui. Mais les 540 mille habitants de Sidi Bouzid, ajoutés aux autres d’un peu partout à l’intérieur de la République, ne font tout de même pas que les onze millions de Tunisiens soient ignorants dans leur majorité. De quelle majorité parlez-vous? … Vous citez le cas des étudiants, j’en conviens, sauf qu’il faudrait les considérer comme étant, eux aussi, parmi tant d’autres victimes de ce régime de la honte. Et de toute façon, on ne saurait les traiter d’ignorants.

En revanche, je me dois de m’arrêter ici sur certaines remarques avancées par nos lecteurs. Et principalement sur deux d’entre elles: les ‘‘valeurs universelles’’ et ‘‘l’enrichissement via les influences’’. J’espère, tout de même, que vous regrettez, Monsieur, d’avoir utilisé le terme ‘‘influence’’, parce que là ce serait très grave. Vous avez certainement voulu dire: ouverture sur l’Autre (ce qui n’est pas pareil, loin de là).

Il faudrait rappeler un cas très significatif. Avec l’avènement de la mondialisation, de nombreux pays européens ont frémi pour leurs cultures respectives. C’est la France, la première, qui a crié au scandale en opposant le concept de l’Exception française. La France dit oui à l’ouverture sur l’Autre, mais non à l’uniformisation culturelle. Chaque société a sa propre culture. Qui renie sa culture est un homme fini. Qui veut diluer, noyer sa culture dans celle de l’Autre est mort. Mort!… L’ouverture sur l’Autre est un enrichissement, mais la négation de soi est un suicide à moyen terme. Petit exemple de rien du tout: le Festival de Carthage invite tous les ans des artistes de gospel ou blues ou autre. C’est magnifique. Mais si demain, en Tunisie, le gospel supplantait le Malouf et toute la musique tunisienne, c’est que la Tunisie n’aurait ni âme, ni identité, ni repères, ni origine, ni rien. Rien! Elle n’aurait même plus un peuple digne de ce nom. Un peuple sans originalité et sans identité culturelle peut être remplacé par des chiffons ou des poupées d’argile! Or, le peuple tunisien tient à son identité, à sa religion et à ses origines; et ça, ce n’est pas une simple affaire, c’est un devoir personnel et national! Quiconque n’en veut pas n’a qu’à étaler ses principes chez lui, ou émigrer ailleurs et embrasser la religion et la culture de l’Autre pour mieux se prosterner devant ses pieds!

Arrivons maintenant aux ‘‘valeurs universelles’’. Et demandez-vous ceci: pourquoi est-ce que les valeurs universelles ont de tout temps été l’invention des Autres, jamais de nous?! … Pourquoi?… Sommes-nous, les Arabes, des peuples primitifs au point de ne jamais pouvoir proposer à l’humanité une si petite valeur à même d’être reconnue à l’échelle universelle? Pourquoi est-ce que nous autres Arabes et Africains sommes restés des élèves dont le rôle consiste et se limite à prendre des leçons de l’Autre?… Pourquoi?… Ne pourrions-nous pas, une seule fois dans notre Histoire, donner à l’Autre une si petite leçon?… Non?…

A propos!… C’est quoi au juste les ‘‘valeurs universelles’’?… Une somme de concepts humains et civilisés tellement sublimes que le monde entier y a souscrit?… C’est ça?… Ne sont-ce pas, dans ce cas, les droits de l’homme qui illustrent le mieux ces valeurs universelles?… C’est oui ou c’est moi qui me trompe?… Et est-ce que les fameux droits de l’homme rejettent, oui ou non, la torture?

Et alors, Monsieur!… Est-ce qu’Israël a souscrit, oui ou non, à la Charte des droits de l’homme? Ne voyez-vous pas ce que fait Israël tous les jours avec vos frères arabes (pardonnez-moi s’ils ne sont pas vos frères…)?… Au nom de quelle valeur universelle et de quel droit de l’homme l’humanité entière regarde et laisse faire Israël?

Avez-vous vu, Monsieur, ce qu’a fait cette soldate américaine aux prisonniers irakiens?… Non?… Je vais vous rafraîchir la mémoire: elle a castré quelques uns au moyen d’un gourdin! … Castré!… C’était une soldate au service de l’armée américaine dont le pays –les Etats-Unis– a inventé la notion des Droits de l’Homme et les terribles Valeurs Universelles! … Savez-vous, Monsieur, que de nombreux pays dans le monde (et même quelques uns aux USA) ont aboli la peine de mort?… Savez-vous que les Droits de l’Homme se proposent de bannir une fois pour toutes la peine de mort dans le monde entier?… Vous le savez. Bien. Seulement voilà, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes, au nom des Valeurs Universelles, qui ont pendu un 30 décembre 2006, jour de l’Aïd El Id’ha, un certain Saddam Hussein, et ont tenu à ce que la vidéo de sa pendaison fasse le tour du monde. C’était sûrement au nom des valeurs universelles et au nom des droits de l’homme…

Je vous laisse, Monsieur, admirer vos valeurs universelles… Moi, je vais me recueillir devant la seule Valeur que je connaisse: le Coran.